Yves Harrisson, en éclaireur…

texte Pierre Sénéchal | photo Martin Boisvert

Artiste prolifique, talentueux et résolument libre, Yves Harrisson poursuit depuis plus de 30 ans une carrière artistique impressionnante basée sur une démarche rigoureuse et soutenue. Ses nombreux questionnements sur la spiritualité, la connaissance et la place des arts dans notre société lui ont fait emprunter divers sentiers. Tantôt homme d’affaires, tantôt artiste multidisciplinaire, auteur et pédagogue, Harrisson a toujours mis l’humain au centre de sa création, pour en comprendre le sens, en faire jaillir la lumière. Premier sur la piste à marquer le sentier, l’artiste-trappeur d’images explore et expérimente. En éclaireur, il laisse son empreinte pour ceux qui suivent. Pour en savoir un peu plus sur l’un des artistes les plus significatifs de la région, voici donc le compte rendu d’un entretien avec Yves Harrisson qui nous recevait dans son atelier en février 2019.

L’ARTISTE, LE CRÉATEUR…


P.S. : Tout d’abord, comment te décrirais-tu ? Comme artiste, comme créateur ?
YVES HARRISSON : Je déteste parler de moi. C’est la raison pour laquelle, dès l’enfance, j’ai choisi de m’exprimer par l’image. On me décrit le plus souvent comme prolifique et passionné. Je suis un travailleur compulsif et ma réflexion est en continu. Je suis un artisan, à sa place dans l’atelier. C’est pourquoi j’y passe pratiquement tout mon temps, quand je ne suis pas dans les écoles. Mon travail est basé sur la pratique, la recherche et l’expérimentation. Ensuite, je n’ai qu’à être à l’écoute de mon intuition et de mon instinct pour voir une idée, un concept, apparaître. Je peux facilement travailler sur commande, mais ma production personnelle coule de source et n’est jamais orientée par le besoin de vendre ou de plaire. Je crée ce qui vient naturellement sans contraintes, sans penser aux regardeurs. Si aujourd’hui, être artiste, c’est de créer des concepts sans utiliser de compétences manuelles, c’est de trouver une façon de choquer et de faire parler de soi, si être artiste, c’est de se faire voir, se vendre ou suivre les modes les plus absurdes, je n’en suis pas un.

P.S. : Quel est ton processus de création au quotidien, ce qui te motive à créer ?
Y.H. : Chose certaine, je ne suis pas motivé par l’argent ! Je crée par besoin ou même obligation de sortir toutes ces images qui s’accumulent. Par ce fait, je cherche l’équilibre dans ma vie et sur la toile. Que ce soit pendant mes marches quotidiennes, dans la douche ou en mangeant, les images apparaissent, en lien avec mon vécu de tous les jours ou très souvent avec mon enfance.

Les jeunes et mon travail d’enseignement du dessin sont aussi de grandes sources positives d’inspiration. Et j’avoue que de plus en plus, la bêtise humaine m’offre une infinité de sujets. À moins d’avoir une commande, je ne force jamais rien. Je laisse venir l’inspiration et, après toutes ces années, elle ne m’a jamais fait faux bond. Ma limite de création viendra plutôt du manque de temps et de moyens. J’attaque rarement directement le tableau. L’apparition de l’image est tellement forte, claire et rapide que le dessin au crayon sur papier est l’outil idéal pour extraire de mon cerveau le message. Ensuite, le dessin sera ignoré et oublié. Mais s’il me revient continuellement en tête, si en le peaufinant, il évolue vers l’équilibre et que le message est de plus en plus clair pour moi, il deviendra un tableau. Et cette étape peut être assez longue. Je passe autant de temps à peindre qu’à penser. Des tableaux peuvent être sur les chevalets pendant plusieurs semaines. C’est pourquoi je peins habituellement en série, cinq ou six en même temps. Si le tableau ne me parle plus, je passe à un autre. Je le mets de côté jusqu’au moment ou en passant devant, je vais comprendre comment le terminer. Et vient le moment magique, la révélation : tout me dit d’un coup qu’il est terminé.

P.S. : La liberté pour un artiste ça ressemble à quoi ? Comme mode de vie par exemple ?
Y.H. : Pour moi, la liberté c’est de créer ce que je veux, quand je veux. C’est de me lever chaque matin avec la joie de penser que je peux me retrouver dans mon atelier pour poursuivre mon cheminement et travailler à devenir meilleur et faire que le prochain tableau sera une autre marche sur cet escalier infini. Que le prochain tableau sera le plus abouti des centaines de tableaux produits avant. Qu’il sera le plus près de l’image mentale qui l’a fait naître. Mais la liberté a un prix. En choisissant ce chemin, on choisit le travail dans la solitude, l’insécurité financière, l’impossibilité de prévoir l’avenir à moyen et long terme. C’est le prix à payer, mais je ne changerais de vie avec personne. Jamais je ne pourrais vivre mon art autrement, à moitié.

P.S. : Le dessin, est-ce la base de tout ?
Y.H. : Tous les grands maîtres de la peinture que je considère étaient avant tout de grands dessinateurs. La technique même du dessin rapproche de la matière et, par sa spontanéité, permet de garder la magie du geste mystérieusement guidée par l’intuition. Le dessin demande la participation de l’esprit, de l’oeil et de la main.

L’esprit : Il faut dessiner dans le plaisir, sans pression. Il faut se permettre de faire plusieurs erreurs, d’effacer et de recommencer. Toutes ces étapes font partie du processus. Il faut être curieux, patient et prêt à tout recommencer depuis le début, autant de fois qu’il sera nécessaire de le faire.

L’oeil : Il faut prendre le temps de tout bien observer dans les détails et sous des angles différents. Il faut un bon éclairage et mettre ses lunettes, si on en porte habituellement.

La main : Il faut prendre conscience de notre maintien, le corps, la tête, le bras et la prise du crayon par la main. Il faut tenter différentes façons de tenir le crayon, bien sentir quand on le tient léger pour les traits de base plus pâles et plus fermement pour les traits de finition, plus foncés.

Dessiner est un plaisir, même avec les petites erreurs que l’ont fait et qui ne peuvent que disparaître avec la pratique. Je dessine depuis l’âge de quatre ans et je peux dire que le dessin m’a aidé à vivre mon quotidien, m’a permis de m’épanouir, de m’exprimer et même de gagner ma vie.

En enseignant le dessin à des enfants pendant quinze ans, j’ai appris à les observer travailler, à les voir réagir par rapport aux exercices, mais aussi à voir, à plusieurs reprises, des enfants en difficulté trouver dans le dessin une façon de s’affirmer, de s’accepter, de se valoriser en s’intégrant plus facilement au groupe et même d’améliorer leur écriture. Dessiner n’est pas que dessiner. C’est devenir le maître d’un univers que l’on crée, c’est s’imposer à soi-même des défis à notre mesure et à notre rythme. C’est un peu comme monter un escalier, une marche à la fois, sans se soucier de la hauteur finale. Pour l’enfant, c’est aussi avancer en s’amusant.

P.S. : Qu’est-ce qui décrit le mieux ta production artistique ?
Y.H. : Comme certains de mes modèles, l’ampleur de ma production artistique est difficile à cerner, parce que non uniforme. On m’a déjà dit : « Si tu sais peindre des pommes dans un panier, ne me fournis que ça et je trouverai une clientèle qui aime les pommes dans un panier. » Mais je suis incapable de toujours répéter les mêmes choses. Ma recherche constante fait que mon corpus évolue constamment et quand certaines personnes commencent à aimer mon style, je suis déjà ailleurs à le modifier, selon mon instinct.
La seule constante dans mon travail, depuis le début, est probablement le fait que l’humain est encore au centre de mon travail, pour le moment… on ne sait jamais où mes intuitions pourront me mener… Je suis un figuratif, mais le traitement de mes fonds de tableaux devient de plus en plus abstrait, alors qui sait ?

P.S. : Le sens d’une oeuvre est important pour l’artiste, tu vis bien avec l’interprétation que peut en faire le spectateur ?
Y.H. : Je n’anticipe jamais la lecture que fera le regardeur de mon oeuvre. L’image me vient et je la transpose sur le support, sans me préoccuper de ce que pourrait penser l’autre. Sa lecture et l’émotion qu’elle peut provoquer lui appartiennent.


P.S. : L’artiste souhaite laisser une trace. Qu’aimerais-tu qu’on retienne de ton oeuvre, de ta démarche ?
Y.H. : Mon oeuvre décrit mon histoire, ma compréhension de l’univers et de l’humain. J’aimerais qu’on retienne de mon travail simplement la constance, la progression et quelques messages qu’on y aura compris.

L’ARTISTE ET LE PÉDAGOGUE DANS L’ÂME …

Depuis plus de 15 ans, Yves Harrisson est très présent dans les écoles de la région. Il y diffuse sans relâche une série d’ateliers qui combinent non seulement l’enseignement de la pratique artistique, mais également l’éveil à la culture, à l’histoire de l’art et à l’importance de développer au maximum ses aptitudes. Pédagogue dans l’âme, il nous parle de son contact avec les jeunes, mais particulièrement de l’immense potentiel qui les habite.

P.S. : Artistes à l’école, c’est un projet de longue haleine, des ateliers de dessin progressif, mais aussi une conviction profonde que la culture et les arts doivent avoir une place à l’école ?
Y.H. : Mon travail auprès des jeunes dans les écoles ne concerne pas que le dessin. J’essaie aussi de transmettre l’amour du travail bien fait et l’importance de toujours essayer de se surpasser, d’aller plus loin. J’essaie aussi de leur faire comprendre la valeur de la culture, qui participe à la compréhension de la place de l’humain et qui est l’élément primordial de notre identité.

P.S. : L’art comme éveilleur de conscience, mais aussi comme levier d’apprentissage, tu y crois fermement ?
Y.H. : Je crois que je fais ma part et que j’amène dans les écoles des aspects que ceux qui sont sur place n’ont pas le temps de fournir aux élèves.

P.S. : L’école est un milieu de vie et ça prend l’engagement des gens sur place, professeur.es, professionnel.les et directions d’école pour bonifier l’offre en culture. Quel est ton avis là-dessus ?
Y.H. : Le fait de passer tout ce temps dans les écoles depuis 20 ans m’a fait découvrir les personnes les plus importantes dans la vie de nos enfants après les parents. Les plus dévouées et les plus empathiques : les enseignant.es et les directions d’écoles. Malgré les mauvais coups des différents gouvernements qui affaiblissent notre système d’éducation, ils sont toujours là à oeuvrer pour notre avenir à tous. Ils ont toute mon admiration et ma reconnaissance.

UN PARCOURS SANS PAREIL

Suivre la piste d’un artiste aussi polyvalent et prolifique n’est pas une mince tâche. Les chemins de la création lui ont apporté bon nombre de rencontres significatives, de projets fondateurs et même l’opportunité d’illustrer les mots de plusieurs auteur.e.s. Voici, en condensé, quelques éléments phares de son parcours.

– Yves Harrisson a participé à plus de 50 expositions, dont plusieurs solos, entre autres à la galerie Colline à Edmundston ainsi qu’au Musée du Bas-Saint-Laurent.
– Il a illustré les oeuvres de plus d’une vingtaine d’écrivains, dont celles de Victor-Lévy Beaulieu, de Sylvain Rivière et de Brigitte Harrisson.
– Il a lui-même publié en 2017 un ouvrage, Le dessin progressif, une méthode d’apprentissage du dessin qu’il a lui-même inventée et développée.
– Au fil du temps, il a réalisé plusieurs sérigraphies d’interprétation d’oeuvres de grand.e.s artistes québécois.es, tels que Louis Belzile et Claude Théberge.
– Son large corpus d’oeuvres se compose de sérigraphie d’art, de monotype, de dessins, de peintures, de sculptures et d’installations. On retrouve bon nombre de ses oeuvres dans diverses collections publiques et privées prestigieuses.
– Au cours des 15 dernières années comme artiste à l’école, il aura rencontré plus de 9000 élèves.


Pour en savoir plus sur Yves Harrisson, consultez : www.yvesharrisson.com, www.yvesharrisson.weebly.com

À propos de Marie-Amélie Dubé

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