par Marie-Amélie Dubé, collaboration Geneviève Malenfant-Robichaud, photo de Catherine Roy
Dans moins de 3 mois, Yvan L’Heureux fera partie de ces 300 participants provenant d’une quarantaine de pays, qui relèveront pour une première fois au monde, l’ensemble du parcours GR 10 du TransPyrenea. Ce parcours regroupe 4 tronçons unissant la France à l’Espagne sur une distance de 898 km à parcourir, sans arrêt, et plus de 60 000 de dénivelé à enjamber. Le 19 juillet prochain, Yvan L’Heureux a rendez-vous avec l’inconnu, avec ses propres limites et avec une nouvelle dimension : une dimension… sportive !
Marie-Amélie Dubé : Bien qu’en 2015 tu aies réalisé le GR 20 en Corse, cette dernière expérience s’étendait sur 200 km, une distance représentant un peu moins que le quart de ce que tu t’apprêtes à réaliser en juillet prochain, il y a quand même un gros écart. Est-ce réaliste dans ta condition actuelle ?
Yvan L’Heureux : Actuellement, oui, je m’entraine pour ça depuis janvier, février. Je fais du tapis roulant à 15 % de pente, même si je déteste ça, et je marche 5-6 kilomètres pendant 2-3 heures. J’alterne les sorties de course de 10 à 20 kilomètres et le tapis. Je fais deux longues sorties par semaines. Je mets mon sac à dos et je monte-descend sans arrêt pendant 5 heures. J’essaie de me mettre dans les conditions les plus proches de ce que je vais avoir à vivre. Ici, on n’a pas de montagnes. Là-bas, on va parfois partir de 250 à 2 700 m d’un coup. J’aime bien faire le tour de toutes les côtes en joggant. Je m’alimente aussi pendant les courses, car il faut éviter la fatigue pour ne pas tomber tout de suite dans les réserves. Durant le défi TransPyrenea, je n’aurai pas le choix de manger en marchant, pour ne pas perdre de temps.
M.-A.D. : Tu me parles de la préparation physique, mais il y a surement une préparation mentale aussi ?
Y.L’H. : Quand je suis entré dans le monde de la course, la préparation mentale, je n’ai pas eu à la faire tant que ça. Ça fait 35 ans que je fais des arts martiaux. Je suis habitué au focus, je suis habitué à faire des combats, je suis habitué à avoir de la douleur. Il faut rester toujours affuté, toujours conscient. Si l’on manque une roche, une balise ou qu’on passe droit, ça peut aller mal dans la course. Courir un Ultra, c’est comme traverser une vie. On passe par toute une gamme d’émotions : de la souffrance, de la joie, de l’allégresse, une grande détresse, de la peur, même des hallucinations.
M.-A.D. : Pourquoi décider de se lancer dans une aventure extrême, surhumaine ?
Y.L’H. : Avant, je le faisais beaucoup pour aller voir les limites de mon corps. J’ai commencé par des courses plus faciles et je me suis rendu compte que, physiquement et mentalement, j’étais capable de plus. Le sport est ma soupape, mon moyen de compensation (je suis acuponcteur), mais mon métier premier, c’est d’encourager les autres. Il y a une maxime chinoise qui dit : « un étudiant est allé voir son maitre un jour complètement découragé pour lui demander quoi faire. Le maitre lui a répondu qu’il devait encourager les autres. » Quand les gens viennent me voir pour me dire que je les encourage, je leur demande ce qu’ils font. C’est important d’écouter les gens et de s’intéresser à eux. On inspire les gens parce qu’ils ont eux-mêmes décidé de changer. Je chercher à me motiver et à me dépasser moi-même, même quand ça va mal. En te motivant toi-même, tu deviens un moteur de changement pour toi-même. Tu te rends compte que plein de roues tournent autour de toi et, plus tu accélères, plus tu lui donnes du momentum, plus les autres autour s’activent aussi. C’est apprendre à se motiver soi-même et, après, on a un effet d’entrainement.
M.-A.D. : Tu sembles me dire que tu ne t’arrêteras pas pour dormir dans les gites, pour manger. C’est exact ?
Y.L’H. : Dans les gites, il faut arriver à 18 h maximum, le souper est à 19 h, le couvre-feu est à 21 h. Mais il va faire clair jusqu’à 22 h. Moi, entre 18 h et 22 h, je vais avancer. Ma nourriture, je la réhydrate à froid. Elle va se brasser dans mon sac à dos. Voilà plusieurs semaines que je fais des tests. Je suis capable de manger pendant que je marche. Je vais essayer de manger tout le temps, comme je veux progresser 18 heures par jour. Des noix, des barres (mais pas avec du chocolat parce qu’il fond ou gèle), les fruits secs, des pailles d’huile d’olive (très calorique pour la grosseur). Il faut aussi penser à se faire plaisir. Moi, j’aime bien les bretzels. Quand je vais arriver dans mon drop-bag aux quelque 200 kilomètres, je vais avoir quelques bretzels dans mon sac. Un peu de bouffe réconfortante, un sachet de chocolat chaud par exemple ou 2-3 petits morceaux de chocolat. Le gruau et le couscous, ça se réhydrate bien, mais il faut aussi avoir du plaisir ! Quand on fait une course comme celle-là, on s’attend à ce que ce soit souffrant quelque part. Mais, contrairement à d’autres courses, je veux envisager celle-ci avec beaucoup de paix et de sérénité. Et pour ce qui est du sommeil, déjà dans ma vie régulière, je dors 5-6 heures. Le but est de dormir le moins possible et d’avancer le plus possible, mais pas nécessairement de courir le plus possible. Si on court tout le temps, on finit avec des blessures. Le but, c’est vraiment d’économiser son énergie et de
prévenir les blessures.
M.-A.D. : Es-tu déjà en train de te projeter dans le TransPyrenea ?
Y.L’H. : C’est sûr ! Tout en haut, il y a les neiges éternelles. C’est la plus grosse réserve hydrogéologique de l’Europe. Il y a toujours de l’eau qui coule, des chutes énormes, parmi les plus hautes d’Europe. C’est aussi presque les montagnes les plus hautes d’Europe aussi. Quand je pense que je vais traverser sur l’épine du monde, entre l’Espagne et la France (c’est une barrière naturelle) ! C’est sur le bord de la Méditerranée, les pieds dans l’eau. On monte, on descend. En haut, il fait extrêmement froid, il y a de la glace. En bas, il fait extrêmement chaud, 35-40 degrés. Et on finit à l’autre bout, les pieds dans l’Atlantique… c’est sûr que c’est vertigineux. Quand on regarde ça, on se dit que c’est impossible. J’aime tellement ce mot : « impossible », il y a le mot « possible » dedans. J’ai longtemps hésité devant mon ordinateur au moment de l’inscription puis j’ai cliqué. Et je me suis dit que j’allais le vivre un kilomètre à la fois. Je vais découper le trajet en kilomètres et chacun va être différent : les paysages, les rencontres…
M.-A.D. : Combien de kilomètres par jour prévois-tu réaliser ?
Y.L’H. : C’est minimalement 55 km. Un marathon et demi dans de la roche et en montant tout le temps. Sauf que, dans les journées très techniques, des fois on va avancer à 1 km/h. Je l’ai déjà vécu en Corse, je regarde ma montre, j’ai chaud, j’ai le coeur qui pompe, ça fait une heure que j’avance et j’ai fait un kilomètre. C’est décourageant. Mais, à d’autres temps, quand on est capable de trottiner ou de jogger, on peut y aller à 7-8-9 km/h, des fois 10. Cequi est fantastique dans ce genre d’épreuve, c’est qu’on s’offre du temps. Le temps, c’est la ressource la plus précieuse. C’est ce qu’on peut donner à l’autre et qui ne revient jamais. C’est égoïste, je m’offre trois semaines de temps. J’accepte de ne pas voir mon fils pendant ce temps-là. Je m’offre le temps de méditer, réfléchir à ma vie, voir les différentes parties, qu’est-ce que je veux changer, comment être un meilleur être humain, qu’est-ce qu’il faut que je fasse dans mes prochains choix de vie.
M.-A.D. : As-tu déjà envisagé de ne pas finir la course ?
Y.L’H. : Que je finisse ou non cette course, ça n’a aucune importance. Ce qui est important, c’est de donner l’effort maximal sans mettre en danger sa santé. J’ai l’intention de finir, mais je ne finirai pas à tout prix. Ce temps-là que je m’offre permet de faire des changements. Ce temps-là est tellement intense, il ne repassera pas deux fois dans ma vie. Nécessairement, il va me modeler, me ciseler. Je ne pense pas qu’il va me briser, mais il va me pousser dans les retranchements les plus profonds. C’est une expérience qui va changer ma vie, je pense.
M.-A.D. : Bonne chance ! Continue de nous inspirer !
Si vous désirez poursuivre la lecture de cette entrevue avec Yvan L’Heureux, consultez le www.rumeurduloup.com/Défi Everest
Saviez-vous que… Le TransPyrenea est une randonnée sportive, un « Rando Raid ». Ce n’est ni une course, ni de l’Ultra Trail, mais un concept nouveau, un mélange entre le Thru-hiking (randonnée de milliers de kilomètres en solitaire), qui existe depuis les années 1920, et les Raids pratiqués depuis 10 ans avec un esprit GR 10.