Texte | Maurice Gagnon
En octobre dernier, l’autrice rimouskoise Sergine Desjardins publiait Un souvenir, mille remords aux Éditions Saint-Jean. Avec comme toile de fond la Seconde Guerre mondiale, ce roman choral nous fait vivre la grande histoire à travers, entre autres, le quotidien de Rose Dubeau, qui travaille à l’École de bombardement et de tir de Mont-Joli, et de Kalinda Cohen, une jeune Tzigane captive d’un camp de concentration d’Auschwitz.
Sergine, d’où vous est venue l’idée du roman, et pourquoi la Deuxième Guerre mondiale ?
Je faisais des recherches sur un autre sujet, mais deux événements m’ont amenée à m’intéresser à cette guerre. Au moment où je lisais les lettres de mon oncle souffrant de stress post-traumatique au retour de la guerre, une exposition à Sainte-Flavie révélait au public l’existence d’une école de tir et d’aviation ouverte durant la Deuxième Guerre mondiale. Cette exposition m’a révélé des pans d’histoire tels que le black-out, le rationnement et la présence de sous-marins allemands sillonnant le fleuve. Mes parents avaient connu cela, mais n’en parlaient jamais. C’est un pan de leur vie que je voulais découvrir.
Est-ce que la trame narrative de votre roman avait été décidée avant de commencer l’écriture ou le destin de vos personnages s’est imposé en cours de route ?
J’avais d’abord une idée globale, mais mon plan a changé en cours de route. En me documentant, j’ai découvert des personnages et des faits qui m’ont inspirée et m’ont donné le goût de les intégrer à mon roman. Je pense notamment à Marceline Loridan-Evens qui s’est retrouvée à Auschwitz. On sait que les conditions de vie y étaient atroces, et pourtant, une fois libérée, elle a écrit que c’est dans ce lieu sordide que les liens d’amitié ont été les plus forts et les plus enrichissants. Elle m’inspirait d’autant plus que beaucoup de mes personnages se sortent de situations difficiles grâce à l’amitié, l’art, la bonté, l’entraide, la solidarité et parfois même au contact d’animaux, comme c’est le cas pour un soldat revenu meurtri de la guerre. J’ajouterais enfin que mes personnages fictifs me semblent si vivants que parfois ils m’imposent la route à suivre.

Vous vous décrivez comme une passionnée d’histoire. Pourquoi avez-vous choisi le roman plutôt que le récit historique, par exemple ?
Afin de donner une grande place aux émotions. Ce qui revient presque toujours dans les commentaires de mes lecteur·trice·s, c’est qu’on aime mes romans parce qu’on y apprend beaucoup, mais aussi parce qu’on est touché·e·s. Je crois qu’une qualité importante chez les auteur·trice·s est l’empathie, autrement le lecteur ou la lectrice risque de ne pas être ému·e. J’aime aussi débusquer des faits dont on parle peu. Je pense entre autres au syndrome de takotsubo dont souffre l’une des héroïnes de mon roman.
Votre roman regorge de détails historiques sur la façon dont la guerre a été vécue, autant ici qu’en Europe. Quelle a été votre recherche ?
Longue, très longue ! (Rires.) L’Histoire regorge de faits intéressants. Et souvent, un aspect de l’Histoire m’en fait découvrir d’autres, tout aussi intéressants. Je me méfie aussi de mes aprioris et vérifie si ce que je crois savoir est fondé. Par exemple, c’est en lisant une historienne dont l’une des recherches portait sur ce que vivaient les filles-mères dans les maternités que j’ai constaté avoir été jadis influencée par des écrits sur ce sujet qui s’éloignaient des faits parce qu’ils étaient édulcorés.
Comme tous vos livres précédents, celui-ci met à l’avant-scène des personnages féminins forts, des femmes courageuses. Est-ce que c’est pour redonner aux femmes la place qui leur revient dans l’Histoire ?
Oui. Dans tous mes ouvrages, qu’il s’agisse d’essais, de biographies ou de romans, je tiens à ce qu’elles retrouvent leur juste place dans notre mémoire collective. Dans Un souvenir, mille remords, mes femmes sont des héroïnes oubliées. Lorsque nous parlons de la guerre, nous avons tendance à ne parler que des héros et à oublier celles dont les actions, moins flamboyantes, ont été essentielles, notamment par leur travail dans les usines et sur des fermes ou comme infirmières au front.