par Sylvie Côté – photo Catherine Roy
Depuis quelques années, je réalise que les personnes de mon entourage se détachent de la religion. Chacun endosse ses valeurs et modèle son histoire de vie et d’après-vie. On adhère à des bouts de philosophies et de religions étrangères de moins en moins étrangères. Ce changement de croyance se fait ressentir partout, même dans les funérailles. Que fait donc une famille sans convictions religieuses lorsqu’elle fait face au décès d’un être cher ? Elle ne doit en aucun cas être privée de cérémonie digne de ce nom. La cérémonie commémorative ou cérémonie d’adieux est un événement important dans le processus de deuil. Elle n’est pas à négliger. Aux oubliettes les textes tout fait où l’on remplit les blancs avec le nom du défunt et les membres de sa famille. Voici un mode d’emploi pour élaborer une cérémonie civile véritablement personnalisée. Pour bien vous faire comprendre l’idée, je vais organiser mon rituel commémoratif. Voici comment je vois cette journée, reflet de toute ma vie. D’abord, je veux un ami maître de cérémonie. Pas question d’avoir un inconnu qui n’a jamais entendu parler de moi avant mon décès. Pourquoi pas toi, Henri ? Tu me connais tellement. Tu sauras trouver les mots justes pour parler de moi, de ma vie et des liens qui tissent ma famille. Comme les miens t’aiment, ils seront heureux que tu les diriges et les soutiennent pour passer à travers cette journée. Je veux que mes filles participent, si elles le veulent bien. J’aimerais pouvoir déjà leur remettre des textes qui me tiennent à coeur. Nous partagerons des mots que j’aime et qu’elles aimeront à leur tour. Qui va les lire ? Qui sera capable de les lire ? Sur ce point, je laisse à celui qui le désire de se désigner. La cérémonie aura lieu à l’extérieur. Idéalement qu’il fasse un beau soleil d’été ou d’automne. Je l’ai déjà commandé, le ciel n’attend que la confirmation de la date. Le rendez-vous est chez moi dans mon jardin, près du fleuve. On y retrouve deux éléments que j’aime, les fleurs et l’eau. Parlant d’eau, c’est connu, l’eau est ce qui me fait vivre. C’est ma passion, comme dirait mon aînée, c’est pourquoi je choisis l’aquamation*. Je veux terminer dans l’eau et non pas dans le feu. J’ai choisi mon urne qui pourra traîner dans une bibliothèque comme une oeuvre d’art. J’aime l’art et je veux qu’on m’y associe pour toujours. Mais si personne ne veut me garder, j’irai rejoindre mes parents au cimetière de Notre-Dame-du-Portage, car la vue est belle pour ceux qui viendront se recueillir près de moi. Si l’on revient à la fête, en plus de mes rosiers sauvages, emblèmes de mon village, je veux des orchidées blanches sur les tables. Qu’elles soient blanches est important, j’aime le blanc. Une orchidée à la boutonnière, c’est beau aussi n’est-ce pas ? C’est déjà mieux qu’un autocollant avec mon visage dans un coucher de soleil.
« Voici un mode d’emploi pour élaborer une cérémonie civile véritablement personnalisée. »
Sur les grandes tables nappées de lin, déposez beaucoup de légumes et de petites bouchées réalisées avec des produits de la région. Notre coin de pays regorge de bonnes choses. Et allez-y allégrement sur les desserts. Je suis comme grand-maman, j’ai le bec sucré. Yvan va s’occuper de la musique, il sait ce qui me fait vibrer et danser. Il ne faut pas oublier de danser et de bien boire. Rappelez-vous tous les cocktails que j’ai pris avec vous tous et le monde que nous avons refait autour de chacun d’eux. Vive la vodka, la Kamouraska, pourquoi pas ? Et quand le soleil se couchera, vous sortirez le scotch, du single malt, s’il vous plaît, rien de moins. Levez votre verre très haut au son de Vanessa Paradis, Cohen père (« Alleluia ») et fils (« Love is »), et toutes celles que l’on chantait dans la voiture en allant au chalet. Naturellement, les chansons de Dalida et Joe Dassin doivent vous accompagner. Quand mes petits-enfants seront fatigués, il sera le temps de tamiser les lumières suspendues audessus de vos têtes et de remettre aux invités qui quittent une petite enveloppe, déjà toute préparée avec un petit mot de ma part imprimé sur le dessus. On retrouve à l’intérieur des graines de marguerites blanches qu’ils pourront planter dans leur jardin et regarder pousser chaque année avec un sourire en coin en pensant à moi. Voilà, mes volontés commémoratives. Vous savez maintenant ce que je veux pour cette journée mémorable.
* L’aquamation est un néologisme désignant une pratique recourant au procédé physicochimique d’hydrolyse alcaline mis en oeuvre en phase aqueuse. Ce procédé s’est récemment développé à usage funéraire pour les humains avec une optique écologique. Le processus est beaucoup plus écologique que l’incinération. Elle n’émet que 1 kg de CO2 tandis qu’une crémation par le feu en produit 160 kg, soit l’équivalent d’une voiture faisant l’aller-retour entre Montréal et Vancouver. Il existe sur mon site WWW.MOMENTA-RITUEL.COM un document à télécharger pour vous aider à communiquer aux vôtres vos volontés commémoratives.