par Busque
Professeur au département de sociologie et à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM, Éric Pineault est sociologue et à augmenter la présence du monde des affaires dans ces appareils ou économiste de formation. Il s’intéresse aux questions d’économie écologique depuis plusieurs années. Le livre Le piège Énergie Est est le fruit de cette réflexion, écrit dans l’urgence avec David Murray, pour intervenir dans le débat public concernant ce dossier, mais plus globalement dans le dossier des sables bitumineux au Canada. Ayant appris qu’il venait faire des conférences
Bas-Saint-Laurent, La Rumeur du Loup est allé le rencontrer.
B. : Parlons de votre livre. Le Québec veut baisser ses émissions de CO2 de 20 % par rapport au niveau de 1990 d’ici 2020. L’activité de l’Oléoduc affecterait-elle les données pour ce qui est du Québec dans les calculs du gouvernement ?
E.P. : Non, pas directement. Ce serait un apport minime provenant des stations de pompage et de l’équipement roulant d’entretien qui circule autour du projet. Évidemment, dans la phase de la construction, il y aurait des émissions assez importantes. Ce n’est donc pas directement par ce canal. Par contre, il y a un autre canal qui est non négligeable et sur lequel je travaille actuellement pour Nature Québec. Je les aide à faire la contrexpertise du projet à l’Office nationale de l’Énergie. Donc, parmi les endroits où il peut y avoir un impact, on remarque que, si Énergie Est va de l’avant, cela permettrait de débloquer un ensemble de projets d’expansion d’extraction des sables bitumineux et l’augmentation des émissions rattachées à cette augmentation affecterait le budget canadien. On estime que, si ces projets vont de l’avant, il faudrait des réductions extrêmement importantes dans les autres secteurs de l’économie, qui ne sont pas en Alberta évidemment. Donc, dans 5 à 10 ans, le Québec pourrait se retrouver dans un dilemme budgétaire pour ce qui est du budget carbone, c’està- dire penser à fermer les alumineries, penser à mettre la clé dans la porte de certains projets comme les cimenteries, qui sont de grands émetteurs, pour permettre au Canada d’avoir un budget équilibré sur le plan carbone. En conséquence, pour ce canal, l’impact d’Énergie Est peut être extrêmement important. Il s’agit d’une nouvelle donne qui n’est pas dans le livre. Nous sommes tombés là-dessus cet été. David Hughes du Centre canadien de politiques alternatives en Colombie-Britannique a fait une petite étude sur le budget carbone canadien et il montre dans son scénario où il y aurait une expansion. On doublerait la production des sables bitumineux sur 15 ans, ce qui impliquerait que la réduction soit de 90 % dans les autres secteurs. C’est hallucinant. C’est impossible à faire. Voilà donc un impact très important.
« Si j’étais un dirigeant de TransCanada, je serais vraiment très pessimiste. »
B. : Dans votre livre, vous énumérez une liste exhaustive de liens entre les lobbys, les membres du conseil de TransCanada et des postes gouvernementaux (on appelle cela le phénomène des portes tournantes). On voit le même problème avec le secteur de la viande, les paradis fiscaux, les mines, les médicaments, les banques, les traités de libre-échange, etc. J’ai le sentiment qu’il y a un gros problème entre ce qui est bon pour le bien commun et ce qui est bon pour des multinationales et leurs profits. Quel est le remède pour rééquilibrer cette iniquité ?
E.P. : C’est toute une question ! Effectivement, c’est un phénomène beaucoup plus général et ce n’est pas simplement un secteur économique, ce n’est pas seulement
les hydrocarbures. Par contre, je fais une petite parenthèse. Compte tenu de l’importance des hydrocarbures dans l’économie canadienne, et, surtout, compte tenu de la sensibilité environnementale des Canadiens relativement à ce secteur, on dirait que l’effort de lobby est encore plus gros de la part de ces entreprises. Maintenant, comment y remédier ? C’est un enjeu complexe. Évidemment, il y a les solutions qui existent actuellement en termes de transparence et de lobby, mais je ne peux pas répondre directement, je peux répondre indirectement. Quand on a un parti politique au pouvoir pendant longtemps et que ce parti, par ailleurs, se fait le porte-parole du milieu des affaires, on se retrouve avec un appareil d’État contrôlé par des personnes issues du milieu des affaires. À ce moment, on a un problème de corruption extrêmement important. C’est ce que nous avons vu avec le gouvernement Harper. C’était une de ses grandes caractéristiques que de placer des gens du milieu des affaires un peu partout et à tous les niveaux, de changer le fonctionnement même des organismes de régulation de l’économie ou de surveillance de l’économie de manière Professeur au département de sociologie et à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM, Éric Pineault est sociologue et à augmenter la présence du monde des affaires dans ces appareils ou de diminuer leur emprise sur les décisions économiques. Cela allait dans les deux sens. Donc, aujourd’hui, ce qui se passe autour de TransCanada est le reflet de ces politiques qui ont été établies par le gouvernement Harper et l’on voit la même chose au Québec avec le Parti libéral. Il s’agit de la même approche et elle donne les mêmes résultats. Je pense que ce qu’il faudrait comme remède, c’est un changement de culture politique et des solutions politiques crédibles capables de se faire porte-paroles d’autres valeurs que de celles des multinationales. Peut-être que les élections municipales qui s’en viennent seraient le moment d’arriver avec une sorte de plateforme commune, ou de charte, ou de mouvement, qui ne serait pas partisane, mais qui permettrait de fédérer un ensemble de candidats autour d’une transparence, d’une plus grande démocratie, d’une transition écologique, de développement économique local, etc. C’est peut-être une façon de travailler.
B. : Vous expliquez dans le livre comment fonctionnent les écosystèmes, quel est le rôle de l’énergie et quelle est l’importance du pétrole et du charbon dans l’émancipation de nos civilisations. Il y a un lien fort entre la consommation de pétrole et le développement du capitalisme. On pourrait parler de dépendance puisqu’une croissance économique implique l’utilisation d’une énergie très puissante. Est-ce que le refus de l’Oléoduc Énergie Est est aussi un refus de continuer dans la mentalité de croissance infinie ?
E.P. : Oui, absolument. Pour moi, la lutte contre Énergie Est représente plusieurs objectifs dont un étant, évidemment, de bloquer un projet qui n’a aucun sens sur le plan écologique et sur le plan économique, on le montre bien dans le livre. Par contre, il y a un autre enjeu dans cette lutte qui est de faire de cette lutte un levier. Ainsi, ce n’est pas tant d’être contre une entreprise que d’ouvrir un espace de dialogue avec les concitoyens et concitoyennes sur l’avenir économique de notre société. Si l’on prend au sérieux l’idée des changements climatiques — de sortir du pétrole comme on aime le dire au Québec —, il y a des conséquences importantes à cela. La conséquence la plus importante est qu’il y a incompatibilité entre le mode de développement actuel de l’économie et la sortie du pétrole. On ne peut pas faire les deux à la fois, on ne peut pas continuer d’avoir le type d’économie qu’on a et, en même temps, penser se priver de cette source d’énergie abstraite, bonne à tout faire et qu’on utilise massivement. Donc, oui, cela implique d’ouvrir au moins la discussion sur l’avenir économique du Québec, du Canada et, éventuellement, de toute la planète.
Disons qu’on se situe à l’échelle du Québec. La croissance que nous avons connue depuis un peu avant la Révolution tranquille est venue changer le paysage au Québec, elle est venue changer les modes de vie et elle a été dopée au pétrole. Ce qui est épeurant, ce n’est pas seulement qu’elle a été dopée au pétrole, c’est qu’elle a eu besoin de plus en plus de pétrole. Nous avons accéléré notre usage du pétrole jusqu’aux années 2000. Puis, il a plafonné, mais il ne baisse pas, malgré tous les efforts que nous pouvons faire au Québec autour du soi-disant développement durable. On pourrait même dire que notre usage a baissé seulement parce qu’on a exporté la production à base d’hydrocarbures dans les pays autres que le Canada, en Chine en particulier. Donc, cela implique nécessairement un changement majeur. Le livre vise à ouvrir ce débat sur les nouvelles façons de comprendre l’économie, les circuits courts en particulier. Il se veut aussi une nouvelle façon de comprendre, d’ouvrir une discussion sur d’autres lieux de production que l’entreprise, que le travail formel. On peut se demander ce que l’on peut produire dans notre vie quotidienne autour du travail domestique, ce qu’on peut produire sur une échelle communautaire, s’il est possible de consommer complètement différemment aussi. Beaucoup de questions sont soulevées.
« La conséquence la plus importante est qu’il y a incompatibilité entre le mode de développement actuel de l’économie et la sortie du pétrole.»
B. : Que répondez-vous à l’argument suivant : « Tu es contre le pétrole, mais tu l’utilises tous les jours ! »?
E.P. : Je réponds deux choses. La première est que l’entrée des sociétés humaines dans l’ère du pétrole — et donc l’entrée du Québec dans l’ère du pétrole — n’est pas quelque chose qui a été faite par une addition de décisions individuelles. Ce fut une entreprise collective et ce fut quelque chose de mondial ; c’est la société qui est entrée dans l’ère du pétrole. Donc, on peut présumer que d’en sortir va aussi devoir impliquer des efforts collectifs. Il y a une limite aux efforts individuels, entre autres parce que la façon dont le pétrole rentre dans la société est comme une infrastructure pour la mobilité et ce n’est pas quelque chose qu’un individu peut vraiment contrôler. C’est une façon d’organiser l’espace et c’est aussi ce qui rentre à travers la matière qu’on consomme. Donc, c’est clair que l’on peut prendre des décisions à la marge, c’est-à-dire que l’on consomme moins de certaines choses, que l’on décide d’avoir un mode de vie moins dépendant de l’automobile, que l’on maximise notre usage du transport en commun. Toutes ces décisions marginales à l’intérieur de la marge de manoeuvre que nous laisse la société actuelle sont possibles, mais aucune de ces décisions individuelles ne changera la donne. La seule chose qui va changer la donne, c’est un effort collectif en termes de nouvelles infrastructures de mobilité, en termes de nouvelles règles de l’organisation de l’espace, du travail et de la production de ce dont on a besoin pour subsister. Il faut sortir le pétrole des objets que l’on consomme quotidiennement. En anglais, on appelle cela la « Do you drive ? » question.
B. : En ce moment, quelle est la position des dirigeants de TransCanada avec toutes les mauvaises nouvelles des dernières années (leur plan de communication dévoilé, le lien entre l’ONÉ et Jean Charest, le port de Cacouna et les bélougas) ? Croient-ils qu’ils vont réussir la construction de l’Oléoduc Énergie Est ou bien sont-ils en train de « capoter » dans les bureaux ? Ont-ils un plan B ?
E.P. : Je ne sais pas s’ils ont un plan B, mais on va ajouter un autre ingrédient dans ta soupe : des prix historiquement bas qui sont en deçà du seuil de rentabilité pour les projets d’extraction de sables bitumineux. Il est au-dessus du seuil de rentabilité pour le Dakota, et Énergie Est visait aussi à desservir le Dakota. Il y a plusieurs menteries qui se disent sur Énergie Est. Ce n’est pas vrai qu’il n’était que pour du pétrole canadien à 100 %. Il y a une part appréciable de ce qui devait couler dans le tuyau qui était le pétrole du Dakota, donc du pétrole américain qui était destiné à Saint-Jean. De Saint-Jean, le pétrole partait en bateau pour aller au Texas, en fait. Mais il y a eu des petits projets de pipelines qui se sont matérialisés dans le Midwest américain dans les deux dernières années. On ajoute donc tout cela à la soupe : le bas prix et ces nouveaux projets de pipelines qui se sont matérialisés dans le milieu du continent américain. Si j’étais un dirigeant de TransCanada, je serais vraiment très pessimiste. À titre d’illustration, il y a la récente transaction d’Enbridge, qui est la rivale numéro 1 de TransCanada. Celle-ci était plutôt dans le gaz naturel, mais aussi dans le pétrole. Pour Enbridge, c’est un peu l’inverse, elle était plus dans le pétrole que dans le gaz. Maintenant, la compagnie vient d’acheter une entreprise de gazoduc américaine extrêmement importante et devient de facto le premier joueur sur le continent américain dans le transport d’hydrocarbures. Elle a fait cela pour se diversifier. C’était même indiqué dans son communiqué de presse qu’elle voulait diversifier son activité pour être moins dépendante des sables bitumineux. TransCanada est très dépendant des sables bitumineux et j’aurais peur si j’étais dans leurs bureaux.
B. : Il y a en ce moment le projet de loi 106 qui sème la controverse. Quel est le problème avec ce projet de loi ?
E.P. : Il y a plusieurs problèmes, mais je dirais que ce qui sème le plus de controverse est d’abord la structure du projet de loi. Il montre tout le cynisme du gouvernement libéral. C’est un projet de loi sur la transition énergétique et sur les hydrocarbures. Donc, tout le monde qui a du bon sens demande à ce que le projet de loi soit scindé en deux, pour que l’on ait un débat public sur la première partie, la transition énergétique, et que l’on ait après un débat public sur l’encadrement de l’exploitation des hydrocarbures au Québec. Ce n’est pas logique de mettre les deux ensemble. C’est une tactique digne d’Harper et des lois omnibus d’Harper. Ensuite, il y a autre chose de mauvais dans ce projet de loi. On voit que c’est un projet de loi neutre par rapport à l’industrie des hydrocarbures. Ce n’est pas un projet de loi du 21e siècle qui dirait que l’on ne doit pas développer les hydrocarbures. On aurait pu bâtir un projet de loi qui vise à restreindre le développement de cette industrie et à minimiser sa capacité de développement parce qu’elle fait partie du passé. Au contraire, c’est un projet de loi qui vise à encadrer le développement et la croissance du secteur. La mesure emblématique de ce projet, la plus contestée aussi, est ce droit à l’expropriation qu’on octroie aux exploitants, dans le cas où le projet aurait un intérêt dit « public », un intérêt national. C’est ce que l’on fait pour les minières qui ont ce même droit. Alors, cela signifie que pour les gens de Gaspé, par exemple, si jamais le gisement s’adonne à être plus productif qu’on le pensait, on va venir s’installer pour vrai. Évidemment, les propriétaires de terrain, les gens qui ont des résidences sont affectés, mais les municipalités aussi perdent la capacité d’organiser le développement de leur territoire et d’en planifier l’usage parce que la loi passe directement par-dessus elles et elles n’ont pas d’emprise sur ce développement. La loi leur enlève finalement une capacité de planifier. Donc, les municipalités, rurales en particulier, sont aussi contre le projet. Je pense que c’est un projet de loi du 19e siècle. Je n’en reviens pas. Par rapport au projet de loi, l’autre chose qu’il faut réaliser, c’est que ce projet de loi n’est pas fait pour des petits projets qu’on voit actuellement. Le projet de loi est sur un horizon plus loin. On prévoit que dans 15-20 ans, ce sera rentable de commencer à exploiter les gaz de schiste au Québec. Et il y en a. C’est donc fait dans une perspective à très long terme de certitude qu’on va se rendre à avoir besoin de ces ressources d’hydrocarbure à mesure qu’on en manque ailleurs. Dans cette perspective, il faudra commencer à les exploiter et il faudra avoir une loi qui nous permettra de le faire.
B. : Vous allez être à Rivière-du-Loup le 5 novembre et à Rimouski le 4 novembre. À qui s’adresse votre conférence et de quoi parlerez-vous ?
E.P. : Ma conférence s’adresse aux citoyens et citoyennes qui veulent en savoir plus à la fois sur le projet Énergie Est et, en même temps, sur toute la question du développement des hydrocarbures extrêmes, c’est-à-dire des sources d’hydrocarbures non conventionnels qui ont le potentiel d’amener l’humanité à réchauffer la planète au-delà du fameux 2 °C. Ce n’est pas pour des experts, mais plutôt pour des citoyens engagés et citoyennes engagées, et aussi pour monsieur et madame Tout-le- Monde. Il y aura tout un aspect d’information et de réflexion. La présentation suit un peu la structure du livre : le projet et le contexte dans lequel on a un débat sur ce projet. Ensuite, de façon plus générale, les sables bitumineux, ce que représente le pétrole dans notre société et le lien entre la croissance économique et le pétrole. Puis, pour terminer, les solutions et les actions que l’on peut entreprendre collectivement vis-à-vis ces deux enjeux, l’enjeu spécifique de l’Oléoduc Énergie Est de TransCanada et l’enjeu plus général de la pression économique à extraire des hydrocarbures extrêmes.
Pour assister la conférence d’Éric Pineault
Ventredi 4 novembre, 19 h, Rimouski
Salon du livre, Centre de congrès de Rimouski
225, boulevard René-Lepage Est
Samedi 5 novembre 19 h 30, Rivière-du-Loup
Les Pétroliques anonymes
Centre Source Ôthentik, 314, rue Lafontaine