Un pays sans frontières intérieures

texte Philippe Dubé | Rivelois d’adoption et de coeur

Alors que l’ethnologie s’active à réfléchir aux mécaniques de l’agir humain qui produisent des traits culturels, on peut penser que la notion d’« empaysement » puisse, un jour, s’inscrire au palmarès d’un nouveau type d’activité dans une société donnée. Pour le comprendre, on pourrait d’abord considérer comme éminemment légitime la démarche politique de vouloir se doter d’un pays neuf en s’appropriant un territoire tout en lui attribuant une identité propre. C’est, à mon sens, une manière qui tient du besoin d’appartenir à quelque chose qui est de l’ordre du collectif, qui nous ressemble et nous rassemble, et auquel on peut s’identifier avec entrain jusqu’à, délibérément, embrasser un Nous commun dans lequel on se reconnaît. En somme, avoir une adhésion solidaire qui pourrait venir contrer l’errance dans laquelle nous plongent trop souvent les grands ensembles globalisés et mondialisés. Maintenant, est-il permis de penser que ce concept d’empaysement puisse trouver une application à une échelle plus individuelle qui implique, pour l’essentiel, d’intégrer une terre, sans pour autant s’y enterrer ? Il semble que nos ancêtres ont toujours fait ça, en sorte d’allers et de retours.

Allons voir comment le nouveau mot peut s’incarner. Tout d’abord, on doit préciser que ce néologisme de mon cru se trouve, en fait, à l’extrême opposé du concept de dépaysement qui semble correspondre celui-là au besoin déjà très répandu de vouloir, à l’occasion, changer d’air et s’ouvrir à de nouveaux horizons. Question de rebrasser les cartes pour mieux revenir au jeu, ragaillardi de forces nouvelles. Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Eh bien, ils la prolongent aussi en la préservant. L’empaysement est, au contraire, l’expression d’un besoin tout aussi vital, mais qui correspond celui-là à s’enraciner dans un coin de pays qu’on a choisi et dans lequel on espère pouvoir faire souche parce ce qu’il nous ouvre des perspectives d’avenir. Il offre en fait une manière de reconstruire sa propre identité en adoptant un nouveau milieu de vie et d’y contribuer significativement au meilleur de ses compétences. C’est d’ailleurs à ce prix que se joue le véritable enjeu pour celui ou celle qui décide d’émigrer de sa terre d’origine vers un autre coin de pays. Par le processus d’immigration, il ou elle cherche à s’empayser dans sa nouvelle patrie qu’on lui espère un jour devenir sa nouvelle fratrie.

Est-ce que le concept d’empaysement pourrait aujourd’hui être porteur de l’idée que chacun, à son niveau, doit jouer le jeu des alliances en cherchant à s’intégrer dans un ensemble qu’il ou elle a choisi ? Et par lequel, en tant que société d’accueil, il et elle ont été choisis pour venir enrichir le milieu qui leur offre de s’empayser, c’est-à-dire devenir membre à part entière de ce nouveau « pays » ? Cet échange de bons procédés se fait évidemment sur un mode bilatéral, c’est-à-dire qu’il se concrétise, de part et d’autre, en échange du don de soi pour mieux recevoir le don de l’autre et inversement. Il s’agit là d’un pacte secret, d’une entente implicite qui n’a pas besoin de mode d’emploi, mais qui bénéficierait, à mon sens, d’un énoncé de principes dans un cahier élémentaire d’intégration adressé à tout nouvel arrivant. L’accueil serait ainsi enrichi d’un véritable accompagnement. Pour finalement faire comprendre que l’empaysement n’est pas un enterrement, mais bel et bien un renouement, sinon un renouvellement.

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