par Alexis Boulianne, photos de Jonathan Gaudreau
« Et ça, c’est mon crâne. C’est ce que j’ai dans ma viande. Je me suis fait scanner la tête, j’ai trouvé un type qui fait de l’impression 3D, et voilà, c’est ma tête. »
Pierre-Henry Fontaine se tient dans son musée du squelette, sur l’ile Verte. Du plancher au plafond, des os de toutes les tailles et toutes les formes s’entassent dans un ordre qu’il semble parfaitement comprendre. Dans ses mains ridées mais fortes, un crâne, le sien, qu’il décrit avec la précision du scientifique. Véritable mise en abime, le musée du squelette est aussi tout en entier dans sa tête; on peut y rester des heures à l’écouter nous raconter l’histoire de chaque os qui s’y trouve. Outre le musée du squelette, sa terre et sa maison sur l’ile Verte, Pierre-Henry Fontaine, qui soufflera 80 bougies l’année prochaine, a consacré sa vie à l’enseignement, entre autres avec les futurs gardes-chasse. Ossements en main, il leur expliquait comment repérer les traces de traumatisme sur les animaux afin de déterminer la cause de leur mort. Dans la salle de classe de jadis, comme dans la grange qui abrite ses trésors aujourd’hui, il besogne à alimenter la flamme de la connaissance. « Quand on comprend, le monde autour de nous arrête de nous faire peur. Et quand on n’a plus peur, on devient des personnes meilleures, parce qu’on a envie d’aimer », raconte-t-il, ses yeux bleus perçants s’adoucissant soudainement.
« Quand on comprend, le monde autour de nous arrête de nous faire peur. Et quand on n’a plus peur, on devient des personnes meilleures, parce qu’on a envie d’aimer. »
Loin du politically correct
Cet indocile ne se fait pas d’amis parmi les militants environnementalistes. En critiquant ouvertement les positions des groupes écologistes ou animalistes comme Greenpeace ou la Humane Society, Pierre-Henry se pose en défenseur de la rationalité et de la science. Pour lui, les émotions, aussi importantes soient-elles, n’ont pas leur place dans le débat public. Une peau de phoque en main, il cite en exemple la saga entourant la chasse aux phoques, et particulièrement celle des blanchons. Selon lui, il est absurde d’empêcher la chasse aux blanchons, les jeunes du phoque du Groenland, puisque leur fourrure est de bien meilleure qualité, et que la seule différence entre un blanchon et un phoque dit adulte est de 3 ou 4 semaines. D’après lui, l’interdiction de la chasse aux blanchons fait plus de mal qu’elle ne fait de bien. « Les gens critiquent la chasse aux phoques avec un manteau synthétique sur le dos, sans broncher. Moi, je leur dis qu’ils portent, c’est du pétrole! Nous avons une ressource renouvelable et écologique [dans le phoque] », explique-t-il. Même chose pour le castor, dont le nombre n’arrête pas d’augmenter depuis qu’on ne paie plus les trappeurs pour les peaux. Les dégâts causés par le rongeur se comptent, selon Pierre-Henry, en plusieurs centaines de milliers de dollars. S’il lance beaucoup de pots, il sait toutefois lancer des fleurs. « Il y a une chose dont je suis fier des écologistes, c’est d’avoir pris le bélouga comme emblème pour l’opposition au projet de port pétrolier à Cacouna », nuance-t-il. Lui-même avoue avoir un impact environnemental très grand. Dans sa cour, un VUS, un quad et un tracteur sont stationnés côte à côte. « Je ne suis pas un exemple. C’est sûr que je pollue beaucoup, mais à mon âge, c’est le prix que je dois payer si je veux rester ici, sur l’ile Verte », admet-il.
« Il y a une chose dont je suis fier des écologistes, c’est d’avoir pris le bélouga comme emblème pour l’opposition au projet de port pétrolier à Cacouna.»
Cette terre, il y a vécu pendant des décennies. Un des premiers étrangers à s’installer sur l’île Verte, il se rappelle bien les premières traversées, en chaland de pêcheur. Aujourd’hui, l’ile est une destination de plus en plus populaire, pour sa facilité d’accès et son décor dépaysant et enchanteur. Il exprime souvent le souhait que ses enfants héritent un jour de sa terre à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, mais on sent qu’il souhaite aussi léguer autre chose de plus vaste et de plus nébuleux à la fois. « Moi, j’ai un message à passer, c’est que la science, c’est amusant, et que la science fait partie de la culture. Il faut redorer l’image de la science, parce que c’est vu comme quelque chose de rebutant », martèle-t-il.
La mort
Pierre-Henry a côtoyé la mort de près, l’année dernière. Il a perdu son fils, dans un bête accident d’hélicoptère. « C’était lui qui allait reprendre la maison, c’était lui qui était intéressé au musée. Ça m’a enlevé une grosse motivation. Faut que je me cramponne maintenant pour conserver mon plaisir à vivre, faut vraiment que j’aille le chercher un peu plus loin », raconte-t-il, le ton grave. Pour Pierre-Henry, le plaisir est un leitmotiv qui domine sa vie bien remplie.
« Il a perdu son fils, dans un bête accident d’hélicoptère. »
Celui qui a tant appris à tellement de gens croit toutefois qu’il n’est pas remarquable. « S’il y a quelque chose de remarquable chez moi, c’est que j’aime faire les choses que je fais, et je les fais parce que j’aime les faire », admet-il finalement. Si le squelette – animal ou humain – évoque une chose, c’est bien la mort. Mais dans un vieux bâtiment de l’ile Verte rempli d’ossements, la vie émerge de son mutisme comme jamais. Au centre de cette frénésie silencieuse, Pierre- Henry Fontaine contemple son théâtre, là où il a mis en scène des drames et des comédies innombrables; si les acteurs sont les os, il sait les faire parler comme personne.