Suis ta voie, petite abeille !

Rencontre avec Jeanne-Mance Roussel | texte Annie Boudreault

 

Dans les jardins de mon enfance, je suis une abeille. Ma demeure est une ruche pleine de chambres pouvant accueillir beaucoup, beaucoup de petits frères et de petites soeurs. Elle a été construite pour ça, mais elle sonne plutôt l’écho. La reine aurait bien voulu entendre les bourdonnements de joie d’une famille nombreuse, mais la maladie en a décidé autrement. Elle nous parle à travers une alvéole et j’aime entendre sa voix. Douce, rassurante, encourageante et joyeuse, malgré son bruissement saccadé et différent. Et moi, je lui raconte mes journées, mes projets et mes rencontres. J’aime bien les gens, les petits comme les grands. Mais je me demande pourquoi les abeilles ouvrières de mon village empruntent cet air triste quand elles parlent de ma mère. Elles me disent même : «Pauvre toi !» Pourtant, nous ne sommes pas pauvres ni tristes. À l’intérieur de notre ruche rayonne la joie. Papa bourdon veille bien sur son petit essaim. En plus de prendre grand soin de sa reine, il passe du bon temps avec ses petites nymphes à jouer, à écouter des contes de Noël, et même à nous emmener manger une glace en pleine semaine. Mère dit parfois de lui: «Il n’est pas parfait, mais pas loin !» Je suis d’accord avec elle. Mais venant de la reine, ça ne me surprend pas. Elle est si bonne ! Ses paroles d’encouragement agissent sur moi comme du nectar qui deviendra miel. Je crois qu’elle exagère un tout petit peu quand elle me dit que je repasse les draps mieux qu’elle. Ou peut-être pas. Je pense être capable de réussir bien des choses si j’en ai envie. Un jour, ma soeur me demande de lui fabriquer une jolie robe. Même si je n’en ai jamais fait, la reine me dit d’aller chercher du tissu pour la réaliser. J’ai tant observé ma grand-mère lorsqu’elle cousait que je suis sûre de réussir.

 


Illustration de Maxime

 

Le temps passe dans cette merveilleuse demeure. J’étudie, je suis vaillante ; c’est le propre des abeilles. Grâce à mon travail acharné, je réalise enfin mon rêve de devenir institutrice. Quel bonheur ! Pour toute ma vie, je désire aider les petites abeilles à apprendre. Voilà, à butiner je tombe amoureuse ! Je devrais aller vivre avec mon amour, dans sa ruche, parce que c’est comme ça que ça marche. Nous en décidons autrement. Je devrais arrêter d’enseigner pour me consacrer à mes petits, parce que c’est comme ça que ça marche. Nous en décidons autrement. J’ai décidé de suivre ma voie, celle qui m’a guidée toute ma vie et qui me disait: «Le bonheur est là, vas-y, peu importe ce que les autres en pensent !» Je pense que c’est grâce à la confiance de père et mère. Je crois sincèrement que la reine avait lu, dans le grand livre des prophéties de son coeur, qu’une abeille ne doit pas travailler que pour un essaim, mais pour toute une colonie.

 

Quelle merveilleuse personne que cette Jeanne-Mance ! Yeux doux et généreux remplis d’éclats d’amour de la vie et de gens. Malgré mon expérience de 18 années à prendre soin des aînés, le récit qu’elle m’a fait de son enfance m’a réconciliée avec le côté strict du comportement parental de l’époque, où l’opinion de l’enfant n’était nullement considérée et où les périodes de jeux avec le père ou la mère n’existaient pas. Merci beaucoup, petite abeille, d’avoir partagé un peu de ton miel ! – Annie

 

À propos de Marie-Amélie Dubé

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