Slam RDL – Sans titre 1 et 2

texte Benoit Ouellet

Janvier a connu deux soirées slam alors que s’ajoutait une 5e soirée spéciale en collaboration avec le Musée du Bas-St-Laurent. Benoit Ouellet, Monica Simard et Geneviève Malenfant-Robichaud se sont qualifiés pour les finales du printemps. Voici un extrait de cette soirée à travers les textes du grand gagnant : Benoit Ouellet.

SANS TITRE 1
Entendez-vous la rumeur qui gronde, résonnant des tréfonds de l’existence, amplifiée par un mal-être collectif qui gruge sournoisement les parois de la caisse de résonnance ? Un bruit noir, opaque, gluant et dense comme le goudron. Un bruit qui monte, qui gagne du terrain, qui s’approche.

L’entendez-vous ?
Entendez-vous les fréquences du sang, de celles qui éventrent la terre sans crier gare, sous nos pieds, à la surprise générale, comme un ballon qui éclate soudain ? Un son qui couvre le spectre des malheurs, qui enterre les guitares et les pianos au profit des cors de guerre et des cornemuses. Un bruit qui court, qui s’impose, qui s’invite.

L’entendez-vous ?
Entendez-vous gémir, dans un petit coin sombre… eeee… un être chétif, qui ressemble à… André Sauvé, les yeux exorbités, habillés de paillettes et de manches bouffantes qui se lève tranquillement pour danser sur cette musique originale ? Il ressemble à… l’image qu’on aurait de l’amour. Et puis ses jeans qui frottent ensemble, ça fait un bruit vraiment pas agréable… Il aurait dû mettre des culottes en toile. Un gémissement rapide, oublié, heureux.

L’entendez-vous ?
Entendez-vous… le « chick a chick a boom chick » ? Un peu partout. C’est l’fun en tabarnak. C’est très joyeux, comme… comme quand on mange un bon gâteau. Ça pétille asti !C’EST HOT !

ENTENDEZ-VOUS ?
Entendez-vous… l’homme qui parle grand, mais qui au fond n’est qu’un enfant ?

SANS TITRE 2
Lucien fait craquer sa chaise berçante en parfaite synchronicité avec la trotteuse de l’horloge grand-père. Le cendrier sur pied reçoit son huitième mégot de la journée. Il est 11 h 23. Les yeux bleus perdus dans l’étendue blanche sans nuance de son champ, les oreilles bercées par Mario Dumont, l’odeur du baloney qui se mélange à l’odeur de la cigarette.

Céline sort la poche de riz minute du micro-ondes, ajoute de la margarine dans la poêle pour donner le bon goût que son mari aime tant aux tranches frétillantes et verse deux grands verres de Coke. Pas d’glace.

Lucien ne connaît aucun jeu de cartes, ne sait jouer d’aucun instrument, mais est habile à trier des pistaches imparfaites sur un tapis roulant.

Céline ne sait pas faire un bouillon, ne sait pas comment cuisiner l’orge, ne connaît pas les plantes qui ont jadis meublé le sol de son terrain, aujourd’hui enseveli sous des rouleaux verts plastiques.

Lucien et Céline voyagent. Ils ont foulé les grands hôtels de la République dominicaine et du Mexique, exhibant leurs corps blêmes aux rayons chauds du Sud. Ils ont observé les populations locales comme les animaux aux zoos, les regardant danser dans des costumes flamboyants.

Lucien et Céline sont catholiques, comme l’étaient leurs ancêtres. Ils prient le Dieu qui les a choisis eux, leur peuple, leur race, pour être sauvés. Le crucifix au-dessus de la porte de leur chambre tatoue leur allégeance.

Lucien et Céline ont des tonnes d’amis. Leurs soirées sont consacrées à alimenter leurs amitiés, exprimant leurs opinions en les tapochant sur un clavier. On dit qu’ils ne rient jamais, même quand ils écrivent « rire » dans une conversation.

Lucien et Céline sont connectés, bien servis, en santé, divertis. Ils ne sont ni heureux ni tristes. Ils sont. Ils ne ressentent maintenant qu’une émotion : la peur.

La peur qu’on leur enlève leurs repères, leur facilité, leur micro-onde, leur ordinateur, leur crucifix, leur voiture, leur travail, leur Mario Dumont qui lance des coucous en arrière-plan.

Vivre comme leurs parents. Et leurs grands-parents. Et leurs arrière-grands-parents. Et leurs ancêtres.

Ne pas reculer, ne pas perdre notre intelligence. Le luxe, ils y ont droit. Ils ont travaillé assez fort.

Lucien est fier de raconter que son grand-père a bâti de ses
mains sa maison.

À propos de Marie-Amélie Dubé

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