Texte et photo | Michel Lagacé
Louise, regardant Hubert
— Sommes-nous seul·e·s ?
(Louise hésite et répète.)
— Je t’avais pourtant dit de venir seul.
Hubert
— Iels sont tou·te·s dans la salle, et nous sommes seul·e·s dehors. Enfin, dans ce décor d’arbres de carton sur une scène.
Louise
— J’ai une histoire surprenante à te raconter et je ne veux surtout pas qu’elle arrive aux oreilles de tout ce monde qui te suit. Peu importe où tu vas, iels s’agglutinent à toi depuis que tu as eu un rôle important dans une série télévisée. C’est devenu presque impossible d’avoir une rencontre plus intime avec toi dans un théâtre.
(Louise reprend sur un ton plus intime.)
— Hubert… Comment te sens-tu face à cette popularité et à son effet collatéral ?
Hubert
— Je me sens comme toi, un acteur, mais un acteur que l’on reconnaît dans la rue. Mais depuis plus de deux ans, je me cache, comme toi, derrière un masque. Certaines journées, il est noir, et d’autres journées, bleu hôpital.
(Hubert poursuit en chuchotant.)
— Louise… Ton histoire ne devrait pas s’ébruiter. Je la raconterai aux autres, juste quand j’aurai ta permission.
Louise
— Iels nous écoutent déjà, Hubert.
Mon histoire est tellement insignifiante, et contrairement à ce que l’on pense, iels s’y intéresseront encore plus.
Hubert
— Ça n’a plus beaucoup d’importance… Iels disent tou·te·s que c’est la fin d’un monde, après tout.
Louise
— Plus une histoire est une actualité croustillante liée aux autres et à leur corps en particulier, plus elle les intéresse. Ce qui ne lui enlève pas son insignifiance du point de vue philosophique. Notre conscience des choses importantes s’estompe généralement pour ne laisser la place qu’à notre curiosité maladive pour des banalités.
Pourtant, il est grand temps de se poser de grandes questions existentielles, surtout depuis que nous savons que la perfectibilité des femmes et des hommes reste à prouver. Quelles valeurs défendre, surtout si elles sont toutes relatives ? La vérité est une construction comme une autre et elle dépend de ce que l’on a enregistré des horreurs d’hier. Voulons-nous vraiment revivre ces horreurs passées et cette indifférence collective pour l’humanité ? NON ! Alors, soyons conséquent·e·s, prenons collectivement les bonnes décisions.
(Louise se rapproche d’Hubert, tout en continuant à lui parler.)
— Prends Facebook en exemple. Ce n’est que ça, de l’insignifiance, et en même temps une trace souterraine très significative de tout ce qui est refoulé en nous – surtout notre égo. Ça, c’est une des grandes insignifiances plutôt explosives du monde moderne, une sorte de mine personnelle qu’il faut désamorcer en se débranchant de notre image, en la remplaçant par des images de la nature, car enfin, on est tou·te·s responsables de la destruction de la nature et pas assez de sa guérison.

(Louise se choque et se met à sacrer.)
— CHRIST DE CARIBOUS ! CARIBOUS ! CA… RI… BOUS !
(Louise reprend presque en criant.)
— Hubert… Rechargeons le ciel et la forêt d’images réparatrices de leur beauté, des images qui ravivent les désirs émancipateurs, qui nourrissent le réel de nouveaux récits !
L’erreur de la Modernité est d’avoir cru que les guerres du XXe siècle, que les maladies du Moyen-Âge sont loin derrière nous et que même l’Antiquité est morte. Nous avons remplacé notre dialogue avec les autres par des insignifiances, des destructions et des croyances technologiques pas si miraculeuses que ça.
Hubert
— Ton histoire est une histoire de paysage, de technologie, de sexe, de maladie, de vengeance, de fin du monde ? Que sais-je ?
Tu sais bien que tout ce qui intéresse vraiment les gens, ce n’est plus rien d’extérieur à eux. Il n’y a que l’effet miroir qui les anime. Tu voudrais qu’ils arrêtent de se brancher que sur leur identité ?
D’ailleurs, je suis une extension de leur moi : un miroir. C’est pour ça qu’iels me suivent, justement à cause de mon rôle dans la série télé.
(Hubert se rapproche de Louise.)
— Louise, allez… arrête de tourner autour de ces arbres de carton, arrête de tourner autour du pot. Raconte-moi ton histoire.
Louise
— Pas si vite, patience. Il faut te préparer, et eux·elles aussi. Il faut lentement avoir l’attention de toutes ces personnes venues te voir. Ça se monte par petite touche, afin qu’iels soient assez intrigué·e·s pour être suspendu·e·s à mes lèvres. Et contrairement à ce que tu suggères, ce n’est ni une histoire de sexe, ou enfin si peu, ni une histoire de maladie. Ces histoires-là ont été tellement présentes dans notre quotidien, alors pourquoi en faire le contenu d’une histoire fictive ? On en a jusque-là (Louise fait le geste avec sa main), jusqu’au masque de ces maladies virales ! En dernier lieu, ni une histoire de vengeance. Je n’ai pas le goût de me venger de personne, ni de toi ni des camionneurs, ni de l’élite ni du système de santé, ni de la droite ou de la gauche. Encore moins des gens dans cette salle. De toute façon, avec ces lumières qui m’aveuglent, je ne les distingue pas. Iels sont peut-être comme moi : aveugles. Iels ne voient RIEN venir, iels ne font RIEN, iels ne changent RIEN à leur habitude. RIEN.
Louise et Hubert, ensemble, en interpelant le public dans la salle
— Tournez la page et constatez, comme nous, qu’il n’y a plus RIEN, que des nuages.
Louise en se tournant vers Hubert
— Inconsciemment, iels savent qu’iels sont les prochains dinosaures.