par Marie-Amélie Dubé, dans le cadre d’une rencontre avec option médias du Cégep de la Pocatière
photo Sarah Dagenais, illustration Busque
C’était la première journée d’automne et je me dirigeais vers le repère de ma post-adolescence : le Cégep de La Pocatière. J’étais à la course comme à l’habitude et, comme si cela pouvait me ralentir dans mon élan, le voyant lumineux du réservoir à essence s’allume. Il était alors 11 h 15 et j’avais 45 minutes pour faire les 68,4 km qui me séparaient d’une rencontre avec Rose-Aimée Automne T. Morin, rédactrice en chef d’Urbania, magazine indépendant appartenant à Philippe Lamarre. Je mangeais du général Tao de La Bette, une main sur le volant, une main sur le pot Mason. Parfois j’alternais pot Mason, cellulaire, cellulaire, pot Mason. Faut dire que mon nouveau graphiste venait de commencer le montage de mon 2e magazine et qu’on était aussi en tombée pour fêter l’automne. Les courriels rentraient aussi vite que les cubes de tofu que je mangeais et que mon niveau d’essence qui décroissait. Mais rien n’allait m’arrêter parce que cette rencontre arrivait à point pour moi. C’était purement égoïste. J’avais des questions sur l’avenir de La Rumeur du Loup et j’avais confiance que cette jeune femme, modèle de fraîcheur qui rompt habilement la mollesse des médias traditionnels, allait me fournir bien du matériel à réflexion.
Rose-Aimée Automne T. Morin
Rédactrice en chef du magazine Urbania, paraît deux fois l’an ;
Blogueuse sur le portail Web d’Urbania ;
Animatrice de la série documentaire multiplateforme Urbania, déployée sur toutes les branches de Radio-Canada ;
Collaboratrice à ALT (VRAK), à Esprit critique et à La vie n’est pas un magazine (ARTV) ;
Chroniqueuse à On dira ce qu’on voudra (ICI Radio-Canada Première).
Marie-Amélie Dubé : Est-ce que le magazine imprimé est voué à une mort prochaine ?
Rose-Aimée Automne T. Morin : C’est compliqué, c’est très difficile. J’imagine qu’il serait voué à une mort si l’on ne revoyait pas son système de financement. Heureusement, j’ai la chance d’avoir des partenaires financiers qui embarquent sans regard sur le contenu éditorial, en faisant une confiance aveugle [ici, je suis jalouse de cette liberté d’exécution], et qui me permettent de faire des magazines sans me préoccuper d’une mort imminente. Donc, en m’associant avec des partenaires qui partagent nos valeurs, mais qui ne s’immiscent pas dans le contenu, j’ai la chance de faire mon métier en toute liberté et d’avoir des sous pour continuer à faire de l’imprimé. Mais l’imprimé, c’est très difficile, on ne se mentira pas. La publicité traditionnelle dans le magazine, c’est l’enfer.
M.-A.D. : Dans une réalité urbaine comme Montréal, vous n’êtes pas le seul imprimé. J’ai l’impression, mais je me trompe peut-être, que de se décliner sur d’autres plateformes est nécessaire pour faire survivre le magazine.
R.-A.A.T.M. : À 100 %. D’un point de vue financier, avant que des partenaires comme Desjardins embarquent, on avait vraiment besoin des autres hobbys d’Urbania pour donner un coup de main au magazine. Pour nous, le magazine est très important parce que c’est notre ADN. On est né magazine, le magazine Urbania n’est pas près de disparaître, mais c’est sûr que nos autres activités sont venues donner un coup de main dans le passé.
M.-A.D. : Est-ce que votre clientèle s’est développée depuis que vous êtes sur de multiples plateformes ?
R.-A.A.T.M. : Je ne sais pas ! Le site Web Urbania.ca est visité par des millions de personnes. C’est sûr qu’avec un tirage de 10 000 exemplaires, on n’atteint pas autant de gens. Par contre, on sait qu’une personne ayant le magazine le prête beaucoup. On a fait une étude pour voir et, souvent, pour un magazine, trois personnes vont l’avoir lu. Aussi, le magazine est dans toutes les bibliothèques. Il y a un bien plus grand lectorat que notre tirage. Mais c’est sûr qu’il y a beaucoup plus de gens qui consomment Urbania.ca. C’est le vrai moteur de la marque depuis quelques années, c’est ce qui attire le plus de gens parce que c’est un lieu où il y a des prises de position d’une diversité de gens de tout partout. Ce peut être des vedettes comme Safia Nolin, ce peut être un jeune en région qui veut nous parler de la vie à La Pocatière, ce peut être des femmes musiciennes tannées qu’il y ait juste des hommes qui « leadent » leur orchestre, ce peut être Lili Boisvert qui veut nous expliquer pourquoi elle ne fait plus l’amour depuis un an. C’est un lieu pour prendre parole, quand on a quelque chose de pertinent à dire, ce n’est pas un site niaiseux. C’est un site qui rassemble tant de communautés diverses qu’il fait exploser nos statistiques. C’est celui qui attire le plus grand nombre.
M.-A.D. : Combien d’employés êtes-vous juste pour le magazine de 160 pages ?
R.-A.A.T.M. : Ma coordonnatrice et moi travaillons dessus à temps plein. On ajoute en période de production un designer, une DA, un infographiste et deux adjoints à la rédaction. Les autres sont des collaborateurs à la pige, mais j’en ai plus d’une centaine : auteurs, illustrateurs, photographes, réviseurs, adjoints. Alors on est une petite équipe de sept personnes pour la production et plus d’une centaine de collaborateurs pour chaque numéro.
M.-A.D. : Je viens de faire l’acquisition du magazine et je souhaite augmenter sa visibilité, qu’il devienne multiplateforme pour le positionner davantage. Quels sont les conseils que tu pourrais me donner ?
R.-A.A.T.M. : Je ne sais pas si c’est un conseil, mais je sais que c’était important que notre ADN demeure le même. On a toujours fonctionné par thème et par personnage dans le magazine. On s’est cherché un peu sur le Web, parce qu’on est parti en se disant qu’il va y avoir des chroniqueurs et il y a eu beaucoup de tranches de vie, ce qui est très intéressant, mais dans le magazine, ce n’est pas des tranches de vie que l’on veut, c’est du reportage, c’est de l’entrevue, c’est du portrait. Depuis quelques années, on s’enligne plus sur le magazine, parce qu’on pense que c’est important d’être cohérent dans notre ton, dans nos valeurs, dans notre ADN. Donc, on essaie d’aller plus vers l’autre que vers soi. C’est toujours ce qu’on a fait, en se mettant en scène évidemment parce que c’est du journalisme gonzo, mais on a réalisé qu’on avait vraiment envie d’ouvrir vers l’autre, de revenir à l’essence d’Urbania.
M.-A.D. : Le Web est-il complémentaire au magazine ou est-ce systématiquement ce qui se retrouve dans le magazine qui se retrouve aussi sur votre site Web ?
R.-A.A.T.M. : Pas nécessairement. Je mets certains des articles du magazine sur le Web, si l’on considère qu’ils ont une vie là, parce que le format est complètement différent. Un excellent article du magazine peut passer complètement inaperçu sur le Web parce qu’il n’est pas adapté aux habitudes de nos lecteurs sur le Web. Il y a une sélection qui se fait en fonction du nombre de mots, en fonction de ce qui s’est passé dans l’actualité. Est-ce que j’ai un article qui résonne dans ce qui se passe ? Puisque c’est un contenu qui est consommé sur portable aussi, il arrive souvent qu’un photoreportage ne se ramasse pas sur le Web, mais plutôt en papier glacé. La sélection se fait vraiment pour répondre aux habitudes de nos lecteurs sur le Web. Elles sont très différentes, alors c’est aussi un conseil pour faire le virage multiplateforme : rester fidèle à son essence, mais adapter le format. On réécrit même les titres. Quand je mets un article du magazine sur le Web, il n’aura pas le même titre. Moins long, beaucoup plus concret, parce qu’on réalise que les gens veulent savoir dans le titre ce qu’ils vont lire. Dans le magazine, un titre poétique fait bien mieux. Alors, on transforme le contenu pour l’adapter au Web, mais le tout reste du Urbania.
M.-A.D. : Est-ce qu’il y a un média que tu apprécies davantage ?
R.-A.A.T.M. : La radio. La radio, c’est la plus belle chose. La radio, c’est fou. J’adore, j’adore, j’adore la radio ! Parce que je ne suis pas obligée d’être maquillée, ça, c’est la raison principale. À la télé, il y a quand même une pression : on ne porte pas les mêmes vêtements deux fois, il y a toute une équipe qui me poupoune, il y a quelqu’un qui passe une heure et demie sur mon corps avant que l’on me voie à un écran. C’est correct, je trouve ça cool, j’aime ça être chick, ça me va, mais me pointer à la radio et n’avoir que mes mots pour communiquer, c’est fou.
M.-A.D. : Il y a des radios qui ont commencé à filmer les animateurs. Qu’en penses-tu ?
R.-A.A.T.M. : C’est correct, parce que c’est vrai que je me laisse accrocher par les sous-titres sur Facebook. Je me laisse accrocher et je lis la chronique, mais je ne regarde pas le chroniqueur, ce sont ses mots que je consomme, alors ce n’est plus du tout de la radio, je suis en train de lire un article. Cela ne me dérange pas que l’on me filme non plus. J’aime la proximité donnée par la radio. Je ne me fais jamais autant écrire par des inconnus qu’après une chronique radio.
M.-A.D. : Finalement, pourquoi fais-tu ça ? Qu’est-ce qui t’anime dans ce métier ?
R.-A.A.T.M. : Parce que j’aime vraiment beaucoup les gens, parce que j’aime entendre leur histoire, parce qu’il y a plusieurs jeunes filles qui m’ont écrit pour me dire que, depuis quelque temps, elles ne s’étaient pas reconnues souvent dans les médias et que j’étais l’une de celles, dans tout ce mouvement où il y a de plus en plus de jeunes femmes décomplexées devant les micros, qui leur faisaient du bien des fois. C’est pour cette raison que je le fais. Je le fais pour les commentaires de jeunes femmes qui me disent : « Je ne sais pas quoi répondre au garçon qui m’a dit que le féminisme n’avait plus sa raison d’être en 2017. » [rires]
Urbania
La mission qu’URBANIA s’est donnée, c’est d’être d’audacieux anthropologues de la culture populaire et de la société, tous âges et toutes classes sociales confondus. Que ce soit à travers son magazine, son site Web, ses séries télé ou ses événements, URBANIA est une tribune, un portevoix pour des points de vue singuliers, des témoignages troublants, des idées à tester et des coups de gueule qui frappent, provoquent des réactions et renversent les perceptions. Fabriqué à Montréal depuis 2003, il s’adresse à une communauté de gens curieux qui ont soif d’un média intelligent, irrévérencieux et fougueux. – Source : Urbania.ca
Journalisme Gonzo
En immersion dans son sujet, le parti pris par le journaliste « gonzoide » est de s’exprimer à la première personne, et non de façon neutre et objective comme l’exige en principe la déontologie journalistique. Il informe ainsi son lecteur de la nature et de l’intensité des facteurs « déformant » son point de vue. En faisant appel à son sens critique, le lecteur peut ensuite recomposer une image plus vraisemblable de la réalité s’il le souhaite. L’auteur assume la subjectivité de son propos, dont l’angle se rapproche du récit autobiographique. Bien que restant du journalisme, le procédé gonzo est ainsi avant tout une expérience littéraire proche de la nouvelle, texte de fiction court mettant en scène une tranche de vie. – Source : Wikipédia
Devenir la reine du journalisme gonzo
Leçon 1 – La recherchiste, c’est la personne la plus importante de l’équipe.
Leçon 2 – Trouver un mentor.
Leçon 3 – … Essayer?
Leçon 4 – Aimer et être aimable.
Leçon 5 – Avoir quelque chose à dire.
Leçon 6 – Apprendre à observer.
Leçon 7 – Faire comme bon vous semble.