texte Isabelle Arseneau, doctorante en didactique des sciences, Université Laval
« Je ne veux pas de votre espoir, mais je veux que vous commenciez à paniquer. » – Greta Thunberg, 16 ans, au Forum économique de Davos, le 25 janvier 2019.
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Désormais, aucun jour ne passe sans qu’on entende parler, dans les médias ou à l’école, de la crise climatique, de la perte inquiétante de biodiversité ou de problèmes de contaminations industrielles des sols, de l’air et de l’eau. Ces questions sont à ce point sérieuses qu’il importe que des changements drastiques s’opèrent rapidement dans nos sociétés. Plusieurs croient que l’éducation scientifique joue à cet égard un rôle important. D’ailleurs, les programmes et les politiques éducatives à l’échelle locale et mondiale accordent de plus en plus d’importance à l’alphabétisation scientifique des jeunes qui apparaît aujourd’hui nécessaire pour que tous se sentent capables de contribuer aux conversations sociopolitiques, de participer aux décisions et d’agir sur les situations. Ces préoccupations s’inscrivent dans un courant de l’éducation des sciences et technologies se voulant plus critique et qui cherche à répondre de manière réfléchie, progressiste et efficace à l’aggravation des injustices locales et mondiales. Selon cette perspective, l’enseignement des sciences devrait expliciter l’enchevêtrement sciences, technologies, société et environnement en permettant de réfléchir à la façon dont les savoirs scientifiques sont produits, déplacés et utilisés dans la société. Il devrait également éclairer et mobiliser des cas de participation citoyenne, de conversation sociopolitique ou de collaboration dans lesquels des groupes d’interlocuteur.rice.s diversifié.e.s se déploient. Dit autrement, les savoirs scolaires devraient être contextualisés en référence à leur implication dans la société. Les jeunes seraient alors davantage en mesure de comprendre les processus sociaux en jeu lorsque des questions de nature environnementale ou sanitaire se posent.
Pour ce faire, l’enseignement des questions scientifiques socialement vives (QSSV) apparaît comme une stratégie didactique pertinente, car elle vise explicitement à former des jeunes citoyen.ne.s informé.e.s, critiques, soucieux.ses de justice sociale et environnementale et porté.e.s vers l’action sociopolitique (Albe, 2009). L’enseignement de telles questions est d’ailleurs suggéré dans le Programme de formation de l’école québécoise. Plusieurs QSSV soulèvent actuellement des débats et des désaccords au sein de la société québécoise. Pensons par exemple au projet Ariane Phosphate, au projet gazier Énergie Saguenay ou encore au projet d’expansion du pipeline Trans Mountain. Si ces questions comportent des enjeux multiples (scientifiques, environnementaux, politiques, économiques, juridiques), des incertitudes et des risques sociotechniques, elles nécessitent la prise de décisions qui fait appel non seulement aux savoirs des scientifiques, mais aussi à la prise en compte des points de vue des citoyen.ne.s. Ainsi, lorsqu’elles sont enseignées à l’école, certaines de ces questions permettent de présenter aux étudiant.e.s des modèles de participation citoyenne authentique afin d’éclairer le rôle des leaders, des expert.e.s et des citoyen.ne.s dans la prise de décisions démocratiques.
Par ailleurs, l’enseignement de ces questions peut également permettre de confronter l’idéologie dominante qui est caractérisée par une conception de la nature comme ressource matérielle à exploiter, par la promotion d’un système industriel globalisé générant des risques pour la santé et l’environnement et par la croyance que le progrès des sciences et des technologies permet d’analyser et de répondre aux enjeux liés à l’environnement et au développement durable. Or, une telle idéologie confère un statut particulier aux savoirs et à l’expertise scientifiques, ce qui place les citoyen.ne.s dans une posture déficitaire et n’encourage pas les processus démocratiques. Pourtant, de nombreux exemples documentés par les science studies ont montré que les citoyen.ne.s concerné.e.s par les questions environnementales et sanitaires comme celles énumérées ont la capacité et souvent le rôle de redéfinir les problèmes, de soulever les débats sociopolitiques, de pointer les incertitudes et d’identifier les débordements potentiels (Callon, Lascousmes et Barthe, 2001).
En somme, il importe d’outiller les jeunes citoyen.ne.s à participer de façon féconde aux discussions et aux prises de décision qui concernent leur environnement et leur santé. Cela exige de les accompagner à développer un rapport émancipé aux expert.e.s et à reconnaître leurs rôles et leurs capacités dans la gestion des QSSV qui traversent la société. Surtout, les jeunes doivent pouvoir envisager un monde plus juste et plus sain dans lequel ils ont leur mot à dire. L’école a ce devoir de leur offrir de l’espoir, mais avant tout, un pouvoir-agir.
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Quelques références pour aller plus loin
– Sur l’enseignement des QSSV : Albe, V. (2009). Enseigner des controverses. Rennes : Presses universitaires de Rennes.
– Sur les dynamiques sociales des QSSV et la participation citoyenne : Callon, M., Lascoumes, P. et Barthe, Y. (2001). Agir dans un monde incertain : essai sur la démocratie technique. Paris : Éditions du Seuil.
– Un exemple d’activité d’apprentissage pour le secondaire entourant une QSSV : Arseneau, I., Arsenault, M. et Bader, B. (2014). Les choix énergétiques : quels enjeux ? Étude de cas pour la 4e année du secondaire. [En ligne : https://www.pistes.fse.ulaval.ca/sae/?no_version=2740]