Quand la culture bascule dans la « non-culture » sans même s’en apercevoir

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Par Michel Lagacé

 

Les créateurs, avec tous ceux qui s’impliquent (les agents culturels, le public présent, peu importe le domaine artistique) participent à l’émergence, au dynamisme et à la diffusion de la culture. Toutes ces personnes — les figurants de la première heure — souhaitent depuis longtemps qu’il y ait beaucoup plus de monde qui se nourrit de la culture, et qu’il y ait un partage des publics, c’est-à-dire cette idée de rejoindre des publics qui se déplacent déjà pour l’un des domaines culturels qui leur sont offerts et de les intéresser à une autre discipline.

 

C’est souhaité, et tout à fait normal, de vouloir élargir la diffusion de la culture, de vouloir garder un public constant et viable pour chacune des activités culturelles qui sont proposées. Mais, pour augmenter son auditoire, est-ce nécessaire que la culture devienne de la « non-culture » ? Est-ce nécessaire qu’elle devienne un simple divertissement ou encore qu’elle s’associe à des activités de divertissement, la reléguant ainsi à un second rôle, à une musique de fond ou encore à une suite d’images décoratives ? Entendons-nous, que la culture ait des airs plus festifs, des mélodies parfois plus entrainantes, des activités de vulgarisation, des images humoristiques ou plus parlantes pour un plus grand nombre — sans délaisser l’inventivité artistique plus songée tout aussi accessible pour qui veut s’y arrêter – ; tout le monde est assez d’accord sur ces points. C’est d’ailleurs devenu le cheminement — par la diversité des genres et des lieux — qu’emprunte maintenant la diffusion de la culture. Mais il faut être vigilant, car il y a un point de bascule à ne pas franchir dans cette approche : c’est là où la culture peut se transformer et devenir de la « non-culture », c’est-à-dire le moment où elle perd son essence et sa vraie fonction identitaire. « Prenez l’image d’un interrupteur (que j’emprunte au livre Comment tout peut s’effondrer de P. Servigne et R. Stevens) sur lequel on exerce une pression croissante : au début, il ne bouge pas, augmentez et maintenez la pression, il ne bouge toujours pas, et à un moment donné, clic ! Il bascule vers un état totalement différent de l’état initial. » C’est la même chose pour la culture à qui on fait subir des perturbations graduelles qui sont de l’ordre du divertissement, de la visibilité à tout prix, du nivèlement par le bas, jusqu’à la commercialisation complète : la culture tel un produit vide de contenu, autre que les stéréotypes « du confort et de l’indifférence ». Une vision romantique du monde. On n’intervient plus sur le déroulement (boulot, auto, télé, téléphone intelligent, dodo) que la culture peut bouleverser par un partage plus proactif entre les intervenants et le public, encore que la transmission des impressions vécues est maintenant différente : non linéaire et réseautée. Votre public a peut-être doublé, mais ce que vous lui offrez maintenant n’est plus de la culture, c’est du fastfood, donc plus rien de vraiment nourrissant, et
le public de la première heure s’est graduellement désintéressé de votre offre. Est-ce si grave ? C’est toujours un choix de société et de comportements…

 

« Votre public a peut-être doublé, mais ce que vous lui offrez maintenant n’est plus de la culture, c’est du fast-food, donc plus rien de vraiment nourrissant, et le public de la première heure s’est graduellement désintéressé de votre offre. »

 

Quand la culture n’est plus qu’un simple divertissement sans consistance, il ne reste, le plus souvent, que la bière et business as usual. On est donc loin des idéaux d’une société qui valorise le développement des facultés intellectuelles chez le plus grand nombre (l’éducation). On est loin d’une société qui soutient l’apport des interventions artistiques, littéraires, musicales et théâtrales dans une dynamique de partage de visions (et non juste de la vente), ce qui favorise généralement des réflexions plus approfondies sur l’évolution des structures sociales, environnementales, artistiques et autres qui caractérise une société avancée. Et même si le public augmente plus lentement qu’on le voudrait dans le scénario où l’on privilégie la qualité et l’inventivité, ce qui compte vraiment : c’est cette famille… c’est-à-dire les intervenants, les créateurs et ce public de la première heure que l’on maintient constants, et que l’éducation et la contamination élargiront. Ce sont généralement des gens allumés — les initiateurs d’une culture vivante qui affichent leurs particularités et leurs gouts pour des oeuvres fortes, parfois complexes, pour des documentaires indispensables ou des fictions renversantes, à la fois par l’histoire, l’écriture ou le rythme des images. On le sait, la culture est en crise comme bien d’autres domaines et l’austérité risque de l’achever. Les disques ne se vendent plus. Le livre peine. Le cinéma et le théâtre cherchent leur public et les journaux sont menacés — en région, c’est encore plus évident. Il faut donc se serrer les coudes, encourager les initiatives de qualité dans cette culture en mutation. Il ne faut surtout pas se laisser aller à la facilité et à la commercialisation tous azimuts en la diluant dans de simples divertissements afin d’élargir son public. Il arrive encore que des évènements culturels, des livres, des expositions de qualité et dites plus « complexes » deviennent populaires grâce à leurs prestations surprenantes. Des initiatives inspirantes de communication sont nées telle La Fabrique culturelle de Télé-Québec, qui diffuse des capsules (vidéos) sur le Web et, à l’inverse, des intervenantes insoupçonnées : Les Cercles de Fermières du Québec, eh oui ! Ces femmes ont réalisé (inspirées par le travail de certaines artistes contemporaines), partout à travers le Québec, des recouvrements de tricot coloré sur des arbres ou des structures urbaines. Et des projets similaires explosent un peu partout. Des interventions dépassant l’aspect décoratif par leur approche environnementale et identitaire. C’est inspirant… Il ne faut surtout pas que dans les villes « centres » des régions, on recule vers les comportements « d’une bourgade » qui n’a pas le potentiel ni la proportion de gens allumés pour offrir à cette partie de sa population des propositions culturelles consistantes, même si elles ne sont pas aussi populaires que certaines émissions de télévision. Il ne faut pas avoir peur de montrer et de faire voir des oeuvres innovantes, parfois dérangeantes, ou tout simplement fascinantes. La culture a aussi un rôle d’éducation et de dépassement. Et l’on peut être plusieurs à y participer, et aussi plusieurs à partager ses impressions.

À propos de Marie-Amélie Dubé

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Un commentaire

  1. Bonjour,
    Les limites sont souvent floues entre les sphères de la culture et celle de l’art, même qu’au sein de l’art un large spectre de définitions peut facilement ouvrir le débat sur la nature véritable de l’Art. Mais j’aimerais surtout énoncer une perspective au sujet de la hiérarchisation des « cultures » dépeinte dans votre chronique.
    Même si les volontés de démocratisation de l’art glisse facilement vers une notion de consommation des productions artistiques, il n’en demeure pas moins que la culture populaire ainsi engendrée est génératrice d’un lien social quelconque. Que ce lien social soit constructif ou rétrograde, il s’agit alors d’une autre discussion. Or, on oublie souvent que tous et toutes n’ont pas les même privilèges, ni même intérêt, d’avoir été initié à une gastronomie culturelle, pour reprendre la figure de style utilisé dans le texte. Bien qu’il est important de dénoncer l’aspect prêt-à-consommer de productions culturelles de suscitant pas un éveil et échange intellectuel, il faut être vigilant dans ce que nous décidons de comparer (les restaurant d’hôtellerie/gastronomie n’apparaissent pas dans es même guide resto que les restaurants de cuisine familiale).

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