par Sam Harper @acetum – photo Saffron Blaze www.mackenzie.co
En juin 2017, le gouvernement libéral de Justin Trudeau déposait le projet de Loi C-59. Cette loi, promise par les libéraux, vient modifier la controversée Loi antiterroriste C-51 passée par le gouvernement Harper.
UNE AGENCE D’ESPIONNAGE TOUTE CANADIENNE
Dans le jeu de la surveillance de masse, le Canada ne laisse pas sa place et ce rôle revient au Centre de la sécurité des télécommunications (CST). La troisième section du projet de loi C-59 vient définir le travail de cette agence. Très peu d’informations sont disponibles sur le CST. Presque tout ce que l’on sait vient des révélations que le lanceur d’alerte Edward Snowden a rendues publiques. Nous savons, par exemple, que le CST aurait espionné des leaders du G20 à Toronto en 2010 pour le compte de la NSA et que le CST, utilisant des métadonnées récoltées par le réseau wifi gratuit d’un aéroport, a pu suivre à la trace les appareils mobiles des passagers y ayant transité. Le CST existe sous différentes formes depuis 1946. Ce n’est pourtant qu’en 2001 qu’une loi, la Loi sur la défense nationale, encadrait son existence. On lui donne alors trois mandats : fournir des renseignements étrangers en surveillant l’infrastructure mondiale d’information, fournir des avis et des conseils pour protéger les données et les infrastructures du Canada et fournir une assistance technique et opérationnelle aux organismes fédéraux comme la GRC et le SCRS. Les deux premiers de ces mandats ne peuvent être dirigés vers des Canadiens/Canadiennes ou des personnes au Canada. C-59 élargit son mandat et ses pouvoirs. On y ajoute des « cyberopérations défensives » et « actives ». Le Citizen Lab (citizenlab.ca), un laboratoire de recherche basé à l’Université de Toronto et spécialisé dans le domaine des technologies de l’information, des droits de la personne et de la sécurité globale, a publié un document résumant ses inquiétudes et proposant des recommandations.
COLLECTE D’INFORMATION ET SURVEILLANCE DE MASSE
Comme nous l’avons vu, le CST ne doit collecter des informations que sur des gens et des organisations à l’extérieur du Canada. Cette restriction, selon le rapport, est en grande partie de la poudre aux yeux. Lorsque le CST s’adonne à de la surveillance de masse, il est inévitable que des données de Canadiens/Canadiennes se retrouvent mélangées aux données recueillies. Bien que la surveillance n’est pas « dirigée » vers une personne au Canada, cela n’exclut pas la collecte « accidentelle ». De plus, le CST pourra collecter, analyser et utiliser « des informations accessibles au public » concernant les citoyens et citoyennes du Canada. La définition « d’accessible au public » est large. Elle permet la collecte d’informations publiées sur les réseaux sociaux, ainsi que des informations vendues par des courtiers de données : historique de crédit, d’achats en ligne, liens sur les réseaux sociaux. Ces informations, bien qu’accessibles au public, représentent une intrusion importante dans notre vie privée. Il n’y a pas non plus d’obligation pour le CST de déterminer comment une information est devenue publique et si cette divulgation s’est fait de façon légale. On peut donc collecter des informations sur vous à l’encontre de la réglementation canadienne et les revendre ensuite au CST. Selon le Citizen Lab, la Loi permettrait au CST d’acquérir des informations issues de piratage ou de fuites. Une fois mises en vente ou publiées quelque part, elles deviennent « accessibles », même s’il serait en principe illégal pour le public d’en obtenir une copie.
OPÉRATIONS ACTIVES, QUAND L’ÉTAT JOUE AU « HACKER »
Le nouveau mandat de « cyberopérations actives » permettrait au CST d’entreprendre des activités afin de réduire, interrompre, influencer ou contrecarrer les capacités, activités de tout étranger ou État, organisme ou groupe terroriste, si cela se rapporte aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité. Selon l’analyse du Citizen Lab, le phrasé est tellement permissif que le CST ne serait limité que par son imagination. Comme citoyennes et citoyens, nous devons nous demander si nous voulons que notre gouvernement, et par extension le CST, s’adonnent à ce genre d’activités. Voulons-nous que le Canada soit impliqué dans des campagnes de désinformation à l’étranger ? Quelles sont les limites de ce qui peut être fait en notre nom ? Est-ce que cela va contribuer à augmenter notre sécurité ou, au contraire, à lui nuire ? Il y a du bon dans le projet de Loi C-59. La création d’un Office de surveillance et la mise en place d’un commissaire chargé de superviser les activités des agences de renseignement sont accueillies positivement. Malheureusement, le projet tel qu’il est écrit donne une latitude très grande au CST, et nous devons exiger la protection des droits de la personne internationaux et le respect de notre droit à la vie privée.