Par Frank Malenfant, illustration par Busque
Être programmeur m’a appris beaucoup de choses sur le pouvoir qui se cache dans nos objets électroniques de tous les jours. Au-delà du plaisir créatif de pouvoir bâtir n’importe quoi de grandiose à partir de rien avec seulement ses doigts, un clavier et 0 $, j’ai découvert que c’était aussi une façon géniale de reprendre le contrôle de notre monde.
Au XXIe siècle, rares sont ceux dont la vie n’est pas reliée aux technologies ou même dépendante de celles-ci. Que ce soit notre ordinateur portable, notre téléphone intelligent, le système d’infodivertissement de notre voiture ou nos sites Internet favoris, l’influence des technologies sur notre vie est grandissante et effrayante.
Avouons-nous-le, la majorité d’entre nous est, à divers degrés, aliéné par ces technologies. Pouvez-vous vous souvenir de la date d’anniversaire de 10 personnes de votre entourage ? Et leurs numéros de téléphone, les connaissez-vous par coeur ? Force est de constater que ces outils, bien que très performants, nous rendent peu à peu dépendants de leurs fonctions.
Or, pour la grande majorité d’entre nous, ces équipements sont un total mystère. Nous ne sommes pas en mesure de développer ou modifier nous-mêmes les fonctionnalités des outils auxquels nous faisons appel tous les jours, et ce niveau d’aliénation technologique est inquiétant. Prenons par exemple Linux. Combien d’entre nous sommes à l’aise d’installer, de configurer et d’utiliser couramment un de ces systèmes d’exploitation gratuits ? Pourtant, cette multitude d’options regorge de fonctionnalités plus avancées que Mac OS et Windows, et vous n’avez pas à payer ou à risquer le piratage pour vous les procurer. Mais voilà, nous, les Y et les Z, sommes encore des illettrés technologiques. Nous sommes aussi à l’aise avec le code machine que nos parents sont à l’aise avec l’anglais.
« Nous ne sommes pas en mesure de développer ou modifier nous-mêmes les fonctionnalités des outils auxquels nous faisons appel tous les jours, et ce niveau d’aliénation technologique est inquiétant. »
Ce n’est pas rien d’être devenus aujourd’hui aussi dépendants de ces machines sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle et que nous ne comprenons pas du tout. Par exemple, il a fallu Edward Snowden pour nous révéler que les grands joueurs de ce monde, tels Microsoft, Apple, Facebook et Google, intégraient des mouchards dans leurs logiciels et collaboraient à l’espionnage de masse de l’Agence de sécurité nationale (NSA) américaine. Certaines de ces fonctionnalités étaient en place depuis bien avant les années 2000. Or, personne n’a pu les déceler ou les désactiver avant qu’on nous alerte, plus d’une décennie plus tard. Je suis certain que personne ne soupçonnait ce genre de choses aussi tôt qu’en 1998.
Alors, qu’est-ce que votre téléphone intelligent fait dans votre dos en ce moment même ? Comme plusieurs, vous avez probablement désactivé la géolocalisation, mais pouvez-vous faire confiance à votre téléphone pour ne pas transmettre ces données malgré tout ? Pouvez-vous ne serait-ce que vérifier par vous-même ? Moi non. Je n’ai pas accès au code source de mon téléphone intelligent.
Revenons à Linux et à la croissance du bilinguisme au Québec pour revenir du côté constructif du sujet. D’abord, il y a tout ce monde de l’Open Source qui existe sur le Web et qui est porteur d’espoir et de liberté. L’Open Source, qu’on pourrait traduire par « code ouvert » est une philosophie selon laquelle les usagers d’un logiciel doivent pouvoir accéder au code des logiciels qu’ils utilisent et le modifier à leur guise. Il y a une multitude de programmeurs dans le monde qui travaillent ainsi gratuitement à améliorer les produits qu’ils utilisent et qui partagent ces avancées afin que leur travail profite à toute l’humanité de manière totalement gratuite et démocratique. Imaginez, des produits concurrentiels partagés gratuitement par des gens spécialisés qui travaillent bénévolement, n’est-ce pas un immense potentiel révolutionnaire ?
«Parce qu’on ne pourra plus nous espionner et nous contrôler si nous sommes en mesure de détecter et de désactiver les fonctions d’espionnage et de contrôle.»
Or, voilà, pour que cet esprit de liberté et d’humanisme se partage vraiment à tous, il faudra bientôt que nos écoles commencent à apprendre aux futurs citoyens les langages et la logique qui rend tout cela possible. Il faudra que, comme de plus en plus d’entre nous maitrisons une langue universelle facilitant nos rapports avec le monde étranger, nous en venions aussi à parler aux machines qui nous servent, afin de nous assurer justement qu’elles soient vraiment à notre service. Parce qu’on ne pourra plus nous espionner et nous contrôler si nous sommes en mesure de détecter et de désactiver les fonctions d’espionnage et de contrôle. Les utilisateurs de logiciels Open Source sont généralement très confiants face à ces logiciels sachant que n’importe qui peut aller lire son code source et y détecter toute forme de fraude.
C’est donc par la maitrise de la programmation que nous pourrons prendre et exercer le contrôle de cette ère des technologies. Lorsque nous nous approprierons le code qui fait fonctionner nos ordinateurs, nos téléphones, notre Internet et même notre routeur, nous serons alors libérés de notre aliénation face aux grandes structures verticales que sont Microsoft, Facebook et compagnie et nous pourrons commencer à inventer et à contrôler nos propres outils technologiques pour le monde de demain. Et, un jour, je souhaite que le métier de programmeur devienne un peu comme le métier de traducteur ou de menuisier soit rien de plus qu’une spécialisation dans un domaine où tout le monde sait se débrouiller un peu seul. Après tout, ce n’est pas plus difficile que d’apprendre l’anglais et tout le matériel est disponible en ligne pour apprendre la programmation par soi-même.
À la liberté 2.0 !