par Jean-Simon Belleau, illustration par Yoann Palacio
Post-RDL vous plonge chaque mois dans l’univers d’une ville aux prises avec ses habitants qui tentent de s’organiser pour survivre à la suite de la disparition de toutes formes de gouvernement. Visitez le site Web de La Rumeur du Loup pour plus d’infos.
Au soir du 21 mai 2019, le mouvement insurrectionnel qui venait à peine de dévoiler haut et fort son existence dans les sphères de la conscience publique occupait le parlement de Québec depuis quelques heures.
Une conspiration isolationniste frappa très tôt les habitants de Rivière-du-Loup qui, déjà aux prises avec d’importants problèmes internes, ne purent que constater les conséquences de ces activités clandestines. S’agissant d’établissements essentiels au bon fonctionnement d’une société de consommation, ils occupaient les points névralgiques du développement urbain d’une ville de l’importance de Rivière-du-Loup et s’avérèrent être d’importants emplacements stratégiques sous la révolution ; les réservoirs souterrains des stations-service positionnées à chaque entrée de la ville furent systématiquement ciblés au cours d’une seule nuit. C’est en fait l’explosion du pont de l’autoroute 20 qui enjambe la rivière du Loup qui ouvrit le bal, immédiatement suivie de celles du Shell et du Pétro-Canada sur le boulevard Cartier. Le Pétro-Canada et le Ultramar du boulevard de l’Hôtel-de-Ville détonnèrent en duo quelques instants plus tard. Ce crescendo destructeur atteint son apogée au son du trio de déflagration presque instantanée des Shell et Pétro-Canada de la rue Témiscouata et du Pétro-Canada de la rue Fraserville. Plongés en pleine atmosphère de guerre, dans un simulacre de jour nuageux au beau milieu de la nuit, ébahis devant le spectacle de la lumière vacillante des hautes flammes se nourrissant de bâtiments de leur voisinage, toussant, plissant les yeux dans une épaisse fumée, les Louperivois réalisèrent pleinement avoir perdu le contrôle de leur ville. Deux conséquences découlèrent de ces évènements : les réserves de carburant venaient de diminuer drastiquement et Rivière-du-Loup était désormais isolée du reste du monde par d’immenses cratères fumants qui crevaient les routes.
« Un escalier de métal reliait la rue Delage à la rue Laval. De ce poste d’observation permettant d’embrasser du regard la quasitotalité de la ville, un homme observait la fumée ondoyer paresseusement, signe que les incendies perdaient petit à petit de leur intensité. »
Les rumeurs quant à l’identité de ces dynamiteurs en série allèrent bon train. Personne ne semblait disposer d’information crédible, ne serait-ce que vérifiable. Les suspicions tâtonnèrent longtemps, mais comme il y avait bon nombre d’autres choses plus tangibles à régler, personne ne songea à approfondir son enquête. Jusqu’à ce que, quelques semaines plus tard, le pont de la rue Beaubien, celui de la rue Saint-Magloire et celui du parc des Chutes, au bas de la chute, disparaissent à leur tour en fumée, accroissant encore plus les divisions territoriales de la ville. Sauf que cette fois, un groupe en particulier profitait largement de cette nouvelle série d’explosions ; ayant épargné le petit pont du haut des chutes, la troupe qui se terrait dans les bois du parc et qui avait pris le contrôle des centrales électriques de la rivière sembla se trahir et son implication dans les premières explosions ne fit plus de doute pour personne.
Acculé au pied du mur de sa civilité, il devient fascinant d’observer l’homme aux prises avec de nouvelles facettes de luimême, s’accommoder du fait que le miroir ne renvoie plus du tout une réflexion fidèle de ses propres gestes. Des interdits moraux deviennent soudainement synonymes de survie, l’inertie intellectuelle ne pardonne plus, s’adapter ou mourir. Au coeur de bouleversements sociaux d’une telle amplitude, des esprits avisés eurent tôt fait de se distinguer grâce à leur pragmatisme, un leadership naturel émana d’individus prenant les choses en mains, distribuant ne serait-ce que quelques directives de circonstance ; pour certaines gens, le simple fait de recevoir ces directives rassurait plus que n’importe quelle promesse de retour à la normale, accomplir des tâches occupait les esprits.
Un escalier de métal reliait la rue Delage à la rue Laval. De ce poste d’observation permettant d’embrasser du regard la quasi-totalité de la ville, un homme observait la fumée ondoyer paresseusement, signe que les incendies perdaient petit à petit de leur intensité. Toujours compacte, elle semblait cependant avoir adopté le même rythme apaisant que le fleuve qui s’étendait sur toute la largeur de l’arrière-plan. N’eût été des cris et alarmes, la scène aurait revêtu quelques aspects de sérénité. Se détournant du spectacle qu’allaient bientôt offrir les nuages orageux promettant de maitriser les incendies de quartier, l’homme se félicita d’avoir mis en branle son plan de défense quelques jours avant les explosions de stations-service. Ces diversions allaient lui permettre de régler quelques détails à l’abri des regards inquisiteurs et ainsi d’amener son équipe à réaliser la phase deux du plan dont les résultats ne pouvaient passer inaperçus. La géographie accidentée de la ville offrait un avantage stratégique capital pour ceux qui contrôleraient les sites aménagés en hauteur. Tournant le dos au bas de la ville et remontant tranquillement la rue Delage, le presbytère Saint-François-Xavier et son église envahissaient lentement le champ de vision de l’homme. Chemin faisant, il avait dépassé plusieurs maisons à différents stades de démolition. Ses hommes travaillaient vite et bien, les matériaux d’importance étaient minutieusement triés et transportés où ils étaient nécessaires : barricade de la côte Saint-Pierre, celle de la côte Saint-André, fortifications de toute la largeur de la rue Laval. En tournant sur la rue Thibaudeau, il croisa deux hommes quittant le chantier de l’église. Les ayant salués, il put alors constater l’avancée de leurs travaux : les douves avaient maintenant une profondeur plus qu’acceptable.
– la Suite en novembre. –