Par Mathieu Dumulon-Lauzière
La vidéo est saisissante. Prise d’un cellulaire, on voit pendant quelques instants à peine le dos d’une créature sortir des abysses du lac Pohénégamook, puis replonger. Quelques secondes, une pincée d’images et l’internet s’emballe. Pour certains, il s’agit d’un esturgeon. Pour d’autres, c’est un tronc d’arbre. Et pour les rêveurs, comme moi, c’est un monstre tout droit sorti d’une légende vieille de 150 ans. Ponik en chair et en écailles qui sort de l’anonymat en se pointant le bout de la bette à l’ère du web 2.0.
Il n’en faudra pas plus pour que la capsule vidéo soit vue plus de 150 000 fois par des curieux, des sceptiques et des cryptozoologistes de partout sur la planète. Une attention médiatique sans précédent pour la petite municipalité du Bas-Saint-Laurent qui se frotte les mains, le sourire jusqu’aux oreilles.
Quelques jours après, la petite municipalité révèle le pot pour en recevoir les roses. La vidéo est en fait une formidable mise en scène préparant le terrain au dévoilement du nouveau branding de la ville. Dorénavant, un Ponik bleuté aux allures médiévales accueille les visiteurs et protège ses résidents. Le slogan, lui aussi, est revampé pour mieux répondre à cette identité maintenant changée. Depuis le mois de mai, la Ville de Pohénégamook est suivie des mots : « Plus qu’une légende ». L’image est belle, le message est fort et unique. Pohénégamook vient de s’élancer de toutes ses forces.
Mais ce changement n’est pas né d’un coup de tête, d’une impulsion imprévue. C’est le fruit d’un long processus de réflexion et de préparation entamé il y a déjà quelques années, en 2011 pour être plus précis. L’une des plus grosses entreprises de la ville, Bastille Portes & Fenêtres doit mettre fin à ses activités. Du jour au lendemain, ce sont plus d’une centaine d’emplois qui disparaissent dans une municipalité qui compte moins de 3000 résidents.
Bien qu’il ne s’agisse pas de la seule raison qui a poussé les dirigeants à passer à l’action, cette fermeture aura servi de coup de fouet.
« De là, on s’est dit : “on ne baisse pas les bras. « On s’est mobilisé. On s’est regroupé, les quatre municipalités. On a regardé pour travailler ensemble », ajoute mme Labonté.
En quelques mois, les canaux de discussions entre les administrateurs, la population etle monde des affaires se sont ouverts. Un diagnostic est commandé et une consultation populaire est organisée. Tous sont sur la même longueur d’onde, il faut un plan d’action. Les défis auxquels la municipalité fait face ne sont pas qu’économiques, ils sont aussi démographiques. Entre 2001 et 2011, la population de la ville a baissé de plus de 10 pour cent et son âge médian dépasse de peu les 48 ans. Une situation qui inquiéterait n’importe quelle municipalité.
C’est d’ailleurs là que se cache la vraie problématique, parce que ce sentiment d’urgence qui habite Pohénégamook, c’est celui qui habite des dizaines de communautés au Témiscouata, dans le Bas-Saint-Laurent et plusieurs autres régions du Québec. Les défis des uns, la plupart du temps, ressemblent aux défis des autres et les solutions des uns, la plupart du temps, ressemblent à celles des autres.
« On peut dire qu’on a de beaux paysages, de beaux lacs, des montagnes, une bonne qualité de vie, des écoles, une bibliothèque, etc. La plupart des municipalités peuvent aussi offrir ça », dit mme Labonté.
Dans un environnement où la compétition est féroce pour attirer les nouveaux résidents, les investissements gouvernementaux et les entreprises, les villes et villages doivent redoubler d’ardeur. L’époque où il était possible de se démarquer grâce à son caractère bucolique et ses valeurs champêtres est dépassée. Maintenant, pour s’en sortir, il faut un coup de circuit. Une tentative tellement osée qu’elle pourrait se retourner contre nous.
« C’est certain qu’on est sorti de notre zone de confort. C’est certain que, quand on sort de notre zone de confort, ça dérange, ça fait réagir les gens », continue mme Labonté.
Si Pohénégamook est sortie de sa zone de confort et s’est élancée de toutes ses forces avec sa nouvelle image de marque, c’est parce qu’elle n’avait pas le choix. Pohénégamook, c’est plus d’un siècle d’histoire, une quarantaine d’organismes communautaires, culturels et sportifs, tous soutenus par une armée de bénévoles dévoués. Pohénégamook, c’est aussi des entreprises de deuxième et troisième génération et des dizaines de familles qui tiennent à leur ville. Les acquis que Pohénégamook veut protéger ne s’arrêtent donc pas à Ponik.
Il faudra attendre que les ridules laissées par la bête médiatique s’estompent avant de pouvoir réellement dire si la balle qui a été cognée est sortie du stade. Cependant, depuis
le mois de mai 2015, une chose est claire : Pohénégamook est plus qu’une légende.