Pin Gris

par Alexandre Truchon-Savard 

Un pin gris sur un cran rocheux regarde la lune gorgée de lumière. Les étoiles sont étalées et drapées dans la voie lactée. Tortueux d’avoir poussé sur un sol si aride, on sent l’endurance dans sa forme noueuse battue par les vents. Ses aiguilles, bien que s’étirant dans toutes les directions sont réunies en paires bien soudées l’une à l’autre. Le lichen à ses pieds réfléchit les rayons de lune sur son écorce grisonnante. Sur ses branches, des cônes renferment des centaines des graines prêtes à se déployer au prochain passage du feu. Dans ses graines se trouve le renouveau. Le temps venu, elles partiront au vent repeupler la terre brûlée.   

J’ai connu un pin gris qui n’a pas eu la patience d’attendre le passage du feu. Il lui restait encore bien des nuits à observer le ciel, mais même le firmament ne pouvait le raccrocher à son rocher. Il s’est en allé, seul, fatigué, même si les autres arbres autour tendaient leurs branches pour le rattraper. La raison profonde nous échappera toujours.   

En cette journée internationale de la prévention du suicide, je tiens à saluer mon oncle Pierrot. C’est drôle, quand j’étais petit j’ai toujours pensé que Pierrot c’était ton vrai nom, comme dans la chanson. Pierre, Pierrot, toi qui aimais tant l’astronomie en plus. Il n’y a pas si longtemps tu m’avais montré tes spots à Baie-Comeau. Ton gros pin gris préféré sur les caps près de l’anse St-Pancrace. On avait eu ben du fun. Mais ton sourire cachait une profonde tristesse. Trop lourde à porter seul. On ne peut faire autrement que se demander ce qu’on aurait pu faire de plus. Le coup de téléphone qui manquait peut-être pourque tu changes d’idée. Mais cette pensée-là ne sert à rien. Il est trop tard. Il faut maintenant se tourner vers le lendemain et tendre la main vers ceux qui sont là, avec nous, ou seuls dans leur coin à porter leur tristesse. À toi le pin gris qui se sent seul au milieu de la forêt, sache que je suis là et que je veux regarder la lune avec toi. On pensera à Pierrot.  

À la mémoire de Pierre Truchon 1958-2019

À propos de Marie-Amélie Dubé

Voir aussi

Entre les branches : Catherine Perrin et invités aux Thés littéraires du CLAC

Texte | Camille Bernier, agente culturelle du CLACPhotos | Mathieu Gosselin Cet article est le …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Sahifa Theme License is not validated, Go to the theme options page to validate the license, You need a single license for each domain name.