par Isabelle Gallard – photo Mélanie Émond
Bien des gens le connaissaient déjà pour son sourire et sa bonne humeur, mais depuis le 4 décembre dernier, Papa Noël Sow est devenu une figure de la rue principale de Rivière-du-Loup. Avec l’ouverture de sa boutique située au 201, rue Lafontaine, c’est l’Afrique qui s’offre dans toute sa diversité. Rencontre avec un malien acclimaté depuis près de 10 ans à la vie louperivoise.
Isabelle Gallard : Bonjour, tout le monde t’appelle Papa Noël, est-ce ton prénom ?
Papa Noël Sow : Oui, c’est mon prénom, Papa Noël. Je suis né un 25 décembre, le jour de Noël, et mon père a aussi choisi le prénom Papa. Au Mali, c’est un prénom. Il y a Papi, il y a Pap, Papou… ce sont des prénoms chez nous.
I.G. : Avant d’arriver au Québec, as-tu toujours vécu au Mali ?
P.N.S. : Non, j’ai voyagé un peu. J’ai fait presque toute l’Afrique de l’Ouest et du Nord- Ouest : Togo, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Bénin, Ghana. Je peux dire que je connaissais mon Afrique avant de venir au Canada !
I.G. : Quel était ton travail au Mali ?
P.N.S. : J’ai tout le temps travaillé avec des objets d’art, mes voyages étaient par rapport à cela. J’achète, je revends, il y en a quelquesuns que je produis. Pas beaucoup, mais je réparais beaucoup et je faisais des finitions. La finition d’un objet d’art chez moi, c’est la plus belle chose que je puisse faire. Je prends le temps, pour donner une nouvelle vision de l’art. C’est ma passion, c’est ça que j’aime faire.
I.G. : Ici, à Rivière-du-Loup, tu as aussi ouvert une boutique avec des objets d’art, de l’alimentation, des vêtements ; le tout d’origine africaine. Quel est ton objectif ?
P.N.S. : Juste l’objet d’art pour représenter l’Afrique, c’est impossible chez moi. L’Afrique, c’est un continent, ce n’est pas un pays, et quand on veut représenter un continent, il faut toucher à tout : il faut toucher l’art, il faut toucher l’alimentation, les vêtements, les décorations… En fait, mon objectif, c’est de pouvoir unir toutes les oeuvres de partout en Afrique, des 54 pays. Qu’au moins chaque pays soit représenté par un objet. C’est de pouvoir aussi donner de l’espoir aux artistes et artisans africains. Vous savez, tout le monde veut fuir l’Afrique. Il y en a qui pensent que l’Amérique ou l’Europe, c’est le paradis. Mais, vous savez, on a des problèmes dans tous les continents, même si on se dit que làbas ce serait meilleur. Il n’y a pas de meilleur ou de pire, il suffit juste d’avoir une place où on se sent bien pour pouvoir continuer sa vie. Moi, je leur donne l’espoir en rapportant leur art pour le commercialiser pour qu’ils puissent en vivre dans leur pays. Au Mali, ma première boutique, c’était une table, pas beaucoup plus que ça. Et 20 ans plus tard, à Rivière-du-Loup, j’ai un beau magasin. C’est fou ! Ceux qui m’ont vu au Mali sous mon hangar et qui peut-être me suivent aujourd’hui, ils se disent : « Tabarnouche, il a réussi ! » Mais ce n’est pas juste une réussite, c’est ça que je voulais. Je me suis créé un emploi en travaillant fort. En y croyant. Ça aussi, ça donne de l’espoir.
« Ceux qui m’ont vu au Mali sous mon hangar et qui peut-être me suivent aujourd’hui, il se disent : Tabarnouche, il a réussi ! »
I.G. : À ton avis, quel a été le plus important pour t’aider dans cette réussite ?
P.N.S. : Quand je suis arrivé ici, mon premier point de vue était d’avoir un magasin et puis de commencer à faire comme en Afrique. Non, ce n’est pas de même que ça marche. Ça m’a demandé de travailler à droite, à gauche, de faire beaucoup de choses pour que je me montre aux gens, qu’ils me connaissent. Il fallait que je travaille avec eux, que les gens sachent qui je suis. J’avais bâti des relations de confiance là-bas, il fallait le faire ici aussi. Si tu es roi dans un pays, quand tu pars, tu perds tout, les gens ne te connaissent plus. C’est ça, la vraie réalité de la vie. Tu dois recommencer à zéro, avec un nouvel entourage. Mais quand tu t’es fait connaître par de bonnes actions, tout le monde est prêt à t’aider à mettre la main à la pâte. C’est ce qui a permis la réalisation de la boutique, ici. C’est ça que je veux dire aux immigrants qui arrivent : quand tu viens, tu as un bagage et tu ne peux pas commencer à ouvrir ton bagage comme ça, comme un magicien. Quand tu viens avec ton bagage, tu déposes ton bagage, tu tends la main pour prendre d’autres bagages. C’est à nous, immigrants, de nous faire connaître, d’aller voir le monde, de poser des questions ; connaître les autres, c’est très important. Là, tu commences à entrer dans le système. Quand tu as appris, maintenant, pour dire merci à ces gens, tu ouvres ton bagage, tu le retournes à la communauté. Ça, c’est le vrai sens de la vie. C’est ça qui fait la fierté de l’homme.
I.G. : Tu as choisi Rivière-du-Loup pour t’y installer. Pourquoi ?
P.N.S. : Je suis à Rivière-du-Loup depuis le début. On ne change pas une équipe qui gagne ! En fait, quand je suis arrivé, j’ai voyagé, j’ai regardé la carte et je me suis dit que c’est Rivière-du-Loup le centre du Québec. Moi, dans ma tête, je suis au centre du Québec ; c’est la plus belle place pour arriver, je suis au coeur du Québec. Rivière-du-Loup m’a pris comme un loup noir, je suis très fier de ça. Je pense que la boutique va aussi donner un autre sens, une autre culture aux gens pour demain. C’est là-dedans que mes enfants vont vivre. Il y a beaucoup d’enfants métis à Rivière-du-Loup qui vivent dans la culture québécoise. Je suis là aussi pour eux, pour leur montrer leur autre héritage que parfois ils n’ont pas, car leur parent est absent. Et pour les gens, c’est enrichissant. On ne sait jamais, s’ils vont en Afrique ou s’ils voyagent ailleurs, s’il y a quelque chose dans la boutique qui peut les faire rêver, leur faire découvrir une autre culture ; c’est primordial pour moi d’apprendre aux autres pour dire merci de m’avoir accueilli. C’est enrichissant aussi pour moi, parce que je me sens utile.
I.G. : Pour finir, quel serait ton message aux lecteurs de la Rumeur du Loup ?
P.N.S. : Je voulais remercier la ville de Rivière-du-Loup, toute la population louperivoise, du fond du coeur. Leur dire merci pour mon intégration, merci de m’avoir ouvert certaines portes et merci de m’avoir fait confiance. Parce que seul, on est rien, mais ensemble, on est fort.