texte et photo Marie-Chloé Duval
P’tits criss, c’est ce que je me suis dit en vous entendant crier et claquer chacune des portes de casiers en direction de mon local. Il n’était que 9 h 27 un froid lundi matin de l’été inuit.
Comment faire pour survivre à un mois ? C’était la seule question qui me passait à l’esprit.
Vous étiez trente-trois.
Trente-trois flos hyperactifs, du vrai genre d’hyperactivité. Cette hyperactivité en laisseraller, celle qui vous fait monter sur le bord des fenêtres et manger le vieux pain moisi oublié dans la classe il y a trois semaines. Les trentesept minutes se sont écoulées lentement, plus lentement que jamais, du moins il me semblait.
Ma voix n’est jamais montée, j’ai choisi de vous sourire à la place. Non pas parce que je suis d’une patience hors norme, seulement parce que je suis ici pour faire de l’art et que la discipline ne m’intéressait peu. Soyons réaliste, vous étiez trente-trois et moi j’étais seule ? Je n’allais pas entrer en guerre quand je connaissais d’avance l’état de ma défaite. Alors, je suis restée assise dans ce qui voulait être un cercle, mais qui vite était devenu un plancher rempli d’enfants sautillant, dormant et criant. Alors je suis restée là, assise sur le sol sale et j’ai attendu et j’ai dessiné. Vous avez joint mon combat petit à petit. Un combat qui n’avait pas envie de défaites et de désespoir, juste le combat vers un peu de beau, un peu de simple dans un quotidien trop gris, trop compliqué pour des p’tits criss de 5 ans. Vous êtes partis en file indienne désorganisée et je vous ai tout un chacun dit au revoir en faisant un high five quand j’avais presque envie de seulement rester assise à mon bureau et fermer la porte au plus vite.
Mardi, vous êtes arrivés avec le sourire.
Plus calmes. Vous avez même accepté de dessiner sans d’abord tout chambouler. Pas tous, mais certains, la majorité. Vous vous êtes installés, assis et couchés sur le ventre, en petits cercles au sol et le calme a pris le dessus. La tempête s’était essoufflée et moi j’avais enfin de l’air. Puis, toi qui faisais tant d’attitude, toi qui t’accrochait aux armoires et te cachais sous mon bureau, tu es venu me montrer ton dessin, tu voulais que je l’aime.
Je l’ai adoré !
Puis, toi qui te trouvais drôle à m’appeler maman parce que je ne te donnais pas le choix de participer, tu veux maintenant que je te dise que je t’aime en te serrant fort. Maintenant, je te dis que je suis ta grand-maman, car vous êtes tous un peu mes bébés et qu’avec trente-trois enfants, je ne suis plus jeune jeune. Vous êtes repartis en file indienne semiorganisée et je vous ai tout un chacun dit au revoir en faisant un high five quand j’avais presque envie de vous dire merci.
En fait, je vous ai dit merci. En fait, je vous ai dit nakurmiik. Vous m’aviez fait plaisir, vraiment plaisir.
Je ne suis pas naïve, je ne suis pas la première ni la dernière à débarquer chez vous avec mon sourire d’excitation croyant que l’espoir suffit.
La vie se passait avant ma présence.
Elle se passera après aussi.
Mais moi, j’ai l’impression que la vie, elle vient de me passer dessus. Qu’avec tout ce qu’elle transporte de grand et de petit, elle m’a frappée, vivement et doucement. Que de ce passage, je ne sortirai pas analogue.
D’ailleurs, maintenant, quand je marche dans le village et que j’entends crier « maman », je me retourne. Parfois je vous vois. Parfois je me retourne pour quelqu’un qui appelait vraiment sa maman. Alors, je souris, alors je ris. Ce soir, à la sortie de l’école, je suis heureuse du vent froid, du vent vif sur mon visage trop blanc. Celui qui me fait pleurer des yeux. Il m’a rappelé que j’étais toute petite. Il m’a rappelé que je pouvais lui toucher, mais que si je voulais le changer je devais m’ancrer, solidement et longuement. Au final, je quitte ayant souvent oublié ma peau blanche. Je trouve que c’est beau d’avoir oublié. Mais c’est à la dure, directement en pleine face un lundi matin à 9 h 27 que j’ai dû me le rappeler. Car ne pas le considérer ou l’oublier ça fait ça, ça nous revient plus fortement, comme par vengeance d’avoir prétendu qu’on comprenait.