Nunavik : Histoires de tundra

textes Marie-Chloé Duval photo Jonathan Rose

 

14 jours

Il y a 14 jours, jour pour jour, je mettais le pied à Inukjuak, me sentant blanche comme jamais.
À ce moment, je me sentais ébranlée et dépassée.

Il y a 14 jours, j’entrais dans une nouvelle communauté, une communauté que j’ai découverte et qui m’a ouvert les bras tellement grands que ce départ me fait un mal que je n’aurais pas cru possible. Pas après aussi peu de temps. Pas avec l’état d’âme qui m’habitait à l’arrivée. Pas avec l’habitude du voyage et des relations éphémères que je transporte.
Et puis, malgré toutes ces barrières, je quitte avec en moi une tristesse de plus. Je suis heureuse d’être si triste, ça me rappelle à quel point j’ai fait des rencontres marquantes. Avec eux, mais aussi avec moi. Beaucoup avec moi… C’était la première fois que je venais au Nord. La première fois aussi que je devais vivre ce départ, ce type d’au revoir. Celui où tu ne sais pas si tu dois dire au revoir ou adieu, car réellement, tu ne sais pas si tu reviendras. Puis, même si tu reviens, tu ne sais pas si ces jeunes seront encore des jeunes ou vite, trop vite, ils seront devenus des adultes. Alors, tu quittes plus vite que tu ne voudrais, comme pour éviter les questions et nier le malaise de quitter en imposteur.

Si les gens du sud me disent que je suis incroyable de venir ici et de donner à ces communautés, ils n’ont pas compris. Je suis venue ici et je n’ai que reçu. Je suis venue ici et je n’ai que pris.
Pris chaque moment, chaque rencontre, chaque bouffée d’air frais qui venait de loin dans la toundra. Pris chaque bouchée de béluga, de caribou et d’oie.

Tout ça.

On m’a donné, on ne m’a que donné, et j’ai été avare, prenant de tout. Avare de cette nature qui m’a coupé le souffle. Ces paysages grandioses. Si beaux, comme s’ils se devaient de compenser pour les problèmes qui sont si grands et si profonds à leurs pieds.

J’ai pris tout ça, même le plus mauvais. Seulement je refusais de m’y attarder, gardant plus d’espace pour ce que m’offrait de positif cette vie en terre inuite. Seulement je choisissais de rester avec mes collègues blancs-becs pour boire un verre à la place de me mettre en situation où j’ignorais la fin de la soirée ne sachant d’elle uniquement qu’elle serait arrosée et trop possiblement hors de contrôle. Seulement je choisissais de trouver plaisant que les gens que j’avais rencontrés soient sur le même avion, ignorant volontairement le fait qu’ils y soient puisque leur village n’offre aucun service judiciaire et que l’accès à une majorité de services soit limité, si services il y a. Seulement je choisissais de regarder les dessins au mur de l’école et d’être heureuse qu’il y ait de la couleur, faisant, difficilement, abstraction du fait que les néons sont en constante crise d’épilepsie et que le vert des murs rappelle davantage un hôpital psychiatrique abandonné que ceux d’une école primaire.

Prenant tout, j’ai tenté de laisser tout ce que j’avais, ce que je savais et ce que je pouvais. Comme pour assurer l’équilibre de notre échange.

Alors que je quitte, je me demande si j’aurais pu en laisser davantage… Au final, c’est toujours quand on ne peut plus qu’on veut le plus. Alors je quitte en faisant mon lit, espérant que la croyance inuite ait raison et qu’aujourd’hui les avions ne décollent pas pour me garder en terre inuite encore un peu. Pour garder mes pieds bien ancrés et mon esprit en liberté dans cette toundra qui m’a changée.

 

Les décomptes qui comptent

Il y a des décomptes qui font plaisir.
Il y en a qui font mal.

Puis, il y a ceux qui nous laissent dans un état émotionnel d’instabilité et d’incompréhension…

Ce décompte-là, il m’habite. Avec le soleil au zénith, celui qui, depuis mon arrivée, n’a pas encore dormi, avec les fenêtres du pick-up ouvertes, avec aucune ceinture, avec la toundra dans le rétroviseur et avec du bon vieux Noir Silence, je me demandais comment être plus heureuse. Si ce n’était pas le bonheur alors, je n’avais vraiment rien compris. Ça goûtait le bonheur. Quand je passais mon poing à mon compagnon d’aventure pour qu’il chante son couplet au « micro », je voyais aussi que le bonheur l’avait attrapé. À grands refrains de classiques québécois qui font du bien, c’était l’aventure sans grande envolée. La baie avait perdu ses airs d’hiver, les glaces parties, le village prenait vie. Tout s’ouvrait. Tous vivaient.

Les enfants roulant partout en vélo, entre autres entre les carcasses de leurs anciens vélos qui ont durement subi l’hiver, étaient pour ce moment, réellement enfants. C’était simple. Ça sentait la liberté et ça goûtait le beau. C’était sans regarder derrière les portes fermées. C’était aussi en trouvant utile et non triste de reconnaître les enfants par leur t-shirt, parce que depuis 8 jours, c’était un élément stable de leur personne. C’était samedi midi et tout semblait être comme la vie devait être. La communauté était dehors pour me donner envie de la joindre. Les rues étaient bondées. La vie vivait au lieu de mourir. Avec les jours qui augmentent au compte du temps passé en terre inuite et avec ceux qui diminuent au temps restant, ma tête refuse de savoir comment elle se sent. J’ai l’impression qu’on a vite établi un statu quo m’empêchant de comprendre, me laissant vivre le moment et repoussant la réflexion. Alors, dans cette absence, je me retrouve puis me retrouve.
Dans cet infini d’absence, je me perds aussi. Dans le bruit de l’eau qui recommence tout juste à heurter les roches après avoir passé trop de mois éprise d’une baie bien ancrée sous le couvert de glace, je me laisse aller à oublier. Dans cet infini de beaucoup de rien, je réalise qu’en moi il y a suffisamment de beaucoup. Dans cette absence, je plonge ailleurs. Dans tout ça, je suis là, incapable de comprendre comment je peux pleurer d’autant de beau et d’autant de laid sans jamais quitter la baie, sans jamais quitter mes souliers.

 

À propos de Marie-Amélie Dubé

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Un commentaire

  1. Wow Bravo mon amie ,c est bien toi ça !
    À la recherche de l´essientiel dans la vie….de ta curiosité affable de savoir et voir tout ,comme si t’avais pas assez de temps pour tout voir ,entendre et t’émerveiller avec un petit tout et un grand rien
    Oui la vie nous amène là où on doit être et des fois nous fait passer par des chemins inattendus de bonheur et de lassitude

    Apprendre de tout cela s’appel …Bonheur ….. à mon sens ,et …..comme dit la chanson ….il est où bonheurs ….je dirais
    ..EN TOI !

    Félicitations pour ta belle expérience de vie et merci de la partager

    RodrigueLaplante Artiste Peintre

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