Ntoliwis nil Edith Belanger, nil Wolastoqey ehpit

texte Edith Bélanger

Je m’appelle Edith Bélanger, je suis une femme Wolastoqey. Plusieurs femmes sont passées avant moi, leur histoire fait partie de la mienne. Souvent elles sont passées sous silence ; de leur vie, peu de choses ont été écrites. Imaginons un instant qu’elles aient eu la parole lors de grands moments de l’histoire, imaginons que leurs voix aient été entendues.

Décembre 1350 : « Nous sommes arrivées dans le territoire d’hiver. Suite à la dernière attaque sur notre campement à la fin de l’été, l’ensemble des aîné.e.s avait convenu de permettre à nos kinapiyit, nos guerriers, de répliquer et d’attaquer l’ennemi sur l’île que l’on appellera désormais : l’Île-au-Masscacre. C’est notre devoir de protéger nos enfants sur les terres de nos ancêtres. »

Mars 1490 : « Ce matin j’ai emmené ma soeur dans le wikuwam des femmes, le bébé allait bientôt naître. Les autres femmes ont alors commencé à se rassembler pour préparer l’arrivée de l’enfant. La médecine a été préparée avec le plus grand soin pour cette occasion. La petite vient d’arriver, elle a les cheveux de la couleur du maïs, comme ceux qui sont venus de l’autre côté de l’océan pour chasser la baleine, ceux qu’on appelle les Basques. Comme le veut la tradition, cette enfant sera l’une des nôtres, une Wolastoqey. »

Juillet 1604 : « Ici, à côté de Tadoussac, plusieurs clans sont assemblés. Pendant que les hommes discutent et fument, nous, les femmes, préparons les rituels qui seront célébrés dans les prochains jours.

De grands bateaux sont arrivés il y a quelque temps, seulement des hommes à bord. Ils boivent de l’eau de feu et en distribuent à nos frères, nos fils et nos hommes. Les grand-mères ont informé les jeunes filles de rester à l’écart. »

Septembre 1760 : « Le bruit court que les soldats anglais ont gagné la bataille sur les Plaines d’Abraham, à Québec. Nos guerriers tardent à revenir et je crains le pire. Ici au campement de la Pointe Lévy, c’est moi qui dois prendre le relais pour m’adresser aux autorités et pour s’assurer que nous recevons l’aide que l’on nous a promise en échange de notre soutien à leur guerre. D’habitude, ce sont les hommes qui nous représentent auprès des gens en uniformes. Nous ne savons pas ce qui arrivera maintenant. »

Février 1826 : « D’un commun accord avec les autres mères de clan, j’ai demandé à mes deux fils de transmettre notre demande aux autorités du Bas-Canada pour que l’on nous octroie une parcelle de terre sur laquelle nous serons en sécurité. Eux savent parler la langue des blancs, ils ont fréquenté la petite école du missionnaire. Depuis l’arrivée massive des loyalistes, nos hommes n’arrivent plus à trouver suffisamment de chasse et les nouveaux venus ne nous laissent plus passer pour installer nos campements. Notre territoire, notre Wolastokuk est de plus en plus petit et nous devons nous battre pour ne pas être déraciné.e.s. »

Juillet 1869 : « Soeurs, filles, tantes, cousines, mères, grand-mères, toutes les femmes de la communauté ont travaillé pendant tout l’hiver pour fabriquer des paniers, des chapeaux, des canots miniatures et des boîtes décorées de poils d’orignaux et de porc-épics. Cette semaine, il y a beaucoup de touristes, ici, sur la grève de Cacouna. Nous pourrons peut-être faire assez d’argent pour se procurer les provisions nécessaires pour la saison froide. »

Août 1895 : « Je suis allée voir mon vieux père dans son camp de chasse. J’ai marché des heures dans la forêt, cueilli des fruits. Depuis que nos terres ont été vendues, je ne vis plus avec mes amies et cousines avec lesquelles j’ai grandi. J’aime aller voir mon père même si c’est loin, il est le seul avec qui je peux parler ma langue. »

Novembre 1950 : « Ma grand-mère m’a prévenue de ne pas dire à personne que je suis Wolastoqey. Trop à perdre, rien à gagner. Garder le silence, garder le secret. »

Août 2019 : « Aujourd’hui lors de l’assemblée générale et des festivités entourant le powwow de la communauté, les femmes ont pris la parole de multiples façons. Elles ont pris part aux décisions, elles ont partagé des enseignements traditionnels, se sont regroupées pour être entendues. Les aînées ont créé des ponts avec les jeunes et je le vois, je le sens, je l’entends, la voix des femmes ne s’est jamais éteinte. Dans ces voix résonnent encore celles de nos ancêtres. »

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NOTE BIOGRAPHIQUE :
Edith Bélanger est consultante dans les domaines historique et culturel. Elle s’implique dans sa communauté, la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, dans l’équipe des revendications et au sein du comité culturel. Wolastoqey par son père et sorcière par sa mère, elle se passionne pour le symbolisme, les cérémonies, les médecines et les langues autochtones. En tant que mère de quatre enfants, Edith valorise la transmission des traditions et connaissances wolastoqey entre les générations.

À propos de Marie-Amélie Dubé

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Un commentaire

  1. Magnifique et très touchant texte Édith!
    Merci!

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