texte Myriam Lapointe-Gagnon, doctorante en psychologie, Université du Québec à Trois-Rivières | photo @parcellesduquotidien
C’est un fait : les écrans sont partout. De plus en plus, nous sommes dépendant.e.s de nos téléphones portables, écrans d’ordinateur, tablettes, etc., et nous craignons de rater de nouveaux messages, un bip qui nous appelle, une vibration qui nous invite, une notification qui nous rappelle de nous mettre à jour sur le nouveau contenu publié à l’instant. Ces habitudes constantes de connexion sont synonymes de coupures dans notre vécu, interrompant souvent les relations en face-à-face.
Par ailleurs, cette gamme nouvelle d’outils technologiques organise notre temps puisque nous pouvons ainsi accéder facilement à presque toutes les personnes et au savoir dans l’instantané. En conséquence, ceci nous a amenés à nous forger de nouvelles habitudes : faire un selfie dès qu’on arrive à un nouvel endroit, se lever en regardant sur son téléphone les nouvelles, avoir l’impression de faire quelque chose de signifiant dans les transports en restant connecté.e, tweeter en regardant les nouvelles, donner le biberon à son bébé en consultant son téléphone, distraire son très jeune enfant durant un voyage en avion par de petites vidéos sur son smartphone, être en famille au restaurant, mais chacun.e plongé.e sur son écran, jouer sur sa tablette avant de s’endormir, etc.
Seulement, il faut savoir que la surfréquentation des écrans peut entraîner différents types de risques potentiellement néfastes, surtout pour les enfants et les adolescent.e.s. En plus des problèmes de surpoids, de non pratique de sport ou de manque de sommeil, on parle de différents impacts au plan cognitif tels que :
• Des troubles des apprentissages (diminution du temps consacré à l’étude, écriture simplifiée apprise pour rédiger des textos rapidement, concentration réduite, etc.) ;
• Des conséquences sur la reconnaissance des lettres et les aptitudes en lecture ;
• Perte de notre mémoire spatiotemporelle en raison de l’utilisation constante d’un GPS ;
• Diminution des capacités d’attention – de 12 secondes à 7,2 secondes de 2000 à 2014 ;
• La privation de moments de vide et d’ennui qui sont source de créativité et d’intériorité ;
• Diminution de la pensée réflexive et du jugement moral dans le cas d’une utilisation massive des médias sociaux et des messages textes.
Par ailleurs, les études parlent de nombreux impacts au plan identitaire et émotionnel tels que :
• Des difficultés au niveau de l’estime de soi et de l’identité ;
• Le risque constant de comparaison dans les réseaux sociaux (risques en lien avec la recherche de popularité selon le nombre d’ami.e.s Facebook ou selon le nombre de « J’aime » obtenus sur un contenu publié) ;
• Une recherche du lien immédiat et de la satisfaction instantanée du désir ;
• Un risque d’isolement face à des réseaux sociaux seulement virtuels ;
• Un risque de cyberdépendance ou de dépendance aux écrans ;
• Des problèmes comportementaux tels qu’une attitude de désintérêt envers les autres chez les jeunes enfants, des comportements hyperactifs et de l’agressivité lors du retrait des écrans.

Finalement, le risque d’exposition traumatique (contenus sexuels inappropriés, cyberintimidation et cyberharcèlement, jeux vidéo violents ou contacts désincarnés dans les réseaux sociaux) peut avoir une influence sur la sensibilité émotionnelle des jeunes qui y sont fréquemment confrontés.
À L’INVERSE, DE NOMBREUX ASPECTS POSITIFS APPARAISSENT ÉGALEMENT ASSOCIÉS À LA FRÉQUENTATION DES ÉCRANS. LEUR POPULARITÉ N’EST PAS SANS FONDEMENT.
Au contraire, l’accès à un ordinateur ou à un téléphone portable ouvre un monde de possibilités géniales. En un clic, il est maintenant possible d’entrer dans un monde de connaissances apparaissant infinies, de se confronter à de multiples défis (notamment dans les jeux vidéo) et de se connecter à des gens de toutes les cultures et de tous les milieux socioéconomiques.
En lien avec l’expérience des jeux vidéo, les jeunes peuvent tirer un profit immense à voir évoluer des héro.ïne.s de leur âge qui rencontrent des problèmes émotionnels du même type qu’eux. En s’identifiant aux héro.ïne.s, ils explorent des façons différentes de faire face à différents défis. Au plan cognitif, il est intéressant de nommer que le numérique permet aussi une modification des stratégies d’apprentissage en favorisant la multiplicité des tâches en parallèle, la mémoire de travail, la spatialité, la pensée intuitive ainsi que l’innovation par l’interactivité.
Par ailleurs, grâce aux écrans et aux applications qui ont été développées dans les dernières décennies, la stimulation des enfants en difficultés est rendue possible (logiciels d’aide d’apprentissage à la lecture, aux mathématiques, tablettes pour enfants non-voyants, etc.). Depuis quelques années, divers moyens de prévention et d’intervention pour favoriser la santé se développent (e-santé, santé numérique, santé connectée) pour traiter, par exemple, la dépression, les troubles du comportement alimentaire, les troubles du spectre de l’autisme, le suicide, etc. En psychologie, les jeux vidéo, les applications téléphoniques et la réalité virtuelle sont d’ailleurs de plus en plus utilisés pour la thérapie des adolescents.
Au-delà des études et des recherches, il est difficile de naviguer en tant que parent dans ce raz-de-marée d’écrans à la portée de nos enfants. Quoi permettre ? Comment mettre des limites ? À partir de quel âge permettre tel ou tel type d’écrans ? Voilà des questions complexes auxquelles je n’ai malheureusement pas de réponse simple à proposer. Par contre, voici quelques conseils qui pourraient étayer et enrichir votre réflexion sur la question. Ces conseils découlent d’une étude effectuée auprès des jeunes et des familles[1].
HUIT CONSEILS UTILES POUR FAVORISER LA RÉSILIENCE DES JEUNES FACE AUX ÉCRANS :
1 – Offrir un accompagnement aux jeunes dans leurs usages des écrans, une éducation aux médias et une réflexion éthique. Par exemple, réfléchir et analyser les échanges sur les réseaux sociaux, être en mesure de vérifier des données publiées sur Internet, etc. ;
2 – Apprendre à distinguer réalité et fiction (différencier le type d’information auquel on a affaire : information vraie et fausse, nombre de vies dans les jeux, etc.) et à prendre conscience de ses propres biais (réflexion sur notre orientation d’utilisation des écrans et de consommation des médias sociaux) ;
3 – Se positionner en tant que parent, enseignant.e ou adulte comme une ressource grâce à une posture compréhensive qui soutient la symbolisation (discuter avec l’enfant d’une image choquante dont il a été témoin, mettre des mots sur ce qu’il a vu, ne pas cultiver les non-dits, etc.) ;
4 – S’assurer que les adultes constituent des modèles (application des valeurs enseignées, téléphone éteint à table, capacité d’autorégulation avec arrêt du travail durant un temps consacré aux enfants, etc.). Suivre ce conseil risque de diminuer aussi le risque de conflits en lien avec les écrans ;
5 – Créer des espaces « déconnectés » (lieux et moments sans écran, comme la chambre des enfants, les repas familiaux, les déplacements en voiture, certaines périodes scolaires, certains loisirs comme les sports ou des jeux de société, les vacances, etc.) ;
6 – Enseigner à la maison, à l’école et lors des loisirs, l’empathie et la bienveillance comme étant des valeurs essentielles envers autrui et dans les échanges dans la vie et sur les réseaux sociaux ;
7 – Valider la qualité des livres numériques, des applications éducatives et des logiciels utilisés par les jeunes ;
8 – Se permettre de réfléchir individuellement et collectivement aux impacts des jeux vidéo violents (stress, sentiment d’insécurité, traumatismes, banalisation de la violence, manifestations d’agressivité tolérées, voire valorisées, etc.) ;
Pour faciliter la poursuite de la réflexion et développer la résilience des jeunes face aux écrans, il serait bon aussi de s’intéresser aux familles dans lesquelles la gestion des écrans est harmonieuse et où les conséquences sont positives. Ainsi, nous pourrions développer des programmes et des guides pour faciliter l’émergence de ces bonnes pratiques pour tous les parents.
À suivre…