texte Éric Dubois | photo Busque
Je cherchais comment traiter de cette question de l’action citoyenne, à un moment où les enjeux sociaux, politiques et environnementaux se multiplient et se compliquent, et où il est de plus en plus difficile de voir des victoires possibles. J’avais besoin de trouver une façon de nous inspirer un peu. J’ai donc invité Mikael Rioux à prendre un café à la maison, jeudi matin. Je le connaissais depuis longtemps ; je l’avais rencontré lors de la présentation d’un film au Saguenay. Je connaissais un peu son parcours militant, et ce que j’en retenais, c’était celui d’un gars qui gagnait ses batailles. En fait, j’en connaissais deux, épiques : celle pour la rivière Trois-Pistoles et celle pour Cacouna, toutes deux gagnées. Je voulais lui jaser de tout cela et d’autre chose. Ça tombait bien, lui aussi voulait me jaser de ses projets… Mikael est volubile et possède une mémoire factuelle incroyable. Il m’explique tout : la vie dans le Bas-du-Fleuve, les dynamiques de pouvoir et ceux qui en profitent ($$$), les magouilles et les passes croches. Il me parle de ce qui l’a ramené des Îles de la Madeleine, où il vivait de sa passion du kayak, jusqu’à Trois-Pistoles, son village, pour mener une bataille qui lui prenait aux tripes. Il me raconte son action contre le projet de minicentrale sur la rivière, grimpé juste au-dessus, tout de suite appuyée par le milieu écologiste québécois, qui est devenue une lutte nationale contre les projets de minicentrales. Il me raconte que Richard Desjardins s’y est pris par deux fois pour qu’il accepte de « refuser » une médaille de l’Assemblée nationale pour une action civique, celle d’avoir sauvé des gens en situation dangereuse aux Îles.
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Mikael est partisan de l’action directe. Pour lui, c’est la meilleure façon de faire avancer les choses. Je suis d’accord, mais avec une réflexion stratégique et tactique auparavant. Il est anarchiste et s’en revendique. On jase alors de stratégies et d’organisation citoyenne. On partage notre vécu de militants. Il me parle de la marche contre l’oléoduc TransCanada, véritable école de militantisme. Il me raconte les sorties en kayak avec le matériel de mesure de son, pendant que TransCanada fait des relevés sismiques. Il m’explique ses relations houleuses avec la compagnie TransCanada, alors promotrice du port pétrolier. Il me parle longuement de ces consultations bidon menées par des entreprises de relations publiques, où l’on prend les gens un par un pour leur faire avaler une bouillie prémâchée. Pour eux, être consulté, c’est être d’accord.
On jase de radio poubelle, qu’il n’a pas peur d’affronter, de son rôle comme intervenant régional, comme empêcheur de tourner en rond. Il me parle de la belle mobilisation autour d’Échofête, des difficultés de la continuité. Je lui fais cette remarque : « Je suis jaloux de ton travail militant pour une chose, entre autres. Tu as réussi, par ton action et ton travail, à influencer directement le développement d’un territoire. Tu as prouvé que c’était toujours possible. » Il me parle de choses un peu moins reluisantes de l’action citoyenne : les ego démesurés, les grosses organisations qui bouffent les petites et qui ne font pas le travail pour autant, la fatigue. Mikael et moi nous entendons sur une chose : ce sont les petites organisations bien tissées serrées qui mobilisent dans la proximité, qui comptent. C’est difficile de toujours bien en vivre, mais tout est possible ! Surtout ici, dans le Bas-Saint-Laurent, où tout est à refaire, à réinventer. Pour une rencontre qui devait durer une heure, notre entretien s’est poursuivi jusqu’au milieu de l’après-midi. Et d’un sujet de reportage, eh bien, Mikael est devenu mon ami. Je lui ai offert un coup de main pour son projet de coopérative dans le chanvre et le cannabis ; je vais l’aider à se rédiger un plan d’affaires. C’est bien la moindre des choses pour le remercier pour toutes ces belles victoires citoyennes. Et aussi parce que c’est une filière intéressante pour la diversification et pour la revitalisation du territoire.