texte Frank Malenfant
GRETA THUNBERG
Greta Thunberg est cette adolescente suédoise de 15 ans qui s’est fait connaître du monde entier cette année parce qu’elle a commencé une grève de l’école pour attirer l’attention sur la responsabilité des États face au futur de leurs plus jeunes générations. Le 20 août 2018, elle a entamé sa grève pour le climat jusqu’aux élections du 9 septembre 2018.
La réflexion derrière sa protestation est simple et éloquente : à quoi sert-il d’aller étudier pour un futur que nos politiciens actuels nous volent ? Pourquoi aller apprendre des choses si nos politiciens ne prennent pas compte des faits ? Elle accuse ainsi d’immaturité sa classe politique qui ne se montre pas à la hauteur de ce qu’on attend de chefs d’État dignes de ce nom. Ceux qui ne la connaissaient pas déjà l’auront découverte en raison de son discours à la COP24 à Katowice, un discours qui aura certainement beaucoup marqué les esprits et qui, espérons-le, aura su réveiller le sens du devoir de certains de nos dirigeants et concitoyens. En voici une traduction libre :
Mon nom est Greta Thunberg. J’ai 15 ans. Je suis suédoise. Je parle au nom de Climate Justice Now. Plusieurs disent que la Suède n’est qu’un petit pays et que ce que nous faisons importe peu. Mais j’ai appris qu’on n’est jamais trop petit pour faire une différence.
Et si une poignée d’enfants peuvent faire les gros titres tout autour du globe simplement en n’allant pas à l’école, alors imaginez ce que nous pourrions faire tous ensemble si on le voulait vraiment. Mais pour faire ça, il faut parler clairement, peu importe à quel point malaisant ce peut être. Vous ne parlez que d’une croissance verte éternelle parce que vous avez trop peur d’être impopulaires.
Vous ne parlez que d’aller de l’avant avec les mêmes mauvaises idées qui nous ont amenés dans ce pétrin, même quand la seule chose sensée à faire est de tirer le frein d’urgence. Vous n’êtes pas assez matures pour nommer les choses telles qu’elles sont. Même ce fardeau, vous le laissez aux enfants. Mais je ne me préoccupe pas d’être populaire. Je me préoccupe de la justice climatique et de la vie sur Terre. Notre civilisation est sacrifiée pour permettre à un très petit nombre de personnes de continuer à faire de gigantesques profits. Notre biosphère est sacrifiée pour que les riches des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. C’est la souffrance du grand nombre qui paye pour le luxe du petit nombre. En 2078, je célébrerai mon 75e anniversaire. Si j’ai des enfants, peut-être passeront-ils cette journée avec moi. Peut-être me questionneront-ils à votre sujet. Peut-être me demanderont-ils pourquoi vous n’avez rien fait quand vous en aviez encore le temps. Vous prétendez aimer vos enfants plus que tout et pourtant, vous leur volez leur futur devant leurs propres yeux.
Jusqu’à ce que vous vous concentriez sur que ce qui doit être fait plutôt que sur ce qui vous est possible politiquement, il n’y a pas d’espoir. On ne peut résoudre une crise sans la traiter comme une crise. Nous devons garder les énergies fossiles dans le sol, et nous devons nous concentrer sur l’équité. Et si les solutions sont impossibles à trouver à l’intérieur du système actuel, peut-être devrions-nous changer le système lui-même ? Nous ne sommes pas ici pour supplier les dirigeants du monde d’y porter attention. Vous nous avez ignorés par le passé, et vous allez nous ignorer encore. Vous êtes à court d’excuses et nous sommes à court de temps. Nous sommes venus ici pour vous faire savoir que le changement arrive, que vous le vouliez ou non. Le vrai pouvoir appartient au peuple. Merci !
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XR – EXTINCTION REBELLION
Extinction Rebellion est un mouvement social anglais qui en appelle à la résistance non violente dans le but de minimiser les changements climatiques et l’extinction des espèces. Lancé par une centaine d’universitaires, ce mouvement a initié des actes de désobéissance civile au Royaume-Uni. Le mouvement a de particulier qu’un grand nombre d’activistes ont fait le serment d’accepter d’être arrêtés et d’aller en prison pour leurs actions. S’inspirant des grands mouvements des droits humains américains et à travers le monde, le mouvement Extinction Rebellion souhaite réveiller l’instinct de survie du reste du monde face à la menace climatique qui, moins concrète qu’une arme à feu pointée sur soi, est tout aussi réelle et dangereuse.
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DÉMISSION DE NICOLAS HULOT
Un autre symptôme incontournable de l’incapacité de la classe politique à faire face à l’urgence climatique actuelle est la démission en direct, pendant une entrevue radiophonique à France Inter, du fondateur de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme (1990) et auteur du film écologiste Le Syndrome du Titanic (2009), au titre de ministre de la Transition écologique et solidaire. « […] sur un enjeu aussi important, je me surprends tous les jours à me résigner ; tous les jours à m’accommoder des petits pas, alors que la situation universelle, au moment où la planète devient une étuve, mérite qu’on se retrouve et qu’on change d’échelle, qu’on change de [pespective], qu’on change de paradigme. » Rares sont les politiciens prêts à quitter leur poste sur des questions de principe. Peu ont la noblesse de jouer franc jeu et de préférer quitter leur poste que de faire croire qu’ils sont en position de livrer la marchandise sur ce qu’on attend d’eux. Ce genre de geste, de la part d’un homme pourtant critiqué par plusieurs pour ses approches trop empreintes de compromis, porte avec lui une critique claire des intentions du gouvernement d’Emmanuel Macron face au défi climatique.
Cette critique se voit encore aujourd’hui portée parmi les revendications des Gilets jaunes en France. Bien que ce mouvement de contestation ait été au départ associé exclusivement à un ras-le-bol face à de nouvelles taxes sur l’essence, ce mouvement aux revendications majoritairement progressistes en a surtout contre le fait que ce genre de mesures est incompatible avec un maintien des écarts de richesse actuels. C’est que la majorité des pas que devront faire les gouvernements pour éviter la catastrophe climatique nécessitent davantage que de petites réformes des systèmes politiques et économiques. Car toute cette lutte ne pourra pas se financer simplement à coup de taxes et de tarifs sur les moins nantis et épargner les riches et les industriels en leur permettant de leur refiler la facture.
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EN CONCLUSION
Avec la crise d’unité nationale actuelle qui oppose les provinces des prairies propétrole aux autres provinces davantage portées vers la réduction des GES, il faut reconnaître que les actions pragmatiques sur le plan environnemental s’opposent aux actions efficaces sur le plan politique. Voici pourquoi nous devrions d’ailleurs nous méfier de notre nouveau premier ministre qui n’a que ce mot (pragmatisme) en bouche lorsqu’on le questionne sur les questions environnementales. Cela est vrai aussi à l’échelle internationale. Il y a fort à parier qu’un électorat qui, humainement, se sent plus concerné par son confort de demain que par celui des trois prochaines générations, n’appréciera pas les mesures drastiques qui s’imposent après avoir pelleté le problème par en avant pendant des décennies et maintenant que nous n’avons que quelques mois pour tout faire. Or, après une longue période d’austérité budgétaire visant à régler la « crise » de la dette au Québec, ne devrait-on pas être conséquents et accepter de se serrer la ceinture pour cette injustice générationnelle encore bien plus grave qu’est notre dette environnementale ?
À ne jamais compter les actifs et les passifs environnementaux qu’implique notre économie, nous avons mal comptabilisé l’impact financier réel de nos décisions et ce sont aujourd’hui des milliards de dollars de dépenses annuelles supplémentaires qui pendent au nez des générations futures pour faire face aux impacts des changements climatiques. Ces impacts, ce sont l’érosion des berges causée par la montée du niveau de la mer, les événements météo extrêmes de plus en plus forts et fréquents (tornades, inondations, tempêtes, sécheresses, feux de forêt), les crises migratoires de plus en plus fréquentes à mesure que certains pays deviennent invivables, l’accueil et l’intégration de ces millions de réfugiés climatiques, les famines issues des sécheresses et des tensions économiques et politiques causées par le bouleversement planétaire et le financement de toutes les mesures d’atténuation et assurances qu’il faudra payer pour réagir à la crise. Lorsque les pays de l’équateur, dont l’Inde, fuiront la désertification de leur territoire – si nous laissons cette éventualité arriver – nous devrons faire face au dilemme moral d’accueillir ces réfugiés climatiques ou tolérer un véritable génocide de classe où les pays riches laissent les gens nés dans les pays plus pauvres mourir aux frontières. Si quelques millions de migrants actuellement forcés à bouger pour des raisons militaires et politiques créent de telles crises en Occident, imaginez le jour où les pays d’Amérique centrale, du nord de l’Afrique, de la péninsule arabique, de l’Amérique du Sud ainsi que de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est deviendront invivables pour leur population.
Ce coût humanitaire, économique et social est un coût réel engendré par chaque tonne de GES que nous émettons, ce qui est à l’origine de l’idée d’une taxe carbone qui a valu aux économistes Paul Romer et William Nordhaus le 50e prix Nobel d’économie, mais dont les industries des énergies fossiles canadiennes seront vraisemblablement exemptées. Si cette taxe devait s’appliquer entièrement dès aujourd’hui, elle aurait un impact immense et immédiat sur le pouvoir d’achat de tous, déséquilibrerait assurément et quasi instantanément notre système économique et l’ordre social dans les pays qui l’appliquent, provoquant des mouvements de contestation de classe semblables à la révolte des Gilets jaunes en France, et mènerait à des changements importants de l’ordre politique et économique actuel. Contrairement à ce qu’en pensent nos politiciens actuellement, ce désordre apparaît cependant inévitable à de plus en plus de penseurs dont le pragmatisme est aligné vers les besoins de l’humanité plutôt que sur la préservation des privilèges des classes politiques et financières. Nous aurions pu par le passé effectuer une transition plus en douceur, mais on aura trop attendu ; le mur est tout proche, et le coup de volant qu’il faut désormais donner n’aura pas le choix de brasser les passagers au-delà de ce qui est confortable. Il n’y a pas de meilleure alternative pour ceux qui peuvent encore espérer être sur cette Terre dans 30 ans.
Il n’existe pas de situation où l’on peut éviter les conséquences d’une dépendance pathologique sans la reconnaître et y faire face. Il n’existe pas de sevrage sans état de manque, sans avoir à traverser des moments difficiles où il nous semblerait tellement plus simple de juste retourner à nos mauvaises habitudes. Or, il faudra savoir un jour reconnaître que notre dépendance aux énergies fossiles et à la surconsommation a déjà causé un tort considérable à notre entourage, notamment l’extinction de plus de 60 % des espèces animales, et nous mènera invariablement à une fin tragique si l’on ne trouve pas la force d’agir rapidement et de manière appropriée. On ne dirait pas à un alcoolique qu’il ne doit pas se reprendre en main parce qu’il a bu une bière aujourd’hui. Il n’y a donc pas besoin d’avoir déjà éliminé l’essence et le plastique de nos vies aujourd’hui pour entamer un sérieux plan de transition.
Étape 1 : Nous devons admettre que nous sommes impuissants face au pétrole, que nous avons perdu la maîtrise de notre vie…
AUTRES RÉFÉRENCES
www.ipcc.ch
www.actu-environnement.com
jancovici.com/changement-climatique
www.sciencepresse.qc.ca