L’oeuvre de Kittie Bruneau

Texte | Michel Lagacé
Illustration | Léa Delignies

Il m’a semblé important de revenir sur la disparition de l’artiste Kittie Bruneau, décédé le 6 avril 2021 à l’âge de 92 ans, car son oeuvre va lui survivre dans le temps, avec la même liberté et la même spontanéité qu’avait celle qui les exécutait dans le plaisir évident de faire des récits avec les images de son environnement du moment, les valeurs qu’elle défendait et les injustices qu’elle dénonçait.

« Ma peinture se lit comme un journal », disait-elle. Elle avait une façon de peindre très assumée, introduisant par la couleur, dans un jeu de juxtapositions et d’échelles variées, des oiseaux, des poissons, des animaux, des monstres, des morceaux de ciels, de rochers et la mer ; autant de fragments de paysages s’entremêlant aux tracés et formes abstraites aux couleurs vives. Ces compositions nous entraînent dans un imaginaire où les mythes de l’artiste interrogent poétiquement son environnement et ce qu’elle y voyait.

Cette femme artiste abordait la peinture et la gravure comme sa vie, hors des écoles de pensées ou des chapelles artistiques aux normes dominantes du moment. Elle était un esprit libre. « Elle a toujours été une femme dans la marge », dit le galeriste Éric Devlin, qui lui a organisé une exposition en 2017, cité dans l’article de Caroline Montpetit annonçant son décès dans Le Devoir du 8 avril 2021.

Après des études à l’École des Beaux-arts de Montréal (1946-1949), Kittie Bruneau part vivre à Paris durant presque huit ans et continuera de voyager dans plusieurs autres pays, souvent pour apprendre ou explorer une technique liée à la gravure, à la céramique, etc. C’est lors de ces déplacements, au début de sa carrière, pendant ses études à l’Académie Julian à Paris (1949), qu’elle adhère aux idées et à la manière de faire développées par le groupe CoBrA, fondé en 1948. Même si ce groupe d’artistes de différentes villes européennes n’existait plus comme groupe depuis le début des années 1950, leurs idées et le manifeste écrit par Christian Dotremont sur le coin d’une table dans un café de Paris circulaient encore auprès d’artistes non conformistes à la recherche d’une libération de l’art, d’où découlait ce goût de Bruneau pour les emprunts à l’art populaire nordique, à l’art primitif et naïf. Elle sera attirée par la manière libre de travailler la couleur de certains de ces artistes : Karel Appel, Corneille et Asger Jorn, entre autres. Des influences déterminantes.

CoBrA est l’acronyme des villes de résidence des artistes qui ont été dans ce groupe (Copenhague, Bruxelles et Amsterdam). Comme le dit cet extrait du texte manifeste « La cause était entendue », de Christian Dotremont : « Nous refusons de nous embrigader dans une théorique artificielle. Nous travaillons ensemble dans une collaboration organique expérimentale […] qui évite toute théorie stérile et dogmatique. »

Après l’Europe, Kittie Bruneau s’installe en Gaspésie l’été, à Val-David en hiver et bien plus tard chez ses amis de la Première Nation des Stoney au nord-ouest de Calgary, où elle est décédée le 6 avril dernier.

Avant que l’île Bonaventure devienne un parc national, Kittie Bruneau s’y installe à l’été 1961 avec les 160 autres personnes qui vivent sur cette île. « Ce nouvel environnement marque rapidement les tableaux de l’artiste qu’elle présente dans les années 1960 à Montréal. Le Musée des Beaux-arts de Montréal (en 1962) et le Musée d’art contemporain MAC (en 1966) lui ont consacré chacun une exposition dans ces années. Elle habitera ensuite une petite maison sur la pointe Saint-Pierre à Percé et continuera d’exposer ses oeuvres dans des expositions particulières et collectives dans plusieurs galeries sur l’ensemble du territoire canadien. En 2019, on lui organisera une grande exposition rétrospective au Musée Le Chafaud à Percé pour souligner son 90e anniversaire. Ses oeuvres se retrouvent maintenant dans plusieurs collections muséales.

Depuis ces années, son travail est devenu « une peinture colorée, joyeuse, empreinte de poésie » où les formes s’inspirent de l’environnement gaspésien, mais aussi des images de ses voyages en Inde, au Tibet, en Chine, en Haïti, au Mexique, au Japon, au Pérou, etc., et aussi des cultures autochtones. Elle avait une façon de lier les signes dans une approche expressionniste aux effets brusques, aux couleurs vives, contrastés, parfois plus précis, d’autres fois moins. Ce « non fini » ou ce chaos qu’abordaient plusieurs de ses compositions m’a toujours semblé être l’une des grandes qualités contradictoires de son travail. Cette approche est devenue une signature reconnaissable, propre à la singularité de l’ensemble de son oeuvre.

Mais par la suite, il est devenu évident que cette manière d’aborder la peinture ne cadrait pas avec la tendance du formalisme moderniste qui dominait le monde de l’art dans les années 1970, incarné dans le milieu montréalais par Gido Molinarie (1933-2004). Tandis que plus tard, au milieu des années 1980, quand l’art s’ouvre et devient plus écliptique, où la figuration côtoie l’abstraction, sans créer d’oppositions dogmatiques, on lui redonnait enfin une place plus importante dans la nomenclature des artistes du Québec.

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