Rencontre avec M. Jean-Baptiste | texte Ève Feron
Il y a des métiers un peu magiques. Le travail de Jean-Baptiste est un peu comme cela. Quand il raconte ses souvenirs de travail, quand il raconte ce qu’il faisait en 1959, on se croirait dans un film. On est à bord du Transcanadien, direction Vancouver, dans une voiture privée du train de voyageurs. Les voitures privées sont grandes, aérées. Ici, pas de sièges passagers, mais des chaises en rotin, des sofas recouverts de tissu, une table en bois brut, des cadres et des tapisseries aux murs, des rideaux pourpres aux fenêtres où défile le paysage canadien. On longe le bord des Grands Lacs, les plaines de la Saskatchewan, les montagnes de la côte ouest…
Jean-Baptiste n’est plus étonné ; il connaît par coeur tous les tracés des chemins de fer du Canada, il les a tous faits. Il travaille comme cuisinier responsable d’une voiture privée du Canadien National (CN). Ses repas sont somptueux. Il s’agit d’une véritable abondance de nourriture qu’il sert aux patrons du CN qui voyagent à bord du train. Des pyramides de crevettes, des plateaux de fromages et de charcuteries, des coupes de fruits débordantes, des gâteaux recouverts de fraises, des roulés aux épinards et au fromage frais… Jean- Baptiste cuisine ses plats, monte, installe et décore sa table d’honneur. Il place l’argenterie, les assiettes en porcelaine, les verres en cristal, il plie les serviettes de table comme dans les plus grands restaurants, il éparpille des fleurs autour de ses plats. Sa petite fantaisie : sculpter un petit poussin à l’aide d’un pamplemousse et d’une orange pour le corps, des melons d’eau coupés pour les ailes et la queue, et une pince de homard pour le bec. La table est prête pour accueillir les invités de marque. Ce n’est pas la reine d’Angleterre, mais presque ! Un jour, M.S., ministre du gouvernement canadien, mangeait à sa table. Originaire lui aussi de Rivière-du-Loup, il s’est tout de suite pris d’affection pour Jean-Baptiste. Il le trouvait chanceux de vivre dans un train. Il lui confia qu’étant jeune, il rêvait de traverser l’Europe à bord de l’Orient-Express.
« Donne-moi tes papiers. Demain, je passe à Ottawa, je vais t’arranger ça ! » Jean-Baptiste, cette année-là, vivait dans une situation délicate. Il était menacé d’aller en cour et de perdre son travail à cause d’une erreur administrative. M.S., lors de cette soirée, eut vent de son histoire et lui fit cette proposition. Trois jours plus tard, le supérieur de Jean-Baptiste reçut une lettre annonçant que tout était arrangé et que son employé pouvait rester travailler pour la compagnie. Une petite annotation à l’encre en bas de la feuille précisait : « Je n’ai jamais mangé de souper aussi succulent que celui de M. Jean- Baptiste. Bonne continuation sur l’Occident-Express. Avec toute mon affection, M.S. »
Cette histoire est inspirée d’un fait vécu.