L’imposteur·e

Texte | Marie-Clarisse Berger
Photo | pixabay.com

J’ai grandi dans un milieu très blanc, dans une famille de classe moyenne. Pourtant ma peau camoufle mon vécu, jusqu’à ce qu’on me pose des questions (parfois inquisitrices) sur moi.

« D’où tu viens? » « Non mais, t’sais d’où tu viens pour de vrai? » « Ah oui, t’as des frères adoptés aussi? C’est-tu tes vrais de vrais frères? » « Te trouves-tu dont chanceuse d’être au Québec plutôt que là-bas??? »

Chaque fois, ces questions me laissent perplexe. Alors je me requestionne, je me demande qui je suis et quelle est mon identité.

Quand je suis avec des personnes noires qui viennent de Montréal, je ne suis pas assez noire pour eux. Si j’utilise des expressions nouvelles tout droit sorties du slang montréalais, on me reproche parfois de caricaturer, de mal utiliser les expressions, de prétendre être comme eux. Comme si une langue n’avait jamais évolué en s’inspirant des autres cultures… Comme si quelqu’un tenait entre ses mains la rectitude et le Bon Petit Guide pour savoir comment être un « vrai » noir…Je pense être noire donc je suis noire? C’est ça qu’il disait Descartes, non?

Si j’utilise mes expressions normales, avec certaines personnes, je ne me fais pas comprendre. Mon ton, mes gestes sont parfois analysés. Donc, je m’adapte, je navigue entre deux mondes avec autant d’assurance que le capitaine du Titanic. Je prends la télécommande, j’allume certains modes, ready set go. Faut juste pas que j’oublie de rembobiner la cassette à la fin du film.

Lorsque je retrouve mon Bas-du-Fleuve, un aspect me manque, une familiarité me manque, un sentiment d’appartenance à une communauté distincte me manque. Je me coiffe différemment, par peur d’attirer les regards ou les rictus de gens qui ne sont jamais sortis de chez eux. Des cheveux crépus et des accessoires, ça suscite l’attention faut croire.

Et lorsque je retrouve mon entourage, mes anciens milieux de travail, mon école secondaire, ça me frappe de plus en plus: personne ne me ressemble physiquement près du fleuve.

Je ne suis pas comme les Noirs et je ne suis pas comme les Blancs.

Lorsque je retourne en Estrie, je perçois un peu de traits qui me ressemblent. Parfois, je compte combien de personnes noires sont dans une pièce. Par curiosité, par goût de me rapprocher d’une culture que je connais moins, je ne sais pas.

Mais la réalité me rattrape, lorsque je suis parmi la communauté noire, personne ne me ressemble culturellement.

Et donc je ne ressemble à personne, ce qui en soi, est génial! J’ai remporté la palme d’être unique! Réjouissons-nous, non?

Dans les faits, je ne mange pas de griot ni de pikliz parce que je n’ai jamais appris à en cuisiner. Je m’étonne lorsque j’entends de nouvelles expressions mélangées avec la langue de Molière. J’ai grandi en écoutant Macaroni tout garni, mais je n’ai jamais écouté Passe-partout. 

Je ne sais pas danser la kompa (d’ailleurs je ne sais jamais s’il faut dire le ou la kompa), mais je peux te danser Cotton Eye Joe les yeux fermés et te tirer quelques passages de tunes des Loco Locass.

Je déteste aller à la cabane à sucre, pour rien au monde je ne mettrais des fèves au lard dans ma bouche et les queues de castor me lèvent le coeur tellement c’est sucré. J’aimerais secrètement prendre une photo avec le bonhomme Carnaval et je connais l’histoire derrière la devise québécoise. J’adore les sports d’hiver et la neige et j’ai goûté à ma toute première soupe joumou il y a peu de temps.

Je n’ai jamais appris à prendre soin de mon type de cheveux, mais je me sens près de la communauté haïtienne lorsque je me laisse bercer par les mots de Roxane Gay dans Ayiti. J’écoutais Luc Merville plus jeune, tout en sachant jouer au piano Évangéline.

Je dis « genre et comme » trop souvent selon mes parents, je connais un maximum de 10 mots en créoles et j’adore le joual et les sacres québécois.

Suis-je une blanche dans une enveloppe de noire?

Une noire, mais pas assez noire?

Une blanche qui rejette la culture québécoise de souche?

« Crise d’identité », me direz-vous.

« Ça va te passer », me direz-vous.

« C’est vraiment pas si deep », me direz-vous.

Peut-être.

En attendant, je rêve de découvrir Haïti. On l’appelle aussi « perle des Antilles » que mon père (oui, mon vrai père) m’a appris un jour. Et quand j’y serai, je m’ennuierai probablement de la poutine d’ici en me demandant encore si c’est Victo ou Drummond qui l’a inventée…

Une question demeure… Est-ce que je veux être polygame avec mes propres identités? Est-ce que je souhaite aimer deux fois également, simultanément et imparfaitement?

La réponse était souvent floue dans mon esprit, mais aujourd’hui, oui.

Je le veux.

Et je revendique le droit d’être une mauvaise épouse vis-à-vis mes identités.

Une épouse qui se glissera dans le lit de l’autre, qui l’appellera parfois son amant.

Parfois simplement, son deuxième amour.

À propos de Marie-Amélie Dubé

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