L’Île Verte

Texte et photos | Michel Lagacé

Insulaires durant quinze jours sur l’Île Verte à l’été 2019 et aussi durant des étés, avant et plus proches dans le temps. Nous avons eu, une amie et moi, l’opportunité d’habiter cette année-là une maison ancestrale avec à l’étage des chambres de bois comme le titre du roman d’Anne Hébert. Une maison avec de jolies marines entourées de cadres ancestraux dans plusieurs des pièces. Une maison avec des fenêtres et un balcon donnant sur des paysages enchanteurs. La convivialité de la pièce centrale, à la fois salle à manger et lieu de partage avec nos invité.e.s, restera tel un espace mythique dans ma mémoire. C’est aussi pourquoi nous avons toujours le goût d’y retourner, mais nous restons malgré tout, de faux insulaires à moins de se montrer plus insulaires que les insulaires. Pourtant dans cette île, j’ai vite trouvé à m’ancrer et à aimer la brise, les embruns autant que le soleil éclatant de l’été et surtout j’ai bien vite oublié pour un temps mon autre vie. Et aussi le fait que l’on était, pour les vrais insulaires, que des touristes de passage.

D’après le texte d’André Croteau dans le vieux livre d’art, Les îles du Saint-Laurent (Henri Rivard Éditeur) feuilleté dans le hall, lors d’un passage dans une auberge à Baie-Saint-Paul, l’Île Verte tiendrait son nom – la plus longue surface de vert forêt en bordure sud du fleuve – des autochtones de cette rive (Les Malécites – maintenant Wolastoqiyik Wahsipekuk) qui venaient, du temps de Champlain, faire du troc avec les commerçants de La Rochelle. Un commerce clandestin, loin des regards des fonctionnaires de Tadoussac sur l’autre rive, haut lieu du commerce officiel entre les différents peuples autochtones et les Français.

C’est bien avant qu’un dénommé Louis Bertrand, lieutenant-colonel de la milice, qui devient marchand et meunier, décide d’acheter la batture sud de l’île et qu’un jeune étranger William Price, rompu au commerce du bois arrive sur l’île. « En 1815, Le grand Voyer consent à construire une route qui reliera l’Isle-Verte à Cacouna futur tronçon de l’actuelle route 132 ». À la suite de ces événements, c’est Charles Bertrand qui exploitera la « bourrure » fabriquée à l’aide de la « mousse de mer » ou « herbe à bernache » – une plante marine (Zostera marina) ramassée sur la batture sud de l’Île-Verte. Elle servira à rembourrer les matelas, les sofas, coussins, selles, colliers des chevaux, etc. – la plupart des gens à cette époque dorme sur de la paillasse – « Ce produit connaît une faveur instantanée ». C’est probablement l’âge d’or de l’île pour les habitant·e·s affairé·e·s à ramasser cette herbe au début du dix-neuvième siècle.

Mais revenons à ce séjour inoubliable : Quinze jours de balades en vélo, de conversations, de lectures et de repas agréables. Comme l’écrivait un de mes amis après nous avoir visités durant quelques jours, et en reprenant les mots d’une chanson de Diane Dufresne : « Un souvenir heureux est plus vrai, bien souvent, que le bonheur, plus vrai que tous les mots du fond du coeur ».

Je connais cette Île depuis longtemps, initié à ces traversées par un ami de longue date qui continue d’y séjourner quelques jours tous les étés – passant de Montréal à l’Île Verte, deux îles bien différentes. La première fois, plus jeune, j’ai traversé de Rivière des Vases au quai d’en haut (à l’ouest de l’île), et après, au quai actuel plus à l’est, le plus souvent par le bateau-taxi de Jacques Fraser, et maintenant par le traversier avec l’auto, rempli à ras bord – plus les vélos derrière pour des séjours de plusieurs jours.

En vélo, l’Île verte est un endroit enchanteur. Une route de terre du côté sud d’environ 14 km, une autre menant au phare côté nord. De 15 à 25 habitants permanents l’hiver. Donc, beaucoup plus populeuse en été, mais elle reste encore préservée du tourisme de masse, à cause des marées qui déterminent les traversées du bateau et l’arrivée des véhicules. Peu d’infrastructures touristiques, pas d’épicerie et même la marchande de poisson a enlevé, tout dernièrement, son tablier.

Autrefois, il n’y a pas si longtemps, bien avant la nouvelle gare fluviale accueillante, il y avait, et bien plus loin à l’ouest, dépassé le petit motel insolite de quelques chambres, tel une ligne blanche dans le paysage, un casse-croûte – autrefois un restaurant familial avec un menu plus élaboré – dans une maison de rang et encore plus à l’ouest, un bistro-terrasse qui a, lui aussi, changé de vocation. Même le discret et très chaleureux restaurant L’Échouerie en bas
de la pente, côté sud a fermé ses portes après la retraite de sa propriétaire et cuisinière Michèle Dionne. Mais le long de cette route du sud, intriguant Musée du squelette, et même le Musée-boutique de La Vieille École « Michaud » sur l’histoire des insulaires de l’île, sont toujours là contrairement à de vieilles granges au bois gris trop fatiguées, qui ont quitté le paysage le long de cette route de terre. Deux lieux incontournables de l’île. À voir dans l’école-musée, en plus des photos et artefacts des autres époques, la maquette des hauts-fonds entre l’Île Verte et Tadoussac pour bien visualiser par la morphologie du lieu, pourquoi les baleines viennent se nourrir jusqu’à cet endroit du fleuve.

Le plus vieux phare du fleuve Saint-Laurent domine au nord de l’île, avec à l’est, ses belles plages de sable – et une nouveauté, un traiteur dans l’un des bâtiments de ce site, depuis quelques étés. Avec les randonnées en vélo, les maisons louées, les baleines au large selon la chance de l’observateur·trice et même ces souvenirs de lieux disparus sont certaines des facettes qui rendent pour moi cette île unique, vivante et verte. Du bout d’en haut au bout d’en bas, parsemé ici et là de maisons colorées dans les champs, en bord de route ou sur le littoral du sud, ce tour de l’île est l’image officielle et touristique, mais pas son âme qui reste pour celui ou celle qui y retourne souvent ou y demeure, un secret bien gardé, comme pour ces vieux·vieilles pêcheurs·pêcheuses du quai d’en haut qui attrapent des poissons bien plus gros que l’on pense…

C’est le lieu idéal pour voir passer le temps, pour le voir s’élargir de jour en jour en lectures, en bonne compagnie, en promenades, en rencontres, en paysages de fleurs des champs, de battures, de rochers, de hautes et de basses marées, de plages de sable ou de galets à parcourir. Sur l’île, les nuits noires ouvrent le ciel à des millions d’étoiles. On peut y imaginer la solitude, le silence bruyant du vent du nord en hiver, tout en sachant qu’on ne sera pas là pour le ressentir avec les insulaires qui y vivent à l’année. Pont de glace en hiver ou l’hélico, la traversée de la bouette en été, quelques chevreuils aperçus en été comme en automne ni changeront rien ; l’Île a son rythme et c’est ce qui fait son charme.

De la croix du chemin du bout d’en haut, le point de vue sur l’île avec ses petites maisons colorées d’un côté et de l’autre, le paysage large du fleuve, donne une bonne idée de la magie de cette petite île, toute blanche en hiver, vert tendre au printemps, du vert au vermeil en automne. Aux grandes marées « de verts et de bleu de mer » comme le rappelle le dépliant Île Verte, Notre-Dame-des-Sept-Douleurs. Vivre les saisons au gré des marées.

Au retour, à 10 heures sur le quai, on apprend que le bateau ne partira pas, la marée n’est pas assez haute, une journée de plus sur l’île que l’on prend avec joie. On devrait avoir droit au deuxième départ du bateau en soirée. Mais in extremis, au premier départ du bateau du soir, un espace se libère que l’on prend. Dans le noir de cette soirée de fin de juillet, le bateau quitte l’île, passant près de la petite île Ronde et des balises de l’autre rive avant la fin de cette courte traversée.

Des coquillages, du verre poli, de petites roches, oubliés dans les poches de mon pantalon… L’île m’habite encore de ses objets, de ses couleurs et de mes souvenirs heureux. Juste hâte d’y retourner en me répétant ces mots d’André Croteau : « Île. Juste à le dire, le mot sonne comme une note, un écho qui meurt au loin. Comme un rêve qu’on porte au fond de soi. C’est toujours là-bas, dans la brume ou quand son image se reflète dans l’eau, suspendue entre ciel et terre. »

À propos de Marie-Amélie Dubé

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