texte Max Belisle, préposé au délire
On parle de réseaux sociaux aujourd’hui et je me souviens avec un brin de nostalgie de l’âge d’or de l’anonymat sur Internet. Vous vous souvenez de votre premier nick sur mIRC ? Vous vous rappelez de la petite sonnette fatiguante de ICQ, de Myspace, des forums de discussions où régnait un solide chaos ? Quand tout ça n’avait strictement aucune importance, car on savait que tout ce qui se disait sur Internet était teinté d’une sorte de fantasme d’anonymat. Une bouteille à la mer. Tout était troll, c’était convenu. Qu’est-ce que je dirais si personne savait que c’était moi ? Le Web du début des années 2000, c’était ça ! Avec l’arrivée des mastodontes comme Facebook, YouTube et Twitter, le raisonnement a vite switché à « Montre donc ta vraie face pis dis donc ton vrai nom pour montrer à tout le monde la vraie personne derrière les conneries de clavier. » Ces plateformes de démocratisation médiatique sont extrêmement invitantes pour quiconque veut sortir de sa tanière, numériquement. Et au lieu de réfléchir à ce qu’on dit, sachant que plusieurs gens vont lire, savoir de qui ça provient et possiblement répondre, on y va all in sur le spectacle et maintenant : on s’expose.
On expose à tous notre niveau d’orthographe. Jamais de notre vie a-t-on autant écrit et en même temps, jamais a-t-on aussi peu considéré l’importance de bien écrire. C’est comme si tout le monde roulait soudainement 30 000 km par année en voiture, mais qu’on disait « Le Code de la route ? Ben trop compliqué, je vais bien rouler en zigzag à contresens si je veux, l’important c’est que je me rende, non ? » Oui, je le sais, personne ne va mourir pour une erreur d’homophone. Mais comment je dirais bien ça ? Ton français écrit… c’est un peu tes vêtements intellectuels. C’est bien superficiel, mais quand tu sors, tu mets pas ton chandail avec une tache de moutarde dessus.
On expose à tous nos opinions mal informées. Qu’on se le tienne pour dit : 2 fois sur 3, quand on se prononce sur un enjeu social ou politique, on ne sait foutrement pas de quoi on parle. On lit le titre d’un article, on fact-check un gros 22 secondes, on se bombe le chest pis on écrit ! Nous sommes des citoyens qui observent le monde, le réfléchissent et le verbalisent. Rien de plus, rien de moins. On ne devrait donc pas avoir honte de réviser nos positions, de les nuancer. Or, tout ça se passe en public. Se faire pointer un mauvais raisonnement en public… c’est un peu comme se faire pointer son t-shirt à l’envers. C’est pas tout le monde qui veut faire la simagrée de le remettre à l’endroit devant tous. C’est le bout où généralement la bataill d’articles commence et le sujet de discussion passe à « mon scientifique pisse plus loin que ton scientifique ». S’en suit un trou noir qui engloutit ta journée et part avec un bout de ta santé mentale. L’humilité, ça sauve du temps guys !
On expose à tous notre incapacité à débattre convenablement. Hé oui, dans le trou noir d’une session d’ostinage virtuel, on trouve aussi l’attaque personnelle ! C’est bien connu, la valeur d’une personne n’est que l’addition de toutes ses opinions. Il est donc normal de conclure qu’un individu aux opinions contraires des nôtres est nécessairement un.e imbécile et c’est tout à fait approprié de lui rappeler. On sauve un tout petit peu l’humanité en faisant ça ! Non ? Je vous en supplie. Saisissez le sarcasme de ces dernières lignes et entourez-vous de gens qui différencient discussions d’opinions et confidences ! Je vous jure, les deux sont super différents !
Heureusement, tout ce chaos, ce bruit, se fait sur fond de couchers de soleil, de pensées positives, de photos de voyages d’enfants et d’animaux de compagnie ! Ça serait weird que tout soit laid et qu’on soit quand même plus de 2 milliards sur les réseaux sociaux. Là où certaines langues sales y voient de l’hypocrisie ou un début de bipolarité, je constate la légèreté qu’il est aussi possible d’exposer. C’est le fun voir du beau. C’est le fun se faire filer des tuyaux de musique, de films, de séries, de livres, d’humoristes, de jeux, de podcasts, de documentaires, d’événements pis toute pis toute ! Mais comme c’est l’humanité qui s’expose, le beau côtoie le laid, le génie côtoie la bêtise, la vie côtoie la mort, en temps réel, sur la série de statuts qui forment ton fil d’actualité. Ça en fait beaucoup à gober.
Ça vaut peut-être la peine de prendre une pause de son « moi numérique » ponctuellement, le temps de se purger de cette surabondance d’humanité et de revenir en version mise à jour plus harmonieuse. J’dis ça d’même !