Lettre à ma fille

texte Chantal Parenteau

 

Ma belle enfant, mon petit bout de velours, mes grandes pattes drettes ! Comment pourrais-je te dire un jour tout ce que j’aimerais que tu saches pour rentrer dans ta vie ? J’aimerais tellement me déguiser en ta meilleure amie pour que tu me croies quand je te dis ce que je pense être la vérité… Encore chanceuse, j’ai toujours ma crédibilité de mère ! Du haut de tes 10 ans, tu me dis et redis « Je t’aime » intensément, trois fois par jour au moins, comme tu le ferais avant de te lancer d’une falaise. On dirait que tu sais que bientôt, la vie va t’emporter, va t’arracher à ton enfance, te propulser vers un infini inconnu. Tu sens qu’en toi le futur se prépare ! Ta vie de femme est toute prête comme une fleur de pavot dans son bourgeon prêt à éclater sous les rayons du soleil. Cette année, je me suis demandé si je te mettais des serviettes hygiéniques dans ton sac d’école. Ça se peut que ça arrive, dans ces dix prochains mois d’école. Mais non, je ne t’en ai pas encore parlé, que cela pouvait arriver maintenant. Je ne veux pas que tu t’inquiètes avec ça. Que tu y penses tous les jours… Bien entendu, tu sais ce qui arrivera, un jour. On n’a pas de secret là-dessus. Mais de le préparer, pour vrai ! C’est moi qui ne suis pas prête ! J’aimerais garder pour toujours tes boucles blondes, tes rêves plus grands que nature. J’aimerais que jamais tu ne voies la méchanceté véritable, que tu ne connaisses l’horreur, la peur. Et voilà… Pourquoi ce trouble, pourquoi cette quasi-certitude que tu vas être abîmée ? Je ne l’ai pas été tant que ça, je n’ai pas subi de violences, d’abus, et pourtant, j’ai peur pour toi ! C’est ça, la culture du viol ? La grande peur du loup derrière chaque arbre, même quand on n’en a jamais vu un ! Je te veux forte et courageuse ! Je te sais fragile et généreuse. J’adore ta tendresse et ton honnêteté, mais je voudrais que tu deviennes dure et rusée pour te défendre. Je veux que tu voies la beauté du monde, mais je te prépare pour ses plus vils aspects… N’est-ce pas ainsi que l’on construit cette culture ?

 

 

Génération protégée de tous les dangers, soignée avec des pansements de princesse, bourrée de fraises et de crème fouettée, le réveil sera brutal… Et parfois, dans l’intensité de tes « je t’aime », j’entends le murmure de tes craintes, j’entends l’écho de tes conversations entre amies qui s’échangent des secrets de petites filles, j’entends que tu n’es pas tout à fait prête toi aussi à glisser dans ce tourbillon d’adolescence, mais c’est là. On en entend le murmure. Tu veux tellement bien faire. Tu as l’orgueil de ton grand-père ! Ou de ton père… Tu te mets une telle pression pour être parfaite ! C’est de moi, ça ? Et pourquoi ? Pour qu’on t’aime ? Pour qu’on te voie ? Pour que tu existes ? Pour qui veux-tu exister ? Et que se passerait-il si tu n’existais que pour toi ? Si tu acceptais d’être une simple petite fille qui expérimente la vie ? Je te vois te regarder dans tous les miroirs, t’observer le profil, la coiffure, la coupe des jeans. L’image que tu veux donner prend de plus en plus d’espace. Cette société qui ne fait que cadrer, qui met l’accent sur ce que l’on veut montrer, cacher les défauts, elle n’épargne personne ! Tu es parfaite ! Crois-moi. Telle quelle, sans clinquant, ton duvet aux mollets, tes joues rougies par le froid ou l’effort. Tu es juste parfaite ! Tu cours comme une gamine que tu es, tu garnis ton jardin secret de rêves innocents, tu existes simplement.

À propos de Marie-Amélie Dubé

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