Texte et photo_Sylvain Poirier
Comme beaucoup d’entre nous, j’ai dernièrement été ébranlé par la fin de l’aventure terrestre de notre Serge Bouchard national. Oui, Serge Bouchard n’est plus… Vive Serge Bouchard ! Par la nouvelle, pas le choix de réaliser l’ampleur de
la perte, l’ampleur d’une place tout à coup vide. On le sait anthropologue, auteur, animateur de radio, historien et plus encore. Mais il y a une zone difficile à définir dans le rôle que cet homme a su jouer pour notre collectivité.
Mon premier contact avec Serge Bouchard a eu lieu par l’entremise de la radio. Lorsque j’ai entendu sa voix pour la première fois, j’ai dû m’arrêter un peu, saisir ce qui se passait. Ça vibre, ça rentre dans le corps, ça réchauffe et ça fait place aux grands espaces dans lesquels nous allons plonger. On aurait dit un mantra qui roule en boucle. Comme un « ground ». Même mes plantes ont tripé fort ! Et que dire des arbres sur mon terrain qui semblaient sur la même cadence ! Il y a quelque chose de chamanique dans cette vibration. Une force profonde et douce en même temps.
Ce qui est le plus remarquable avec cette voix, c’est qu’on devine rapidement qu’elle témoigne d’une sensibilité hors du commun, d’une sagesse inébranlable et d’une rigueur historique convaincante. L’oeuvre est colossale, il faut le dire ; c’est l’oeuvre d’une vie. On y sent la recherche, la passion, la réflexion, les bibliothèques chargées, les rencontres sympathiques, les routes, les voitures et les larges paysages qui ont mené à chacun de ses livres, chacune de ses phrases. Le sachant sensible à tout ce qui vit, rien n’est négligé. Il a su mettre en lumière les racoins
de notre histoire trop longtemps tenus dans l’ombre, tant ceux d’aujourd’hui que ceux du passé. Il a su mettre en lumière les héros et héroïnes flamboyant·e·s de notre histoire qui ont fait de l’Amérique ce qu’elle est aujourd’hui. Coureur·euse·s des bois, Innu·e·s, Métis·ses, Algonquin·e·s, Africain·e·s, Femmes ; c’est toute une palette de négligé·e·s qui sort du placard. Et à travers eux·elles, une Amérique française et métissée qui retrouve ses lettres de noblesse. Une invitation à dénouer des noeuds complexés que nous entretenons avec notre propre histoire, notre propre identité. Si Marcel Trudel a secoué l’histoire dans les années 50-60, Serge Bouchard, lui, nous propose des voies de réconciliation.
Avec le futur qui fonce droit sur nous à la vitesse de l’éclair, je réalise à quel point ce genre d’homme et de femme qui parle le langage du coeur et le langage du peuple est vital. Comme une pulsion nécessaire à notre survie, il aura honoré le vivant tout au long de son oeuvre, et ce, avec une humilité remarquable.