Les effets secondaires du haïku

Texte | Daisy Winling, journaliste pigiste

À 77 ans, Hélène a envie d’écrire ses propres haïkus et se rend compte qu’il y a bien plus derrière cet instantané poétique qu’elle s’imaginait. Ce poème, le plus petit au monde, a été inventé il y a plusieurs siècles au Japon. Il y est toujours populaire, mais il est aussi largement apprécié ailleurs. Peut-être parce qu’il nous rend plus attentif·ve·s et sensibles aux petites émotions de la vie quotidienne ?

LA FORME ET L’ESPRIT DU HAÏKU
Il y a quelques semaines, Hélène a participé à un atelier d’initiation au dessin méditatif et au haïku, où, très sommairement, on lui a expliqué les règles d’écriture. « C’était très décevant. Ça ne faisait pas longtemps que la dame en faisait et elle ne m’a pas vraiment expliqué ce qu’était le haïku. Je suis sortie de là aussi peu renseignée qu’avant. »

Tout ce qu’elle a appris, c’est que ce poème s’écrit en 17 syllabes réparties sur trois lignes de 5-7-5 syllabes et qu’il évoque une saison. Hélène n’est pas très inspirée par la nature en général, mais la brièveté du haïku lui semble à sa portée.

Comparé aux traditions de la poésie française, écrire un haïku a l’air simple. C’est une illusion, prévient Jeanne Painchaud, poète et animatrice d’ateliers de haïku à Montréal depuis plus de 30 ans. Elle cite de mémoire le philosophe Roland Barthes : « Le haïku a cette propriété quelque peu fantasmagorique, que l’on s’imagine toujours pouvoir en faire facilement. »

« La seule chose facile, c’est écrire un mauvais haïku ! », glisse-t-elle, amusée.

Ce qui manque vraiment à Hélène, c’est de comprendre le principe du haïku, que Jeanne Painchaud résume ainsi : « C’est comme prendre une photo avec des mots. En même temps que l’image, on capture aussi le son, l’odeur et l’émotion d’un moment. »

LES PREMIERS HAÏKUS D’HÉLÈNE
Hélène a donc commencé à en lire dans les anthologies qu’elle a trouvées en librairie, pour mieux en saisir l’esprit.

Quelques jours plus tard, alors qu’elle attendait une amie au Café des Grands Ballets canadiens à Montréal, elle remarque les abat-jours en forme de tutus et d’autres détails. Elle est charmée par le lieu. Calepin et crayon dégainés, Hélène écrit :

Ballerine debout
pointes roses ancrées au sol
temps suspendu

Un matin, en marchant vers la station de métro, elle compose spontanément ce haïku :

Deux lignes blanches
Tête blanche
Trop lent

Pourquoi ? Elle a remarqué les lignes blanches du passage pour piétons et se dit, avec un peu de pitié, que « les lumières ne sont pas assez longues pour les petits vieux ».

« Je me trouve pas pire pour mes premiers haïkus !, confie-t-elle en riant. Le compte des syllabes n’y est pas, la saison non plus, mais ils décrivent exactement mes états d’âme à ces moments-là. » Pas pires, mais perfectibles. Hélène revient inlassablement sur ses haïkus pour réduire les mots superflus, trouver des synonymes plus courts et s’assurer qu’ils restent compréhensibles.

Qu’Hélène se rassure, les règles du haïku ont évolué au cours du vingtième siècle, notamment en ce qui concerne l’évocation de la nature. L’essentiel, rappelle Jeanne Painchaud, est « de raconter un instant d’émotion qu’on a vécu ».

ÊTRE DANS LE MOMENT PRÉSENT
On ne peut pas inventer un haïku. On le vit. S’il ne fallait retenir qu’un seul principe, c’est celui-là.

« Cette poésie m’a aidée à regarder le monde. » Selon Pascale Senk, conférencière, animatrice d’ateliers d’écriture et poète, le haïku est une poésie de l’attention. Il nécessite de sortir de soi et d’observer ce qui nous entoure. C’est ce qui le distingue d’autres formes d’écriture créative qu’elle trouve souvent autocentrées.

Parmi les concepts fondateurs du haïku établis par le poète Bashô au 17e siècle figure le wabi-sabi ; le goût des petites choses, ce qui est tellement banal qu’on n’y fait pas attention, comme les lignes blanches du passage pour piétons.

Hélène ne devait certainement pas être distraite par son téléphone ou avoir l’esprit préoccupé par sa facture d’Hydro pour être capable de remarquer ce détail et s’imaginer une personne âgée courbée sur sa canne, arrivée seulement à mi-chemin quand la lumière change.

Pascale Senk n’hésite pas à parler de méditation pour décrire cet état de « présence à la fois à ce qui se passe et à ce que ça éveille en nous. »

PARTAGER UNE ÉMOTION
« L’empathie est dans l’ADN du haïku. » C’est une évidence pour Pascale Senk, qui est aussi journaliste spécialisée en psychologie. « Elle est au coeur de la recommandation poétique de Bashô. Il n’emploie pas le mot “empathie”, mais un terme proche dans son concept de shiori, qui est de la sympathie pour toutes choses vivantes. »

Prudente, Jeanne Painchaud relativise l’idée que le haïku exerce nos muscles empathiques parce qu’elle craint qu’il soit associé à un outil de développement personnel. D’après elle, « n’importe quelle forme d’écriture nous touche parce qu’elle est traversée par des émotions qui nous rejoignent. »

Le haïku est un art d’écrire, et sa finalité est poétique. Ceci dit, avec son exigence unique de brièveté, il concentre tout un processus d’observation, de sensibilité et de créativité comme peu d’autres formes d’écriture.

Jeanne Pinchaud reconnaît qu’« évidemment, on doit être attentif·ve à ses émotions pour écrire un haïku. Mais pas nécessairement les grosses émotions : le haïku reste un poème de la vie de tous les jours. »

AVANT D’ÉCRIRE UN HAÏKU : EN LIRE !
Le mieux pour se faire sa propre idée est de faire comme Hélène et lire des haïkus. Heureusement, ce ne sont pas les anthologies qui manquent. On y retrouve évidemment les incontournables classiques japonais comme Bashô, Buson, Issa, Shiki… Même s’ils nous parviennent d’une autre époque et d’une autre culture, ces poèmes restent vibrants d’émotions et résonnent en nous longtemps après les avoir lus. Et c’est pareil pour les haïkus contemporains du monde entier ! C’est peut-être ce qu’il y a de plus surprenant avec le haïku : c’est un poème accidentellement universel.

Livres de Jeanne Pichaud :
Mon été haïku. Illustré par Chloloula. Éditions Druide, 2021
Découper le silence : regard amoureux sur le haïku. Éditions Somme toute, 2015
Le ciel si pâle. Avec des oeuvres d’Ivan Sigg. Éditions de la Lune bleue, 2011

Livres de Pascale Senk :
Ciel changeant : haïku du jour et de la nuit. Éditions Leduc, 2022
Un haïku chaque jour. Éditions Seuil, collection Points, 2019
L’Effet haïku : lire et écrire des poèmes brefs agrandit notre vie. Éditions Seuil, collection Points, 2018

À propos de Marie-Amélie Dubé

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