Texte | Élise Argouach
Photos | Fernande Forest
Je frappe et attends. Dès l’entrée, nous sommes invité·e·s à décoloniser notre rapport au territoire, à passer de la conquête à l’écoute. La porte de la Maison Rioux s’ouvre sur Katia Grenier, en résidence de création avec PAR ICI du 7 au 16 août. L’artiste en arts visuels vivants s’appuie sur des formes installatives, de l’art textile et de l’art-nature pour tenter de faire corps avec le territoire. C’est aux Îles-de-la-Madeleine que Katia Grenier commence à réfléchir sur le corps-territoire et les espaces sauvages, son thème de recherche à la maîtrise en études des pratiques psychosociales à l’UQAR. Ici, sa proposition est d’entrer en résonance avec la Maison Rioux. À l’arrivée, une table d’objets hétéroclites où se croisent des éléments de la nature et des artefacts humains dans une cohabitation sans rupture. La beauté de l’ensemble et la singularité de chaque élément donnent la sensation d’être accueilli·e par la vie elle-même.
Pour Katia Grenier, l’art relationnel c’est « être avec ». Elle a donc créé des dispositifs de dessin « à l’aveugle » à visée interactionnelle. À une station, elle propose d’esquisser, les yeux clos, notre ressenti de la maison. Dans la seconde station, nous nous dessinons face à un miroir. Une autre ouvre sur la nature, et la dernière sur la relation à l’autre puisque nous nous dessinons face à face. Je me suis assise à cette station avec Katia. La présence de l’artiste est contagieuse. Incapable de voir ma feuille, j’habite mon corps et la dessine.
Mon acuité décuplée par cette pratique attentionnelle, je me laisse atteindre par la Maison Rioux. Dans la salle appelée « poumon », la peau des dessins exposés me touche. Le dispositif de création a réussi à libérer le contrôle des traits. J’aperçois les espaces sauvages de ces gens dessinant la relation avec leurs amours, la nature et eux-mêmes. La série d’autoportraits est saisissante. La Maison Rioux semble accoucher de dizaines de visions libérées, abstraites et fines. Katia transmet sa démarche artistique : s’arrêter jusqu’à trouver un élément qui nous émeut au point de faire corps avec et créer sans censure.
La Maison m’ouvre l’âme. Je monte l’escalier qui raconte en grinçant les décennies passées. À l’étage, un espace tendre sous une fenêtre. Quelques ballots de laine rouge sont agencés dans une étagère. Vision utérine des débuts du monde, je m’y installe. Sur la table basse, des petits corps de glaise, comme autant de naissances invisibles. La laine représente des fibromes. Art intime, Katia Grenier sublime les histoires de sa maison-corps.
Plus loin, dans l’ombre des charpentes, le « sinus » respire dans un frisson rose de laine minérale. Un fantôme est suspendu à une porte. Son corps composé de masques chirurgicaux crie l’exil relationnel pandémique. Derrière le personnage masqué, j’entrouvre la porte et découvre, dans l’obscurité, de l’espérance. Katia a tissé sur des masques des phrases lumineuses récoltées. Depuis le grenier jusqu’au sous-sol, la Maison Rioux est devenue corps vivant où se révèle un art de mise ensemble et de mise en sens.
Pour conclure sa semaine, Katia Grenier nous fait vivre un art action ritualisant : il faut sortir un lapin géant, cousu antérieurement (Les traversées, 2017) du vide sanitaire renommé « psyché ». Dans une lente procession, nous l’avons libéré des profondeurs et amené jusqu’au fleuve. Enfants et adultes, guidé·e·s par Katia, s’allongent sur le lapin, les bras repliés sur il·elle·s. Je m’essaie. L’effet d’enveloppement est immédiat. J’écoute les vagues. Joie subversive. L’immense peluche rentrera ce soir à la Maison Rioux en suivant le sentier de roches et de pétales créé par Katia et le public. Et dans la maison, chacun·e est invité·e à prendre un objet hétéroclite et à le déposer dans un cercle au sol : le nid qui accueillera le lapin ce soir.
« Je voudrais habiter une telle maison », conclut un enfant devant l’oeuvre. La recherche-création de Katia Grenier aboutit à une véritable synergie entre les éléments artistiques, les personnes, la Maison Rioux et la nature. Un seul corps. À travers la création relationnelle de Katia, la Maison Rioux, lieu humain au corps sylvestre, est devenue un trait d’union entre l’extérieur et l’intérieur. L’antre véritable est l’entre, la relation.