L’encre des maux – Entrevue avec Constance Céline Brousseau

Texte | Marie-Amélie Dubé

On se rencontre aujourd’hui pour mettre en lumière les ateliers d’écriture que tu as faits avec L’Horizon. Quelle est la démarche sensorielle derrière ça ? Comment es-tu arrivée à proposer cette démarche ?

C’est une démarche qui fait appel aux cinq sens, pour s’y reconnecter. La vue, l’audition, l’odorat, le goût puis le toucher pour la sensation physique, mais aussi le ressenti, soit l’émotion. C’est une démarche pour développer l’acuité sensorielle afin que l’acte d’écrire passe par le corps et devienne plus vivant.

OK. On fait ça comment ?

Au tout début, on avait une petite routine de méditation durant laquelle je demandais aux participant·e·s de respirer, de prendre le temps, de prendre leur place, etc. Je me suis aussi servi de techniques que j’utilise quand je fais des ateliers de théâtre. À un certain moment, je leur demandais de fermer les yeux et leur posais des questions en rapport avec leurs sens, par exemple : « Quel goût avezvous dans la bouche en ce moment ? Quel bruit entendezvous ? Quelle émotion vous habite ? »

Donc, on passait les sens en revue pour en prendre pleine conscience, comme une sorte de méditation sensorielle. Ensuite, on commençait les activités. On avait des thèmes ou des questions, et l’on avait aussi de la musique. Par exemple, une fois, on s’est intéressé·e·s à la fragilité de la vie, alors j’ai mis la chanson « La vie est si fragile ». Je leur ai ensuite demandé de m’écrire quel goût avait la fragilité de la vie.

Ça donne souvent des conversations très intéressantes. Je ne m’attends jamais à ce qu’il·elle·s vont écrire. L’un∙e des participant∙e∙s avait dit que la fragilité de la vie avait le son d’un oiseau ; un oiseau, c’est petit, c’est fragile. J’ai trouvé ça merveilleux comme comparaison.

C’est vraiment une zone de confort lorsqu’on discute. Les gens partagent ce qu’ils veulent. Personne n’est obligé.e de parler d’un sujet douloureux. L’écoute se fait dans le respect de ce qui est dit. Une intervenante du centre, Nadia Pouliot, nous accompagnait pour aider au confort des participant·e·s. L’importance d’un tel duo dans un contexte de soutien est pertinente et précieuse. Nous formions une équipe dynamique. Le but est d’aller à la découverte des mots, de faire remonter à la surface les mots qui sont enfouis en nous.

Est-ce que l’atelier est présenté comme thérapeutique ? En faisant le lien avec le centre d’entraide L’Horizon et la santé mentale, les gens qui participent viennent dans quel objectif ?

C’est le deuxième atelier que je donne avec le centre L’Horizon. Le sujet est venu d’une expression donnée par un∙e participant∙e du premier atelier qui disait se sentir plus vivant·e après l’avoir fait. Je trouvais ça merveilleux, car c’est effectivement l’un des objectifs. Je sais que les gens qui fréquentent le centre sont des personnes qui ont besoin d’aide, de soutien, mais cet atelier pourrait être donné à tout endroit, pour tout groupe de personnes.

L’écriture en soi est déjà un moyen thérapeutique, non ?

Oui, dans ce sens-là, effectivement. L’écriture nous en apprend sur nous-même. On voit les zones où l’on est confortable ou pas, on se découvre en choisissant les mots. Je dirais que malgré moi, malgré les intentions de l’atelier, l’écriture en tant que telle est thérapeutique. Les personnes se libèrent et laissent aller leur créativité. Elles se transforment et se découvrent parce que ça les pousse à aller au fond d’elles-mêmes.

En rencontrant les participant∙e∙s, j’ai trouvé ça extraordinaire à quel point il∙elle∙s se sont livré∙e∙s, se sont confié∙e∙s dans cet atelier, et surtout, avec la confiance de le faire en groupe, devant les autres.

Oui, j’ai moi aussi trouvé ça extraordinaire ! Je travaille beaucoup à créer et bâtir un climat de confiance avec le groupe. Et jusqu’à maintenant, ça fonctionne très bien. Je crois que les gens ne se sentent pas jugés quand ils lisent ce qu’ils ont écrit, ni par moi ni par les autres. Je crois aussi que, puisque je ne leur demande pas d’écrire d’une certaine manière, puisqu’il n’y a pas de norme, ça leur permet d’être libres dans leur expression. Ils ne se sentent pas menacés par la forme ou la norme de l’écriture. Quand on écrit, on est automatiquement invité·e dans notre intimité, car on puise les mots de notre intérieur. Ça ne peut pas faire autrement.

J’ai l’impression que tu les accompagnes dans une manière de gagner en confiance dans leur vie, et l’écriture devient comme un levier ou un outil pour prendre confiance et se dire « oui, OK, c’est correct de parler et de dire comment je me sens ».

Tout à fait.

J’imagine que c’est aussi différent pour tout le monde. Je ne crois pas que tou∙te∙s les auteur∙trice∙s le font pour cette raison. Toi, quand tu écris, est-ce que c’est pour te donner de la confiance, pour t’exprimer ?

Oui, je crois que la confiance d’un∙e auteur∙trice s’améliore avec la pratique. Il y a une base où tu dois faire confiance à tes compétences, à ton écriture, et que tu n’as pas à avoir honte de tes mots afin de plus tard aller dans la fiction ou la nouvelle. Oui, peut-être partir d’un souvenir, d’une expérience personnelle, mais inventer la suite aussi. Je crois que l’auteur∙trice fait lui∙elle-même sa propre thérapie.

Comment as-tu aimé ton expérience avec le centre d’entraide L’Horizon ?

Eh bien, avant les ateliers d’écriture, j’ai aussi fait des ateliers de théâtre avec eux∙elles. On a monté des spectacles, et c’est une clientèle que j’aime particulièrement. Je crois que j’ai une certaine facilité à entrer en contact avec leur vulnérabilité, leurs inquiétudes, et leurs questionnements me touchent, m’émeuvent. Je pars avec beaucoup de « préjugés favorables », si l’on veut.

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