par Nikole Dubois, la louve blanche en cavale…
Les jongleries dans mes 70 ans mettent en lumière la vulnérabilité du corps. Des transitions s’enclenchent en cascades…
Avec la cinquantaine, les cheveux blanchissent, les cataractes, les rides, ridules et bourrelets s’annoncent, la taille et le menton doublent, à la queue leu leu, les pattes d’oie, les plis, la calvitie, les bosses, les poches, les taches brunes… L’écorce est atteinte ! Puis, des maux de toutes sortes sortent. Les articulations, les os crient « présents » avec leur vocabulaire, arthrite, rhumatisme, arthrose, ostéoporose, rien de rose ! Les jongleries de nuit réveillent les angoisses qui veillent pour compter les jours qui restent. Elles prennent de l’amplitude, se teintent d’inquiétude. Des trous de mémoire font broyer du noir. Ces brisures changent l’allure, un coup dur pour l’image… l’autonomie. Le beau coté de la chose ? Quand un corps se déboulonne, ça questionne ! Le corps peut-il s’en aller sans que rien ne vienne à la rescousse ? Sa vulnérabilité ouvrirait-elle la porte à autre chose ? Des forces, encore inconnues, attendraient-elles au portillon ? Ne sommes-nous qu’un corps ? Ne sommes-nous pas des êtres capables d’intériorisation ? Dans la nature et après les coups durs, l’équilibre ne se refait-il pas ? Les émotions, la conscience, les valeurs, le coeur ne vieillissent pas ! L’arrivée massive des personnes ainées pourrait changer les choses. L’espérance de vie a augmenté de 25 ans depuis l950 et doublé depuis le 18e siècle. Un phénomène nouveau ! Une première dans l’histoire de l’humanité ! Toute l’organisation sociale est questionnée ! Une révolution de la longévité ! Nous sommes plus nombreux à vivre plus vieux, plus heureux et plus en santé. Subir ou créer ? Que faire ? Mieux vaut faire le bon choix. Pour certains, la retraite va durer plus longtemps que la carrière. Mieux vaut accepter ce qui arrive… tenter de comprendre… L’attitude mentale jouerait un rôle majeur dans la façon de vieillir. Phénomène naturel après tout ! Une métamorphose, occultée, partie intégrante du processus cyclique de vie : naitre-vieillir-mourir. L’ordre des choses ! Les mots vieux, vieille, vieillesse, vieillir, vieillissement ne commencent-ils pas par VIE ?
« I l ne faut pas vieillir et repousser la mort. Faire semblant d’être jeune jusqu’au bout ! Se faire voler notre droit de vieillir ! »
Puisse le vieillissement devenir expérience personnelle et collective d’un développement autre ? Expérience de finitude entre la vie et la mort. À ne pas rater ! Faut-il lorgner le vieillissement d’un regard neuf ? Ne plus regarder en arrière… avancer en dévalant la montagne. Changement total ! Virage radical ! Affront à l’inconnu ! S’orienter autrement : vire de bord, Éléonor ! Bascule consciemment dans le processus émergent. Amorce un dépouillement progressif vers ce qui demeure quand tout le reste s’en va… Passe à de nouvelles cibles : troquer la durée pour l’intensité, célébrer l’instant, apprendre à perdre, à se détacher, à vivre avec l’inachèvement, vivre autrement ce qu’on ne peut plus faire comme avant. Grandir par en dedans ! Même dans des conditions difficiles, la vie a un sens avec le droit de ressentir du plaisir et du bienêtre. Paul Claudel, à 80 ans, disait : « Je n’ai plus d’yeux, plus d’oreilles, plus de dents, plus de souffle, plus de jambes… Et c’est étonnant, somme toute, comme on peut s’en passer. » Ce virage radical à 180 degrés tourne le dos à une représentation sociale négative et limitative du vieillissement. Une société obsédée par la jeunesse, la vitesse où la rationalisation ménage les services. Les personnes ainées deviennent des objets de soins et de consommation devant céder la place à plus performant. On les place ! On les prend en charge ! On les amuse ! On les crème ! La production, l’efficacité, la forme et l’autonomie sont prônées à tout prix. À rendre malade ! Tout le monde ! Le vieillissement devient tabou incluant fragilité, vulnérabilité et mort. Destination ainée ? Incompétence permanente ! Jamais à la hauteur ! Il ne faut pas vieillir et repousser la mort. Faire semblant d’être jeune jusqu’au bout ! Se faire voler notre droit de vieillir ! Le vécu de vieillissement incite à un autre rythme, d’autres rôles, d’autres habitudes, une autre image, d’autres valeurs reléguées au 3e rang : lenteur, disponibilité, temps, fragilité, plaisir de la rencontre, frugalité. Des valeurs tierces valorisantes pouvant jouer un rôle structurant et décapant pour rétablir un équilibre social. Des valeurs en décalage avec une société gonflée de Performance, Vitesse et Consommation (PVC), des valeurs de plastique, que je me plais à appeler.
Sortons les valeurs tierces du garderobe correspondant au vécu des personnes ainées en dehors des horaires, des rôles productifs, des obligations extérieures. Elles prédisposent à la sérénité, à l’humanitude, à la plénitude conduisant au recueillement, au contentement, à la mouvance des choses. Le coeur s’agrandit, l’acuité s’amplifie, les sentiments se raffinent, des sensations subtiles s’éveillent, les perceptions s’aiguisent, la beauté et la fragilité touchent, le paysage vit, le corps exulte encore et s’accorde au rythme de la tendresse, l’inhibition fout le camp… on sait qu’on va partir. Chaque geste compte, le temps prend son temps, le temps libre, le temps intime, le temps de l’être, le hors temps succède au temps social, ne plus attendre le dimanche pour… On parle de petits riens, de petits bonheurs, de parcelles d’éternité, de merveilleux… comme de grandes découvertes. On peut nier le processus de vieillissement, le mépriser, nous le voler… n’empêche que c’est l’entrée dans un espace d’intériorité, de liberté, de créativité, de détachement… pour atteindre le fond de soi. Osons marcher vers un nouvel engrenage à l’encontre de conditionnements sociaux1. Accueillons un vécu prometteur. Décapons un vieillissement croulant. Détabouisons-le. Délestons-nous d’enfarges plutôt que de souscrire à un minable mirage. Redéfinissons-nous avec LE STRIPTEASE DE NOS VIEUX JOURS qui ramène à la source ! Accueillons cet effeuillage étonnant, morceau par morceau, pour nous détacher de toutes ces choses inutiles, futiles, superflues, ces entraves, gestes vides, illusions pour enfin arriver au bout de soi. L’essentiel avant le ciel ! Dépouillons-nous allègrement ! Pour mieux nous déployer, nous retrouver ! Rentrons à la maison ! Sans en nier les inconvénients, le vieillissement n’est ni maladie ni malédiction, calamité, fléau financier ou flop. Quand on vieillit, on est toujours en vie !
À vivre un passage crucial au top de cette quête humaine !
Et si le vieillissement était une opportunité, un défi de citoyenneté, une façon de demeurer vivant jusqu’au bout ?L’âgisme n’a qu’à bien se tenir !
Un jour ce sera votre tour…
Ça me brasse! À 78 ans, trois ans et demi après un avc, après avoir tout fait pour maintenir un rythme de production intellectuelle inchangé, humilié par mes chûtes et mes oublis, imaginant que c’est insupportable pour mes proches, pratiquant le déni de la fatigue… Et pourtant, à l’échelle collective, je suis critique à l’endroit des normes culturelles de performance et d’impeccabilité. Bon! Je mets ça dans ma pipe et amorce une réflexion visant à assumer mon âge.