Texte | Jacques Poulin, MAGU, MBA, Consultant en gestion durable
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La crise mondiale actuelle du Covid 19 est une tragédie relativement bien gérée au Québec et au Canada présentement. Le sérieux avec lequel les citoyens adhèrent majoritairement aux consignes et au confinement permettent d’envisager une éventuelle sortie de crise sanitaire. Plusieurs axes de notre vie en communauté seront bonifiés par le retour à l’entraide, la reconnaissance de la différentiation des groupes sociaux, la valorisation de certaines fonctions et d’emplois à la base de nos entreprises et l’importance de la solidarité et de la proximité. Les séquelles seront cependant majeures, non seulement au niveau du risque de la fracture sociale mais aussi de la facture économique. Ces éléments doivent guider les gouvernements dans la suite des choses. On ne peut pas repartir la machine et le développement sur les mêmes bases. On doit se souvenir d’un passé très récent pour lequel la communauté scientifique avait enfin réussi à faire reconnaitre le défi de l’humanité; l’urgence climatique. On doit profiter de cette pause planétaire pour repartir le système sur de nouvelles bases. Tout un défi que celui de la durabilité, ne serait-ce que pour l’Amérique du Nord!
Bien sûr, les programmes qui se mettent présentement en place doivent, malgré leurs coûts faramineux, servir à assurer à chaque canadien un minimum vital, nous permettant de passer à travers cette crise. Le soutien aux entreprises par contre, doit être priorisé vers les PME (particulièrement les nombreuses, très petites, de 2 à 10 employés) plus sensibles à une secousse de cette ampleur. On devra trouver les mécanismes appropriés afin que ces emplois soient soutenus selon des ratios supérieurs aux grandes entreprises. On se souvient de certains exercices de sauvetage de grandes entreprises sans garantie du maintien des emplois ou d’un peu de retenu, ou mieux, un remboursement de l’aide, avant de verser des dividendes. Il faut partir immédiatement la réflexion sur l’après-crise et l’inscrire dans une perspective durable. La planification d’un perpétuel développement n’est plus possible sans que la facture assumée par la planète n’ait plus d’impact mondial. L’histoire nous apprend à travailler dans l’esprit d’un « New Deal ». Les soutiens à la relance des grandes entreprises doivent être assujettis à des conditions et des objectifs de durabilité. Nous devons profiter de cette opportunité exceptionnelle afin que l’audace et l’innovation soit au service de la société non à court terme mais porteuse de durabilité.
La crise actuelle a permis de mettre en lumière un des effets collatéraux d’une économie fortement mondialisée. Depuis des décennies, nous entendons les gouvernements nous annoncer, suite à des fermetures d’usines, que nous devons nous tourner vers les activités à fortes valeurs ajoutées. La délocalisation d’une importante capacité de production industrielle, souvent motivée non seulement par la diminution des coûts mais aussi par l’augmentation des marges bénéficiaires et les bénéfices à court terme (voir l’industrie pharmaceutique entre autres), a créé une vulnérabilité des chaines d’approvisionnement dont on vient de prendre connaissance de l’ampleur. La Chine est maintenant le siège principal de production des ingrédients actifs nécessaire à la fabrication de médicaments, d’équipements médicaux, etc, nous forçant à utiliser des mesures exceptionnelles afin de permettre temporairement à certaines usines (Dieu merci, elles n’étaient pas toutes disparues!) de se transformer pour faire face à cette pénurie. Il faudra que les gouvernements, dans une perspective de durabilité, questionne la vulnérabilité des chaines d’approvisionnement des entreprises et stimulent la relocalisation de capacité industrielle locale ou à tout le moins, continentale, le transport devant définitivement être globalement internalisé dans le coût des produits.

Cela devrait nous ouvrir la voie à une réciprocité environnementale, évitant ainsi que la diminution des coûts de production ne soit que le déplacement d’externalité négative à la production (tel que la gestion des rejets, contaminants ou autre) vers d’autres pays. En effet si nos entreprises sont moins compétitives à causes des coûts sociaux et environnementaux qu’elles doivent assumer, il serait normal que le gouvernement exige des pays exportateurs, le respect de nos normes ou qu’à défaut, leurs produits soient surtaxés d’un montant équivalent. Cette mécanique permettrait de soutenir à partir de ces nouveaux revenus, la production plus durable de nos entreprises et ainsi soutenir leur compétitivité tout en ralentissant la délocalisation et créant également une pression vers la durabilité, pour les autres pays. Bien sûr il y aura un prix à payer, mais il est faux de prétendre que nous atteindrons un monde plus durable sans aucun effort. D’ailleurs, les partisans de la solution technologique qui éliminerait les GES et autres polluants ne tiennent jamais compte que cette solution ne sera ni gratuite ni accessible à tous.
On doit repartir l’économie en visant la carboneutralité. Bien sûr, dans 6 mois, tous les véhicules ne seront pas électriques. Tous les projets de transports collectifs ne seront pas en place. Le Québec et le Canada seront encore composés de milliers de communautés réparties sur un territoire immense de faible densité. Cependant, ne rien faire n’étant pas une option, je propose bien humblement, et souhaite, que cette réflexion hors sentier soit le début d’un grand laboratoire collectif. Voici un exemple « hors de la boîte » et qui bien sûr n’est pas une solution finale, mais un axe à développer. Prenons comme exemple le pétrole albertain. On ne voit plus de rationalité économique à subventionner une industrie dont l’exploitation n’est pas rentable sans ce soutien, et qui cause un dommage irréparable à notre environnement, sans compter tous les effets collatéraux en matière de santé, de problématique sociale, de respects des droits autochtones. On comprend très bien les albertains de vouloir maintenir leur niveau de vie. Ils réclament non seulement le maintien de ces exploitations, mais leur développement, parce que c’est ce qu’ils connaissent. Arrêtons-nous, non pas à ce qu’ils demandent, mais leur besoin, soit le maintien du niveau de vie. La situation actuelle est que nous produisons 4 millions de barils de pétrole par jour qui se vendent environ 27$ et dont le coût de production serait supérieur. Ne serait-il pas préférable de tendre vers moins de barils produits mais de chercher à en augmenter la valeur? Émettons l’hypothèse suivante ; au lieu de subventionner la production d’une ressource naturelle exportée non transformée (et se comporter comme les nations à l’époque du colonialisme!), nous investissions ces milliards pour transformer cette production vers des secteurs en développement tels que les polymères, les plastiques à des fins biomédicales, etc, tous des produits à fortes valeurs ajoutées. En plus de créer de nouvelles entreprises de transformation remplaçant possiblement une part des emplois perdus en extraction, nous donnerions naissance à des nouvelles entreprises nécessaires au futur. De plus, avec le délaissement graduel du pétrole, cette capacité industrielle pourrait s’adapter puisque conçue en ce sens (écoconception), vers les bioprocédés et les bioplastiques. Enfin, ces produits de seconde transformation sont facilement transportables par voie ferroviaire, permettant son exportation dans toutes les régions du Canada, pouvant générer un effet levier, tout en minimisant les risques environnementaux. Tout cela est possible. Facile, non, mais nécessaire et comme mentionné, offre au moins une piste de réflexion.
Au Québec, plusieurs municipalités ont fait le choix de la bio-méthanisation pour le traitement des matières organiques. Ce principe permet de donner une valeur ajoutée à ce que l’on enfouissait auparavant. Nous produisons maintenant, à l’instar du film Retour vers le futur, un carburant avec ce qui se retrouvait dans nos lieux d’enfouissements sanitaires. Certaines villes et sites l’injectent au réseaux d’Énergir, d’autres sont des fournisseurs de serres productrices de légumes et d’autres à des industries. La valeur ajoutée du méthane produit (CH4), bien qu’intéressante autant au niveau économique qu’environnemental, peut à plus long terme se trouver encore plus centrale dans le positionnement énergétique. En effet, l’hydrogène représente un réel carburant de l’avenir, l’électricité étant à des fins de transport, souvent considéré comme une énergie de transition. Il suffit de trouver la méthode de fragmentation du méthane pour produire de l’hydrogène, le défi étant d’obtenir la solution dont le gain énergétique et environnemental est le plus grand. Cela permettrait également de régionaliser la production et la distribution de ce biocarburant un peu partout. Cet exemple de la région de Rivière-du-Loup vient s’ajouter à plusieurs autres expériences positives réalisées à ce jour par plusieurs communautés notamment Saint-Hyacinthe, Varenne, la Semecs, pour n’en citer que quelques-unes.
Pour certains, ces scénarios sortent tout droit d’une science-fiction. Peut-être que les suggestions faites ne sont pas toutes réalisables, mais elles ont le mérite de sortir des sentiers battus, de nous obliger à penser différemment. Elles n’ont pour seul objectif que de nous stimuler et orienter le débat vers la durabilité. Je comprends que tous les élu(e)s sont engagés dans cette crise sanitaire et que les périodes de réflexions y sont plus rares, mais vous devez garder à l’esprit, l’après crise. Je vous invite à mobiliser vos ressources et à réfléchir collectivement à des pistes qui nous amènent vers la durabilité, adressant les problèmes actuels, y appliquant des solutions innovantes qui ne laisseront pas aux générations futures, ni une facture environnementale irresponsable, ni une facture financière pour des problèmes non solutionnés. Redonnons un monde dont nous n’aurons pas honte de léguer aux enfants de nos enfants puisqu’il permettra à ceux-ci de léguer à leur tour un avenir à leurs descendants.