Texte | Frédérique Lévesque
Oeuvre | Nathalie Gagnon
Après-midi.
Le lit nous attend, fidèle, à bras ouverts. Centré sur le mur laiteux, couleur de sable et naturellement adouci par le soleil qui pénètre immensément dans la chambre en après-midi. Le lit massif, de bois foncé. Rectangle de tissu opaque. L’envie d’y plonger constamment.
Coucher du soleil.
Cette boule d’excitation qui se raffermie au creux de mon ventre quand pointent les dix-neuf heures. Quand les couleurs du soleil couchant se diffusent autour des maisons de notre quartier, glissent sur les toitures et s’immiscent par la fenêtre jusqu’à la coupe de vin placée là. Et parfois je fais exprès de la placer là, pour ça : provoquer un éclat.
Crépuscule.
J’attends en prenant des gorgées d’eau refroidie par des glaçons qui claquent entre eux dans le verre. J’attends le calme de la soirée qui couvera bientôt chacune des pièces de la maison. Jusqu’à la nuit qui nous guidera immanquablement vers la chambre.
Il y a cette hâte d’aller t’y rejoindre vraiment, parce que la journée a été difficile.
Nuit.
La tête cachée par des pans de cheveux mêlés entre eux, comme des voilages éprouvés par le courant d’air d’une fenêtre ouverte. Les jambes croisées avec les tiennes. Bientôt ce contact sera insoutenable puisque les canicules viendront. Les hanches désaxées, la langue molle dans la bouche. Les yeux au fond du crâne, ne voient plus rien. Le dos détendu, lourd sur le matelas. La peau docile, comme du béton fraîchement coulé qui prend la forme d’un caisson.
Ici, on commence à une extrémité du lit et la nuit nous fait entreprendre la grande traversée du matelas : notre monde pendant des heures. Exploration de tes berges. Marécages des draps ramassés le long de toi, qui se tassent facilement du revers de ma main. Sans orgueil. La noirceur cache les visages et les réticences.
Lit aux draps de lin, légers et frivoles en leurs extrémités qui ondulent. Il faudrait les repasser. Les laver avant, pour avoir la satisfaction de l’odeur de lessive après. Draps d’un certain vert foncé, forêt. Comme un lit de mousse sur lequel le sommeil est roi. Il nous possède à part égale. Jumeaux d’un abandon commun. Abandon de nos muscles qui nous lâchent. La force nous quitte tranquillement, à pas de loup, mais complètement. Tellement qu’au matin, cela prend tous les efforts du monde, juste pour serrer le poing.
Les oreillers n’ont plus de formes que celles que nos bras leur donnent. On les serre en boule, et on les place sous nos ventres. Le calme est complet. Même le vent qui vient par bourrasques impressionnantes dehors, pourtant capable d’arracher leurs branches aux arbres, je sais que cela arrive, même ce vent-là est apaisant.
Et si, brusquement, je me lève dans la noirceur opaque, alors je suis forcée d’utiliser mes paumes, de faire jouer mes doigts sur les murs, de glisser mes pieds sur les planchers de bois, puis sur les ardoises du corridor de la maison pour me diriger dans l’espace sans rien heurter. Séance d’improvisation.
Je m’approche de tout avec une délicatesse que je trouve parfois touchante.
Matin.
Ouvrir les paupières à demi. Se déplier, dénouer nos corps ensemble.
Jour.
Attendre la nuit.
