La révolte

GuyJude

par Guy Jude Edwynn Bremont

 

La révolte n’est pas toujours populaire
La mienne est personnelle.
Je suis né il y a vingt hivers.
P’tit flo a ouvert ses yeux sur le monde avec curiosité
C’était une autre personne que moi c’t’enfant-là.
C’était la prérévolte, le temps où l’on s’efforce d’être insouciant.
J’ai entendu des « elle », j’ai entendu des gens complimenter mes parents sur la beauté de « leur fille ». Incapable d’en être heureux,
je ne comprenais pas.
J’ai coupé mes cheveux, me suis emparé de vêtements aussi amples que mon mal-être.
Ma face m’a valu des « jeune homme » quand on me voyait, ou des regards d’incompréhension de peur que je ne colle pas à leurs normes.
Pourquoi, pourquoi mon coeur se réchauffait et rougissait comme un brasier quand on laissait mes chromosomes de côté ?
J’ai cru être fou, avoir un problème. Et la puberté est arrivée, elle m’a donné trois fardeaux : les deux premiers ont poussé sur mon coeur telles deux excroissances mammaires qui me faisaient l’effet d’être défiguré, pis qu’on dévisageait.
Le troisième fut la féminité.
Entre prénom et pronoms, j’ai perdu pied. Je me suis noyé dans un océan de mutisme.
Le calme plat à l’extérieur quand l’ouragan hurlait en dedans.
J’ai grandi sans en parler. J’ai essayé, essayé et encore essayé d’être une femme.
Ça fonctionnait pour les autres, mais en dedans, mon coeur, mes tripes se ratatinaient et pourrissaient. Je me suis conformé, pour ne pas faire de vagues.
Parce que seul, on ne crée pas de révoltes, et seul, je ne pouvais pas.
J’ai rencontré des gens comme moi, assignés à la naissance à quelqu’un qu’ils n’étaient pas.
Et eux m’ont donné le courage, ils m’ont donné de la hargne à revendre. Une rage animale et une puissance inaliénable.
Silence. Les mots sont sortis de ma bouche. Ça y est, je l’avais dit, la révolte était en marche.
Mais entre l’incompréhension de mes parents et la peur de mon chum, je me suis senti mis à terre.
Ce n’est pas mon coeur, mais mon cerveau qui a foutu le camp. C’est un ouragan synaptique, un cataclysme neuronal qui s’est déclenché.
Moi qui voulais me révolter, je me suis senti incarcéré.
« tu seras toujours une fille »
J’ai perdu pied, je ne me suis pas noyé, mais j’ai mis la tête sous l’eau, et je l’ai gardée immergée.
Réveillé dans une chambre blanche, j’ai été dit psychotique parce que je reniais ma féminité. On a voulu m’enfermer.
Qu’aurais-je pu faire d’autre que hurler à m’en époumoner ?
Puis la révolte s’est enclenchée. Je me suis promis de lutter.
Mais rejoindre la côte quand on s’est noyé est-ce seulement possible ?
Entre hôpitaux, cachetons et alcool, je me laissais simplement partir. Je survivais en m’accrochant à tout ce qui me lacérait.
Puis je me suis réveillé un jour et j’ai tout envoyé se fracasser sur le sol.
J’ai hurlé, hurlé ce besoin qui résidait en moi depuis des années qui semblaient millénaires.
Ne vous méprenez pas, je ne suis pas heureux, je ne vais pas vous faire le même refrain que ceux qui vous crachent leur joie, leur fausse joie que je jalouse tant.
Je me noie toujours, mais je nage.
De toutes mes forces. Je bois la tasse et le sel coule dans ma bouche en même temps que mes pilules pour mon cerveau fucké.
En même temps que la sueur de ceux et celles qui m’offrent leur amour parfois le temps d’un soir, parfois de trois minutes.
On a voulu m’enchaîner, mais je nage, sans m’arrêter je nage.
Je m’appelle Guy, je suis un homme. Non pas par ma queue, mais par mon coeur.
La révolte n’est pas toujours populaire. La mienne est personnelle et elle est en route, entre haine et amour, entre vie et mort, entre cachets et alcool, entre injections et nouvelle vie, entre crises et aurores.
Je ne vis pas encore, je survis, mais aujourd’hui je suis.

 

sept24

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