La politique du 1% vue par les artistes

Entrevue avec Xavier Labrie et Émilie Rondeau

Texte | Marie-Amélie Dubé

Émilie Rondeau est une artiste de la région dont l’expertise en art public est reconnue.

Xavier Labrie est un artiste local de la relève dont la première expérience en intégration de l’art à l’architecture sera dévoilée prochainement au Témiscouata.

Nous avons donc décidé de les rencontrer ensemble afin d’échanger sur le sujet.

MAD : Quel est votre rapport à l’intégration de l’art à l’architecture, depuis quand, est-ce dans vos vies et quelle est la place que vous lui accordez.

Émilie : Tout a commencé vers 2007 avec un projet de panneaux autoroutiers. C’était la première fois que je pouvais approcher autant les gens par le fait d’investir des lieux et d’être dans l’espace public. Ça m’avait vraiment séduite. Il y a ensuite eu le projet de la croix des Dubé à Rivière-Ouelle, avec Richard et Philippe Dubé. C’était une commande d’oeuvre très structurale, où je revisitais un objet du patrimoine pour l’actualiser et le réinstaller dans l’espace public. D’autres projets ont été réalisés en 2010. Puis, je me suis inscrite dans le fichier et les premiers appels et concours ont eu lieu en 2011. L’École de musique Alain-Caron a été mon premier concours remporté.

MAD : Et quel concours ! Cette intégration est si belle !

Émilie : J’ai l’impression que c’est une oeuvre qui m’a amenée vers plein d’autres projets. Ça été un beau départ. À ce moment-là, j’étais enceinte de Nori ; quand je présentais le projet chez mes fabricant·e·s, tout le monde m’appelait la baleine (Rires). C’était ça ma vie… dans le ventre de la salle de musique, moi aussi, je portais ça… et tout est parti de là. J’ai produit beaucoup de projets dans l’Est du Québec, au Bas-Saint-Laurent et les régions limitrophes ; Sept-Îles, Îles de la Madeleine, et autour. Dernièrement, les concours arrivent de toutes les régions du Québec ; c’est vraiment extraordinaire ! Je suis allée à Montréal dans de gros concours où j’ai présenté avec «mes idoles», dont leur travail d’artiste suscite toute mon admiration.

Là où les réponses se trouvent, 2020
104 cm x 366 cm
Oeuvre réalisée dans le cadre de l’exposition BLANC
Inspiration de Xavier Labrie pour son travail en art public

Xavier : J’ai toujours voulu faire de l’intégration de l’art à l’architecture depuis que j’ai étudié en art. Je me disais qu’il n’y avait pas de meilleur espace pour montrer notre art que dans l’espace public. Souvent, l’art est un peu confiné à des lieux qui sont dédiés à des convertis et puis les autres manquent tout ça, un peu parce qu’ils·elles se sentent à part. L’art, c’est pour tout le monde ; l’art public va à la rencontre des gens. Et je suis vraiment emballé par la possibilité, éventuellement, d’en faire plus.

Tu en fais beaucoup maintenant ? Plusieurs par année?

Émilie : Présentement, il y énormément de concours, entre autres avec les maisons des aînés et les écoles. Le Québec s’est doté de plusieurs nouvelles constructions, donc plusieurs concours. Je fais plus ou moins une dizaine de concours par an. C’est vraiment beaucoup. J’en ai fait autant dans le mois de mai que j’en faisais avant dans une année (Rires).

Xavier : Ça doit être «rushant» ?

Émilie : Oui. Il va falloir que ça se rééquilibre, c’est un petit peu trop ! Durant les deux dernières années, on a tous eu peur que tout s’arrête, et de ne plus jamais avoir de projets… donc dire non, c’est un peu plus difficile. Ça m’amène à choisir les projets et voir à quel moment j’ai le goût de participer. Et entre ça, il y a les productions, les installations. J’en réalise 2-3-4 par année. Une chance que c’est un travail d’équipe ! C’est ce qui est l’fun avec l’art public, d’avoir des budgets à la hauteur de nos ambitions qui font qu’on puisse aller chercher les expertises de différents collaborateurs de notre choix.

Xavier : C’est l’fun d’entendre ça. J’ai eu, il y a deux ans, une résidence en Autriche qui m’a été accordée par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et à la suite de ça, j’ai pu m’inscrire au fichier des artistes. Je suis en train de réaliser ma première oeuvre, en fait je viens juste d’aller la chercher ; elle est toute prête, encore chaude. Elle sort de chez Fabrications TJD.

Il y une artiste qui s’est désistée pour ce projet-là et je l’ai eu un peu par défaut, mais j’ai fait le processus normal, j’ai présenté la maquette. Je traverse les étapes pour la première fois. Je ne sais pas si tu te rappelles, Émilie, comment c’est des grosses bouchées, l’une après l’autre. C’est déstabilisant. Je me suis quand même bien entouré. J’ai demandé à François Maltais qui en a réalisé plusieurs. Il m’a été d’un grand support. Il m’a présenté les collaborateur·trice·s dont j’avais besoin, un architecte de Pohénégamook et des gens qui se spécialisent dans le dessin 3D. Tout ça a fait en sorte que j’ai pu réaliser mon travail de découpage d’une nouvelle manière, disons plus monumentale. Je suis vraiment content de ce que j’ai réalisé.

Émilie Rondeau
La valse des fleurs
Photographie : Joel Gingras Apy-D

MAD : Je trouve ça beau de vous entendre les deux à des moments différents de vos parcours artistiques. L’intégration de l’art à l’architecture demande de répondre à une commande, ce qui n’implique pas le même type d’investissement que lorsque vous produisez une exposition. Ça vous met dans une posture complètement différente et vous demande de sortir de vous et de mobiliser une équipe qui va réaliser le projet avec vous. Comment concilier autant le côté créatif que le côté gestion de projet ?

Xavier : Des contraintes, c’est quand même aidant. Sans contraintes, tu peux avoir trop de liberté, ça peut être vertigineux. Quand on a un lieu, une fonction, des utilisateur·trice·s, on peut penser à iels et faire une oeuvre qui va leur ressembler. Travailler avec des gens qui connaissent leur affaire, c’est rassurant ! Comme artiste, je travaille habituellement vraiment seul et tout est déstabilisant, tandis qu’en travaillant en équipe, on explique nos idées, les gens nous donnent leurs idées, on est pas tout seul à penser et à trouver les solutions. On a des gens qui nous supportent. C’est une autre manière de travailler qui, selon moi, est encore plus agréable que de se torturer en atelier pour produire. (Rires)

Émilie : Je trouve aussi les contraintes assez stimulantes plutôt que limitantes, c’est un cadre ; en même temps, le défi est de toujours se réinventer. Il faut trouver comment notre démarche va lier le projet. Faire ce qu’on aime tout en pensant au lieu, à la clientèle et en répondant aussi à l’architecture. L’architecture repensée, c’est extrêmement stimulant.

Ça nous amène dans des chemins où on ne serait peut-être pas allés, juste avec nos démarches. Je trouve ça positif. Et la gestion de projet, je ne sais pas si on le découvre à nos dépens, ça devient un peu le prix à payer pour faire ce qu’on aime. On finit par y prendre goût. Assurément, on apprend des choses, car il y a tout le temps des surprises. C’est comme des pertes de contrôle continuelles parce qu’on pense que l’oeuvre facile en 2D sur le mur avec des techniques que tu as déjà faites, c’est ton petit cadeau cette année, ça va bien aller, et là, les surprises arrivent de partout, les techniques que tu as déjà utilisées ne fonctionnent plus ! Il y a tout le temps des défis ! C’est loin d’être « plate ».

Xavier : C’est comme une aventure. Ça commence et il y a toutes sortes de péripéties. À chaque étape qui est réalisée, c’est très valorisant de faire des oeuvres de cette dimension qui habitent l’espace public.

Émilie Rondeau
Sylva
Photographie : Joel Gingras Apy-D

MAD : Il y a un legs à la communauté, un legs au commun pour toujours. Les gens vont passer devant, vous allez habiter l’espace des gens pour toujours. C’est un ancrage solide dans les communautés.

Émilie : Je crois que c’est ça qu’on aime, cette pérennité. Chaque fois qu’on démonte une exposition, on a le coeur gros, on est triste. Là, c’est le contraire, il faut que ça dure aussi longtemps que le bâtiment. Le défi est dans cette contrainte-là aussi et tout l’aspect du partage avec la communauté, c’est une immense satisfaction.

MAD : À Montréal présentement, le grand anneau polarise beaucoup le discours public. Comment on peut amener #lesgens à accepter, comprendre, aimer et embrasser l’intégration des arts à l’architecture.

Xavier : L’art, ça demande de l’ouverture. Plus on en voit, plus on est ouvert. Je dirais qu’il faut consommer plus d’art. Je pense que ça peut faire en sorte qu’il y ait plus d’acceptation des oeuvres proposées par les artistes. La sculpture est clairement très impressionnante. Elle va vraiment chercher la symétrie, la perspective. Elle est superbe. Il s’agit d’améliorer notre ouverture d’esprit, à ce moment-là, toutes les oeuvres vont avoir quelque chose à dire. C’est sûr que si on est fermé à ce que l’oeuvre a à nous dire, on ne l’entend pas !

Émilie : Plus d’ouverture, je pense, c’est une bonne piste. L’incompréhension des coûts de production y est souvent pour beaucoup, malheureusement, dans l’appréciation ou la non-appréciation des oeuvres. Mais c’est dommage que ça ait cette presse-là. On le voit présentement avec les projets de construction qui sortent de 150%. Nous, on a des budgets fermés, pas d’extras pour rien ; si tu as des imprévus, tu gruges dans ton budget, dans tes honoraires, dans ton droit d’auteur, puis tu peux finir par subventionner cette oeuvrelà si ça ne s’est pas passé comme tu le pensais. C’est sûr que ça a l’air super imposant ou gros comme budget, mais il y a quand même une bonne part de risque. Ça, c’est toujours les artistes qui les assument jusqu’à la fin.

Xavier : On gère le projet, on donne de l’argent ici et là, on fait rouler des entreprises de la région pour qu’ils produisent l’oeuvre et au final, ceux·celles qui font le moins d’argent, ce sont souvent les artistes. Pour créer une oeuvre qui doit être pérenne et esthétiquement l’fun, ça va avec faire rouler l’économie. (Rires)

Émilie : Oui, avec ces collaborateur·trice·s, ça rapporte dans nos régions, puis dans le milieu, par extension. On cogne autant à des portes industrielles qu’auprès d’artisan·e·s. Ça touche plusieurs niveaux.

Détails :
emilierondeau.com
xavierlabrie.com

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