par Busque
J’ai toujours eu un grand respect pour Jean-Martin Aussant. Dans sa façon de s’exprimer sans jamais faire d’attaque personnelle ou en nuançant logiquement ses propos pour ne pas tomber dans le populisme. J’apprécie beaucoup son talent de vulgarisateur pour expliquer des sujets souvent complexes. Entre deux conférences, je suis allé lui parler. Voici mon entrevue avec l’homme bleu.
Busque : Premièrement, pourrais-tu me dire ton nom, ton âge, ton travail et tes passe-temps ?
Jean-Martin Aussant : Je m’appelle Jean- Martin Aussant, j’ai 46 ans, je travaille au Chantier de l’économie sociale et mon passe-temps est essentiellement la musique, le synthétiseur, parce que je suis tout seul pour composer mes choses, donc j’ai besoin de l’ordinateur. Mes passe-temps, c’est quand j’ai du temps, parce que j’ai deux enfants de 5 ans, jumeau-jumelle, qui prennent tout mon temps. Quand j’ai des passe-temps, c’est la musique et le cinéma. J’aime bien le cinéma, les superhéros surtout.
B. : Question à propos de l’actualité : avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, certains disent que c’est un vote sur la peur de l’immigration, d’autres disent que c’est une expression souverainiste et démocratique. Qu’en penses-tu ?
J.-M.A. : Je pense qu’il y a un peu des deux. L’élément de la peur de l’immigration a contribué à faire gagner le Brexit, mais la peur économique n’a pas été assez forte pour qu’ils le perdent. Je trouve qu’il y a une bonne et une mauvaise nouvelle là-dedans : la mauvaise c’est que la xénophobie a un peu contribué à la victoire, mais la bonne c’est que les peurs économiques des grandes banques et des grands consultants n’ont pas marché cette fois-ci et d’habitude, ça marche très bien. La bourse a baissé, mais ça se replace. Ce sont des réactions de marché un peu irrationnelles et émotives dans les premiers jours, mais ça se replace déjà. C’est certain qu’une grosse nouvelle comme celle-là a toujours des conséquences, les gens paniquent un peu, mais fondamentalement, le Royaume-Uni est très solide, l’Europe ne change pas tant que ça sans le Royaume-Uni, tout va se replacer.
B. : Penses-tu que l’Europe va recevoir une pression pour donner l’exemple de ne pas faire comme le Royaume-Uni ?
J.-M.A. : Ça, c’est le dilemme de l’Europe actuellement. L’Europe ne veut pas être trop relâchée dans les négociations avec le Royaume-Uni, parce que les autres pays vont se dire « nous aussi, nous voulons juste les avantages sans les inconvénients ». Là, il y a une grosse game politique qui va s’amorcer, mais elle ne pourra pas dire au Royaume-Uni d’aller se faire voir parce que c’est un centre financier bien trop important, c’est un pays plus riche que l’Europe en général, donc c’est un partenaire majeur et ils vont s’entendre, c’est sûr.
B. : Le PQ se cherche un chef, ne sens-tu pas que c’est le moment pour toi de revenir en politique et, si ce n’est pas le moment, as-tu l’intention de revenir un jour ?
J.-M.A. : Ce n’est pas le moment pour la même raison que celle pour laquelle je n’ai pas de temps pour mes loisirs. J’ai deux jeunes enfants qui ne comprendraient pas pourquoi je ne suis jamais là et ce n’est pas sain. La politique, à mon avis, est absolument irréconciliable avec la vie familiale. C’est physiquement impossible, c’est trop prenant, alors tu négliges l’un ou l’autre et tu ne fais pas ton travail correctement dans l’un des deux champs et ça ne m’intéresse pas de le vivre ou de le revivre parce que c’est la raison pour laquelle je m’étais retiré quand mes enfants avaient deux ans et, si j’y retourne un jour — en ce moment je pense que oui, parce que ça m’intéresse encore et je suis beaucoup ça — ça ne sera pas avant que les enfants ne comprennent pourquoi je ne suis pas là et il peut survenir mille choses d’ici là qui vont faire que je n’y retournerai pas. Mais, en ce moment, j’ai l’impression qu’un jour je vais y retourner.
B. : Est-ce que le Québec a un projet de société en ce moment ?
J.-M.A. : Il n’est pas évident à trouver. Il y a de petits projets locaux qui sont bien le fun, en économie sociale il y en a pas mal aussi, mais nationalement parlant, on dirait que c’est le déficit zéro qui est devenu le projet de société, mais ce n’est pas emballant, ce n’est pas très inspirant et ce n’est pas un projet de société de toute façon. Il me semble que de bien gérer les finances publiques, c’est de base, mais ce n’est pas un projet de société, c’est juste de la gestion. Il ne faut pas paniquer avec la dette aussi parce qu’on est loin du précipice où on nous place des fois. Donc non, je n’en vois pas, de grands projets de société actuellement. Il faudrait qu’il en vienne un : la souveraineté en est un, l’éducation peut en être un.
« Il me semble que de bien gérer les finances publiques, c’est de base, mais ce n’est pas un projet de société, c’est juste de la gestion. »
B. : Si tu étais premier ministre, autre que la souveraineté du Québec, quel serait ton projet de société pour le Québec ?
J.-M.A. : L’éducation, en fait. L’éducation gratuite du CPE au doctorat. Toute la vie, finalement. On peut faire une gratuité scolaire balisée pour éviter les abus, évidemment, si quelqu’un veut faire huit baccalauréats toute sa vie et ne jamais contribuer à la société, il pourrait contribuer à son septième bac ! Je dis ça comme ça, à la blague ! Quelqu’un qui suit un parcours normal du CPE à son bac ou formation professionnelle — ce n’est pas obligé d’être universitaire, on a besoin de gens manuels aussi, il y a de très belles carrières là-dedans aussi — redonne ensuite à la société par ses compétences, par ses impôts et rembourse beaucoup plus que ce que les frais de scolarité coûtent. Donc, ça serait un beau projet de société une fois la souveraineté faite ou même avant si ça se trouve, parce que ce n’est pas mutuellement exclusif.
B. : Pourquoi es-tu ici au festival Virage ?
J.-M.A. : J’ai été invité. Je ne connaissais pas tellement la première édition, je n’étais pas venu, donc je ne savais pas c’était quoi. Quand je me suis informé, j’ai trouvé que c’était assez original comme festival. C’est différent de ce que j’avais imaginé, c’est beaucoup plus champêtre en fait et je trouve cela très bien. Je viens un petit peu de la campagne quand même. Je suis agréablement surpris. J’ai attrapé la fin de la séance municipale et j’ai hâte de voir le bloc économique cet après-midi. Il y a d’autres gens qui parlent avant moi et j’ai bien hâte de les entendre.
B. : De quoi parleras-tu lors de ta conférence ?
J.-M.A. : Le titre de ma conférence, c’est « La grande transformation ». C’est un clin d’oeil à un économiste qui s’appelait Karl Polanyi et qui parlait beaucoup des problèmes qu’on vit en ce moment, mais au début du 20e siècle. C’est un peu la guerre mondiale qui a fait que ses travaux ont été balayés, un peu oubliés. Sinon, il aurait pu être un économiste aussi connu que Keynes ou ce genre d’économiste qui était à peu près de la même époque. Donc, j’ai appelé ma conférence « La grande transformation », mais c’est pour parler de la nécessité de la transformation du modèle de développement parce qu’on voit que ça ne marche pas. Il y a des inégalités qui sont créées partout en termes de richesse. Il y a des environnements qui sont complètement détruits partout avec le modèle actuel. Donc, je veux parler de la nécessité d’une transformation du modèle et de la façon que l’économie sociale peut faire partie de cette transformation. Ce n’est pas la solution magique, mais ça en fait partie.
B. : Comment vois-tu l’avenir pour les prochaines générations ? Est-ce que tu penses qu’un virage doit nécessairement être fait ?
J.-M.A. : Oui et je pense que vous allez le faire. Dans cette génération-là. Moi, je suis extrêmement enthousiaste, je suis un optimiste un peu fini, mais je suis enthousiaste par rapport à la nouvelle génération qu’on dit souvent un peu nombriliste et refermée sur elle-même, mais je trouve que c’est tout l’inverse. En fait, c’est vrai que tous ceux que je connais pensent à leur qualité de vie, et c’est une qualité, mais je les trouve extrêmement ouverts sur le collectif et je crois que la génération montante et celles qui vont suivre vont être celles qui vont faire les transformations. Moi, j’ai juste 46 ans — je ne suis pas si vieux que ça —, mais quand tu as grandi dans un modèle, c’est difficile de voir les dégâts de ce modèle aussi bien que quand tu arrives devant les dégâts du modèle, ce qui est le cas de votre génération. Donc, ceux qui ont grandi dans un modèle et qui, parfois, en ont bénéficié ne seront peut-être pas les gens qui vont allumer l’étincelle du changement. Il y en a qui vont le faire, mais c’est moins probable, disons. Je mise beaucoup sur les jeunes et j’ai confiance que les prochaines générations vont faire la transformation nécessaire.
B. : Merci !