La dernière mutation

Texte | Cyntia Dubé, infirmière et auteure
Image | PublicDomainPictures de pixabay.com

Il semblait que l’expérience de transformation cesserait quand la créature serait extirpée. Aucune autre nécessité que d’accepter un temps d’incubation. Le processus demandait que tout se soit lié, délié et relié.  Du moins c’était la promesse qui avait été faite. Qui m’avait été faite.

Mais les promesses ne sont clairement pas là pour être tenues. Les promesses, ça ne sert qu’à nous faire oublier l’inconnu dans lequel on va se jeter. Tel Tchernobyl, l’usine s’est écroulée, les barrages ont cédé et tout est parti en vrille.  Sans retour en arrière possible, sans opportunité de faire ou prévoir autrement. Comme un big bang ravageur qui anéantit toutes les certitudes.

Cela aura demandé des mois à s’installer, à s’ancrer dans toutes les cellules offertes, à tisser des ramifications invisibles. Et pourtant, la transformation que je croyais agonisante vient de tout chambouler.

Neuf mois et 7 jours, voilà ce que cela aura pris, je croyais créer quelque chose à même mon corps, que ce dernier se métamorphosait, mais reprendrait par la suite son état habituel. Plus ridiculement encore, j’ai pensé que ma tête redeviendrait l’ordinateur bien structuré, mais c’était avant l’avènement. C’était avant qu’il ravage tout sur son passage.

Il est là, à gazouiller, à tout faire pour qu’on le protège, à user de mécanismes de défense instinctifs, mais ô combien efficients. Il est le résultat attendu si je l’observe dans son ensemble. Mais alors pourquoi? Pourquoi, quand je regarde le miroir de la salle blanche comme une usine de fabrication, je ne me reconnais pas.

Cette femme que je vois, ce n’est pas moi. Que suis-je devenue? Ce ne devait être que mon corps qui s’ajuste le temps de faire pousser cette excroissance. Je devais par la suite être l’image que je me faisais de celle qui prend soin de cette petite chose. Mais je ne suis plus moi. Je ne suis en rien celle que je m’imaginais devenir, il n’est en rien ce que je pensais qu’il serait et pourtant! J’ai lu tous les ouvrages comme une bonne scientifique aborde ses recherches, j’ai tout préparé, tout écouté et lu. Et je suis là, comme si l’inconnu me faisait face, comme si l’infini s’ouvrait devant moi.

Je ne suis plus moi, mais plus étonnant encore… je ne veux plus l’être. Il m’est impossible de penser revenir en arrière. J’ai muté, pour ma survie et la sienne, j’imagine, mais je ne suis plus celle que j’étais. Je ne me reconnais plus, car je ne suis plus… plus juste une femme, plus juste une professionnelle ou une amie, ou une amante. Je suis une lionne qui veut rugir pour défendre son enfant, je suis un nuage pour le bercer et l’envelopper doucement, je suis Dieu à le regarder comme si j’avais conçu le monde.

Je suis une mutante, je suis une mère. Mon corps s’est modifié en maison, en usine de création. Quand tout aurait dû être fini, je réalise que ce n’était alors que le début, l’expérimentation c’est aussi moi. Je suis le cobaye, je fais partie de l’hypothèse, dans les variables de la démarche. Je suis le monstre et Dieu à la fois, je suis coupable, complice et victime.

Mais j’ai créé la vie. Une vie attachée à chaque parcelle de la mienne. Bien au-delà du corps et du concret, bien au-delà des schèmes scientifiques, des explications biologiques. Je découvre des parties de mon cœur comme on localise des muscles qui n’avaient pas travaillé Je m’invente en le découvrant.

Je vais muter encore je le sais, je n’ai pas fini de m’adapter, quelque chose dans l’ADN de mon âme est viscéralement différente. Cela change tous les calculs, cela change toutes les hypothèses. Je dois créer, imaginer de nouvelles voies et avenues, je dois abdiquer et perdre le contrôle. Je dois laisser ce lien invisible, mais indestructible s’étendre. Je dois le vivre comme l’observer. C’est de la folie, c’est ma folie. Cette expérimentation est plus que celle d’une existence ou de ma vie. Cette expérience est la vie en soi.

À propos de Marie-Amélie Dubé

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