Texte | Marie-Amélie Dubé
Illustration | Dissocier – Licré
Nadine Pelland est impliquée depuis 31 ans au sein du centre d’entraide L’Horizon, une ressource alternative en santé mentale située à Rivière-du-Loup.
Pourquoi travaille-t-on dans le communautaire ?
Quand j’ai commencé à travailler, je ne savais même pas la différence entre le communautaire et le réseau. Je sortais de l’université, j’avais un bac et je suis tombée là-dedans. Je suis arrivée en 1991, à une époque où il y avait une forte opposition entre les deux au sujet de la santé mentale. Les gens qui ont créé le communautaire en santé mentale avaient déjà été psychiatrisés et ont voulu faire exploser ça. Durant cette période, énormément de livres de dénonciation sont sortis. Donc l’alternative en santé mentale est née d’un conflit.
Quand je suis arrivée, il y avait encore bien des étiquettes et des pancartes de dénonciation. Je n’ai pas trop embarqué là-dedans, car personnellement, je n’avais pas vécu le conflit. À force de parler avec des ancien∙ne∙s qui avaient vécu la psychiatrie lourde, les électrochocs, et autres techniques du genre, j’ai compris leur colère. Mais j’ai toujours essayé de les emmener vers la collaboration et le positif, plutôt que la rancune. C’est comme si j’avais adhéré à une cause sans le savoir. Et je suis une femme de cause, alors je n’aurais pas pu tomber à une meilleure place.
Oui, bien sûr, j’ai travaillé des années à un salaire de minable, 35 heures par semaine, huit mois par année, et sur le chômage durant lequel je travaillais quand même. Mais pour moi, c’était d’adhérer à la cause. Au début, bien entendu, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. La toute première journée, j’avais 21 ans. Je suis arrivée en petit veston, je venais faire ma madame ! [Rires.] Et au bout de deux semaines, ça a changé bout pour bout ! Je me disais à quel point ces gens sont une famille pour moi. Il y a eu un déclic.
Aujourd’hui, le communautaire rassemble des gens compétents et formés, alors que quand je débutais, j’ai vécu les années où l’on nous voyait comme non compétent·e·s.

Ça fait 31 ans que tu es dans le communautaire. Qu’est-ce qui te fait rester ?
La capacité de créer. Créer des solutions, du bonheur et des liens avec des gens dont la voix n’est pas assez entendue. C’est la cause, aussi. On n’est pas pris·es dans un cadre strict. On a beaucoup de liberté.
Parfois, on a l’impression que la sécurité est dans la routine, mais personnellement, je suis allée chercher ma sécurité à l’intérieur de moi. J’ai tout simplement besoin de créer et d’être dans le défi. Le centre est parti de rien, et aujourd’hui, on a une offre de services que je trouve extraordinaire.
On ne s’ennuie jamais et on se remet sans cesse au goût du jour. Je suis aussi très fière de notre stabilité. Je suis dans le domaine depuis 31 ans, mes collègues depuis 20 et 17 ans. Il n’y a pas beaucoup d’organismes avec une stabilité comme la nôtre. Je pourrais facilement avoir un autre emploi beaucoup plus payant, mais je n’aurais pas une famille comme celle que j’ai ici.
Ce que je trouve également magnifique, c’est de voir les gens qu’on aide devenir partie prenante du communautaire. Par exemple, il y a une dame qui s’est retrouvée seule et isolée durant la pandémie. J’ai discuté avec elle de bien des choses, et finalement, ensemble, nous avons monté un atelier qu’elle a elle-même décidé d’animer. Ce sont de superbes contacts qui se créent et s’enrichissent, avec des gens qui ne veulent pas seulement recevoir, mais aussi donner.
Pour une personne qui se cherche un emploi et qui a besoin de se sentir utile, de créer, de donner et de recevoir, le communautaire est-il une belle option ?
Oh oui ! C’est un must ! C’est pour ça que je le fais. Je ferais un autre travail, et il me manquerait quelque chose.
Pourquoi a-t-on besoin du communautaire dans notre société ?
Notre tissu social serait terriblement pauvre sans le communautaire, et on l’a vu durant la pandémie. Il y a beaucoup d’organismes communautaires qui ont été les seuls à donner du soutien aux gens. Nous sommes plus qu’essentiels. La pauvreté et la santé mentale sont transversales à tout dans la société. Le communautaire a aussi la capacité de s’adapter et de se moduler aussi vite que possible. Les grands établissements voudraient bien le faire aussi, mais ils n’ont pas cette agilité-là. Ça va avec la volonté aussi. On ne se le cachera pas, certains organismes sont restés complètement fermés durant la pandémie, alors que d’autres, comme nous, n’ont jamais arrêté. Il y a de tout, dans le communautaire comme dans le réseau. Mais on peut tellement faire une différence.
On m’a déjà dit que l’une des grandes failles du communautaire était de savoir se vendre. Qu’en penses-tu ?
Je suis fière de moi, j’ai une grande gueule et je vends beaucoup le centre ! Mais évidemment, si une personne est en détresse chez elle et ne connaît pas les services offerts dans sa communauté, elle n’aura pas le réflexe d’essayer de nous joindre. Certaines personnes ne savent même pas qu’il y a des travailleur∙euse∙s sociaux·ales aux CSLC. Malgré tout, on fait ce qu’on peut. On est plus accessibles que dans le réseau ; les gens peuvent se présenter durant nos heures d’ouverture, sans rendez-vous. On fait des rencontres dans les parcs, on offre directement aux gens, on fait tout ce qu’on peut pour eux. Je pense qu’il y aura toujours de la confusion entre le communautaire et le réseau, de l’incompréhension, mais on fait tout ce qu’on peut pour se montrer.