Texte – Gabrielle Rousseau-Le bruit des plumes
Les falaises de grès aux dessins spectaculaires, tantôt grises, tantôt rouges; les plages de sable blond sur des kilomètres; la chaleur de l’eau de mer déposée dans les baies et lagunes; le relief des dunes peuplées d’une végétation unique… Suffit de fermer les yeux pour se catapulter dans le panorama idyllique des Îles-de-la-Madeleine, qu’on y ait déjà posé le pied ou non.
Ces falaises, plages et dunes, l’artiste Katia Grenier les connaît bien, autrefois habitante de ce joyau d’archipel du golfe du Saint-Laurent pendant 14 ans; une période qui a marqué un tournant dans sa pratique artistique. Là, elle fut accueillie à bras ouverts, tant par les natifs que par le lieu physique; la mer, le vent et la flore lui souhaitant quotidiennement la bienvenue chez elle. Elle se rappelle s’abreuver de la beauté de ses paysages, pas celle des guides touristiques, mais celle de l’ordre du spirituel. « Il y a quelque chose là-bas qui me connecte à ce qui est plus grand que soi, à la beauté avec un grand B », confie-t-elle. Ce fut le point de départ de son travail sur le corpsterritoire et sur l’archétype de l’espace sauvage.
Sortir des sentiers battus
Ces deux thèmes ont fait leur nid en elle et la suivent dans sa manière d’appréhender la vie et ses projets artistiques, et ce, jusqu’à aujourd’hui, pour sa résidence de création dans le cadre de PAR ICI, à la Maison Rioux. Par rapport à l’archétype de l’espace sauvage, des questions persistent et continuent de la nourrir à chaque aventure. Que reste-t-il du territoire sauvage dans cet endroit précis, au-delà des traces de présence humaine? L’espace sauvage existe-t-il dans l’espace habité par l’humain? Katia croit que oui, tant à l’intérieur de soi que dans l’environnement tangible que notre corps occupe. « Pour moi, l’espace sauvage est aussi ici. On pourrait chercher dans cette salle où est l’espace sauvage, et on réussirait à trouver un espace de vie sur lequel on n’a pas de contrôle. » L’espace sauvage existe dans l’infiniment petit, mais évidemment aussi dans le vaste de la forêt, quand on ose sortir des sentiers battus pour l’accueillir de tous nos sens.
Pour Katia, il y a rupture entre l’humain et la forêt depuis que l’on considère celle-ci uniquement comme une ressource. Délaisser les chemins balisés pour pénétrer au coeur de la forêt permet au corps de changer cette perception à travers ses sens en éveil, à l’écoute de ses propres sensations et des éléments animés qui l’entourent. Une relation s’installe, la forêt devient sujet à part entière avec, elle aussi, son mode de perception. Le territoire devient la prolongation du corps, et le corps, la prolongation du territoire. « Toucher le corps de la forêt, laisser la forêt toucher mon corps : le corps-forêt », voici ce que Katia explorera au cours de sa résidence intitulée Faire corps.
Des rencontres improbables
Pendant ses 10 jours au Parc national du Bic, Katia s’imprégnera de ces thèmes qui lui sont chers, tout en expérimentant la pratique de l’art relationnel; une pratique préconisée dans le cadre des résidences PAR ICI, où les artistes sont invités à interagir avec les visiteurs. Elle conçoit donc déjà sa résidence comme une succession de rencontres imprévisibles, spontanées. « Ma première rencontre, c’est avec la maison elle-même […] Elle a une histoire humaine, mais elle a une histoire de maison aussi. J’aime ça la voir comme un être vivant, avec son langage, son intelligence. C’est ça que ça veut dire pour moi, entrer en relation. » Chaque pièce sera arpentée, écoutée, imaginée comme une partie d’un corps. « Et si cette pièce était un ventre? Et celle-ci un sinus? », s’amuse à visualiser Katia.
Ce corps-maison, tout comme le corps-forêt, lui permettra d’explorer une autre façon d’habiter la maison, de mettre en relation les corps et les objets. Ce sera un défi intéressant pour elle de chercher comment entrer en relation avec la forêt tout en étant dans la maison, sans utiliser d’éléments de la nature pour respecter les contraintes du contexte de conservation du parc qui interdit toute cueillette ou importation d’éléments naturels provenant de l’extérieur.
A-t-elle des appréhensions à rencontrer les visiteurs? Katia répond qu’elle s’inspirera des Madelinots et de leur fierté à faire connaître leur terre. Elle a déjà observé comment les visiteurs du parc sont happés par la beauté des lieux, et elle espère simplement découvrir avec eux d’autres façons sensorielles, sensuelles, sensibles, de converser avec le vivant qui nous entoure.

Katia Grenier est une artiste en arts visuels vivant depuis septembre 2019 à Rimouski. Sa démarche artistique amorcée en 1997, à la suite d’un baccalauréat interdisciplinaire en arts de l’Université du Québec à Chicoutimi, est liée aux formes installatives et aux pratiques de la sculpture, des arts textiles et de l’art nature. L’artiste est présentement en recherche à la maîtrise pour explorer les approches relationnelle et performative de sa pratique sur les thèmes du corps-territoire et de l’archétype de l’espace sauvage.