Jean-François Lisée et François Lapointe sur L’Oléoduc Énergie Est

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par Busque

 

Il y a une course à la chefferie au Parti québécois et Jean-François Lisée, candidat, passait par Rivière-du-Loup dans le but de faire une annonce environnementale reliée au pipeline de TransCanada. J’ai donc interviewé l’ancien ministre sur le sujet accompagné de l’ancien député de la région, François Lapointe. C’est important de spécifier quelques éléments. Je n’appuie pas un candidat du Parti québécois en particulier. Je vous conseille d’aller vous renseigner sur le parti et de consulter les propositions des autres candidats.

 

 

B. : Pour que les gens disent « oui » à un Québec souverain, le Parti québécois doit proposer un projet de société. Avez-vous présenté un projet ou allez-vous le faire ?

Jean-François Lisée : Il faut donner les deux aux Québécois. D’abord, l’indépendance, c’ est la liberté de choisir. On ne peut pas dire aux gens que nous aurons un projet de gauche pour toujours ou un projet de droite pour toujours. Il y aura une démocratie au Québec et les gouvernements vont se succéder. Oui, un jour, le Parti libéral gouvernera le Québec souverain et puis il y aura des politiques avec lesquelles vous et moi serons en désaccord. Si mon projet se réalise, je veux avoir, dans les quatre années qui viennent, un gouvernement qui va se centrer sur la qualité de la vie, le développement local, le pouvoir citoyen, le refus de projets comme Énergie Est. Alors, il est certain que le gouvernement du Parti québécois tel que je l’envisage serait celui de la qualité de la vie, celui de la participation citoyenne, celui des régions, celui pour qui la question de l’éducation est si importante. Je veux que les gens se sentent bien dans ce Québec et qu’ils soient heureux que ce soit le premier gouvernement du Québec, lors de son deuxième mandat. C’est certainement ce que je vais faire. Par contre, je m’aperçois que, lorsque je parle par exemple des inégalités de revenu, je suis le seul candidat à avoir dit qu’il faut agir fermement. Commençons en bas de l’échelle. Je veux monter le salaire minimum à 15 $ de l’heure et je veux faire des propositions de sortie de pauvreté pour les Québécois les plus vulnérables ainsi qu’offrir une plus grande insertion en emploi. Ensuite, en haut de l’échelle, je veux geler la rémunération des médecins, limiter la rémunération des recteurs et autres mandarins de l’État et avoir une discussion sur les trop hauts salaires. Il y a certainement des gens de gauche, des électeurs de Québec solidaire, qui seront séduits par cette proposition. En même temps, je suis le fils d’un entrepreneur et j’ai une proposition très forte sur la réduction de la paperasse des petites et moyennes entreprises. Je veux faire en sorte que les jeunes entreprises, pendant les cinq premières années, aient un cadre règlementaire allégé et que Revenu Québec arrête de considérer que chaque entrepreneur est présumé coupable. Il faut dire qu’il y a des gens de l’ADQ, des gens de Québec plus conservateurs, qui seront très intéressés par cette proposition. Il faut une coalition assez large pour que d’Amir Kadhir jusqu’à Jacques Brassard, les gens disent « oui » pour obtenir 50 %. Il faut donc certainement que le projet réponde aux besoins des gens, sans pour autant les diviser avec une proposition qui ne ferait pas en sorte qu’on gagne ce qu’on veut tous. Si nous obtenons plus de 50 %, nous aurons ensuite la liberté de choisir sans demander la permission au fédéral pour faire ceci ou cela.

 

 

« La question n’est pas de savoir s’il va y avoir un déversement, mais quand et de quelle ampleur sera ce déversement. »

 

 

B. : Vous êtes allés à Cacouna pour le dévoilement d’une proposition reliée à l’environnement. Qu’est-ce que le processus d’évaluation et de consultation « digne du 21e siècle » ?

J.-F.L. : D’abord, le fait que François se rallie à ma campagne est un signal fort, parce qu’il est le défenseur de Cacouna. Il est celui qui a mené le combat contre les relevés sismiques alors que la compagnie n’avait même pas l’autorisation de les faire. Ce qui a été fait à Cacouna représente exactement ce qu’il ne faut pas faire et ce qu’il ne faut plus faire. Maintenant, comment faire en sorte que ce genre de situation ne se reproduise plus ? Nous avons deux séries de propositions, une sur le BAPE, je vais laisser François l’expliquer, et une sur ce que l’on appelle le Protecteur des Habitats naturels fragiles et des Espèces menacées du Québec.

 

François Lapointe : Jean-François et moi avons effectivement beaucoup discuté depuis plusieurs semaines maintenant. J’ai certainement vécu quelque chose d’un peu particulier au fédéral. J’ai observé depuis plus d’un an maintenant une sorte de consensus de toutes les directions des partis fédéraux d’amener la question du passage de l’oléoduc Énergie Est comme un projet qui devrait un jour être acceptable socialement. Il s’agit de l’angle qui est pris avant même qu’on ait fait ce qui doit être fait, c’est-à-dire des études d’impact avec des scientifiques compétents, des consultations qui sont faites convenablement et non pas comme les consultations de l’ONÉ qui sont annoncées à la dernière minute avec des organisations qui n’ont pas le temps de se préparer pour ce genre de machination. J’ai discuté de cette problématique avec Jean-François. Ma conclusion est que, si le Québec n’organise pas une règlementation solide, il ne sera pas équipé pour empêcher ce genre de comportement de se produire encore à l’avenir. Nous ne pouvons nous permettre une telle chose. Alors, nous avons réfléchi et puis lancé plusieurs solutions. C’est ce que j’apprécie beaucoup de la campagne de Jean-François. Il y a beaucoup de leadeurs qui ont tendance à repérer des problématiques et à affirmer qu’ils sont conscients qu’il y a un problème. À ce moment, on n’a pas parcouru tout le chemin, on en a fait la moitié. L’autre moitié est de se demander ce qu’on va entreprendre pour améliorer la situation. Chez Jean-François, il y a cette volonté d’arriver avec des solutions applicables, pragmatiques et fonctionnelles, ce que j’apprécie beaucoup. C’est ce qui est arrivé dans le dossier de l’environnement. Il y a une partie qui touche la règlementation. Jean-François va suggérer de modifier le Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement pour y inclure une obligation d’évaluation de l’augmentation des gaz à effet de serre. Donc, par la loi, toutes les études d’impact sur le territoire québécois vont devoir évaluer l’augmentation possible des gaz à effet de serre, même si le projet est en partie évalué par l’ONÉ.

 

J.-F.L. : Les libéraux ont refusé cet élément. On aurait pu décider de le faire avec le BAPE en cours sur TransCanada, mais les libéraux ont refusé et on dit que ce n’était pas de leurs affaires. Franchement.

 

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F.L. : Pardonnez-moi, mais ce faisant, les libéraux jouaient le jeu de monsieur Harper. En admettant un BAPE qui porte sur un méga oléoduc comme celui-ci sans se poser de questions sur l’augmentation des GES, ils jouaient littéralement le jeu des conservateurs de Harper. Une autre suggestion serait de mener les consultations du BAPE dans des lieux accessibles et à des moments convenables pour les participants afin de doter le BAPE d’un système de consultations publiques plus respectueux des groupes de citoyens. Nous avons connu ce problème tout au long des dernières années, au fédéral et au provincial. Il y a même eu des consultations du BAPE à des jours bizarres de la semaine, dans des endroits où il n’y avait pas de transport en commun pour se rendre. On pourrait parler longuement du comportement de l’ONÉ où c’est encore pire. Même les organisations les plus compétentes n’arrivaient pas à amener une contribution valable parce qu’on ne leur donnait pas le cadre pour être capable de le faire. Il faut maintenant du changement. Un autre point qui m’intéresse énormément est d’interdire la conclusion d’ententes financières entre des corps publics et des promoteurs avant l’approbation d’un projet par le BAPE. L’exemple de Cacouna est très pertinent dans ce cas-ci. Les citoyens de Cacouna me communiquaient leur inquiétude. Ils me disaient qu’ils avaient l’impression que le site Web de la municipalité était géré par TransCanada depuis des mois. Ce genre de situation où les élus locaux pourraient, par exemple, avoir l’aréna gratuit des mois avant même que commencent les consultations publiques ne serait plus permis dans la législation d’un gouvernement de Lisée. L’exemple est cliché, mais il a encore eu lieu pendant certains dossiers avec TransCanada. Pour moi, c’est majeur.

 

J.-F.L. : L’enjeu est de plusieurs dizaines de milliards de dollars de profit sur la vie du projet, pour eux, payer un aréna ou une route, ce n’est rien. Pour les municipalités, c’est énorme. Ce que nous proposons est d’abord de regarder le projet, ensuite d’avoir la recommandation du BAPE et puis, s’il y a des ententes, elles seront négociées et rendues publiques avant leur adoption. Il y a eu des cas où ce fut entre le maire et la compagnie, mais c’est fini. Nous ne sommes pas contre l’entente, mais seulement une fois que tout le monde est d’accord, une fois qu’il y a de l’acceptabilité sociale. On ne va pas acheter les votes des gens, on ne va pas acheter l’acceptabilité. Nous acceptons parce que c’est un bon développement économique pour la région et, en plus, on nous paie un aréna, mais après.

 

F.L. : Il faut aussi assurer un financement du BAPE pour permettre la participation des citoyens et groupes intéressés ainsi que pour obliger les promoteurs à rendre publique et accessible une version française de tous les documents déposés au BAPE, et ce, avant le début des consultations. C’est incroyable qu’on ait à le dire. Je ne sais pas comment nous avons pu l’échapper avec TransCanada, à deux reprises d’ailleurs, au fédéral comme au provincial. Sur le territoire québécois, cela ne serait plus permis. Nous voulons aussi prendre l’engagement qu’aucune étape de projets majeurs d’infrastructure, incluant les phases d’essais techniques ou de prospection, dont la construction sera projetée à proximité de sites abritant des espèces en péril ne pourra se faire avant une évaluation et une recommandation du BAPE. Donc, nous ferons les choses dans l’ordre. Nous savons que dans le cas des bélougas, il s’agissait d’une espèce en péril, et c’est ce qui a fait que le dossier ait viré au vinaigre. Il a fallu aller en Cour supérieure, où le projet a été renversé par les décisions des juges. Nous ne ferons plus cela. Nous savons que nous sommes prêts. Par exemple, à Anticosti en ce moment, les gens réagissent à raison. Ils réagissent très fort sur le projet de prendre énormément du tirant d’eau des quelques rivières de l’ile. Nous savons qu’il y a un problème potentiel. À Cacouna, aller forer à 500 mètres des bébés bélougas, il y a un problème potentiel. À l’avenir, quand on repère de telles situations, il y aura évaluation avant d’envoyer les foreuses dans le Saint-Laurent.

 

J.-F.L. : Il y a quand même la question de l’ensemble des habitats naturels fragiles et des espèces. Est-ce qu’il y aurait une façon de voir venir les problèmes en amont ? Pourrait-il y avoir quelqu’un qui nous dirait constamment de faire attention à ceci ou qui nous aviserait que la loi ou la règlementation n’est pas adaptée pour cela ? Je dois vous dire que je suis un grand admirateur du Protecteur du citoyen. Le Protecteur du citoyen, comparé au Procureur général, est plus proche de la réalité. La capacité du Protecteur de faire des enquêtes, de faire des recommandations, de dire la vérité est remarquable. Le Protecteur, qui est maintenant une Protectrice, n’a aucun pouvoir de contrainte. 97 % de ses recommandations sont appliquées. C’est énorme ! Si nous avions un Protecteur des habitats fragiles et des espèces menacées qui, de la même façon que le Protecteur du citoyen, serait désigné par l’Assemblée nationale, serait indépendant et pourrait faire son enquête, recevoir des plaintes, discuter avec les groupes, avoir un pouvoir d’initiative, faire un rapport annuel, intervenir auprès des ministères lorsqu’il y a des cas particuliers, nous règlerions beaucoup de problèmes en amont. Lorsque le Protecteur n’est pas en accord avec le gouvernement, il le dit, comme c’était le cas avec la Protectrice du citoyen et les frais accessoires. Elle a fait un rapport dévastateur sur les frais accessoires. Le gouvernement ne voulait rien changer, mais il a ensuite changé d’avis. Pour l’opposition, c’était énorme d’avoir le rapport de la Protectrice. Donc, ce serait un outil supplémentaire pour les habitats naturels et pour les espèces menacées. Dans le cas des bélougas de Cacouna, le Protecteur aurait été avisé en amont et il aurait été une voix autorisée. Parfois, surtout quand les libéraux sont au pouvoir, on dit que c’est encore les écologistes. Non, c’est le Protecteur désigné par l’Assemblée nationale qui dit qu’il y a un gros problème parce qu’il y a des relevés sismiques qui sont faits sans évaluation. Nous n’aurions pas à attendre que ce soit la Cour supérieure qui nous le dise.

 

 

« Nous le savons, pour freiner à une augmentation de seulement 2 degrés d’ici la fin du siècle, il est impossible d’utiliser tout le pétrole bitumineux qui est en Alberta, il faut qu’il reste dans le sol. »

 

 

B. : Êtes-vous pour ou contre l’oléoduc Énergie Est ? Pourquoi ?

J.-F.L. : Il y a deux raisons de refuser ce projet. La première est la protection de nos cours d’eau. L’oléoduc va traverser 860 cours d’eau, dont le fleuve Saint-Laurent. La question n’est pas de savoir s’il va y avoir un déversement, mais quand et de quelle ampleur sera ce déversement. C’est la seule question qu’il faut poser. Si c’était du pétrole conventionnel, ce serait déjà désastreux, mais ce n’est pas du pétrole conventionnel, c’est du pétrole bitumineux mêlé à du diluant. S’il y a un déversement, c’est encore plus difficile de le contrôler que pour du pétrole normal. Donc, pour le bien de nos cours d’eau, il faut dire non. Deuxièmement, nous sommes des citoyens planétaires. Je veux que le Québec soit exemplaire et qu’il fasse partie de la coalition de ceux qui veulent freiner le changement climatique. Nous le savons, pour freiner à une augmentation de seulement 2 degrés d’ici la fin du siècle, il est impossible d’utiliser tout le pétrole bitumineux qui est en Alberta, il faut qu’il reste dans le sol. Si l’on veut sauver la planète, il faut qu’il reste dans le sol. Alors, si je suis premier ministre, lorsque nous serons indépendants, nous pourrons dire « non », tout simplement. C’est vrai que l’ONÉ peut en ce moment décider si le projet passe et c’est probablement ce qui va se passer. Dans notre proposition, pour chaque municipalité, pour chaque MRC, il faudra des permis, il faudra des expropriations, il faudra des certificats. Nous nous battrons avec eux kilomètre après kilomètre pour qu’ils n’y parviennent pas. Ils nous poursuivront, mais s’ils gagnent, nous changerons le règlement. Ce sera un cauchemar. Ils sont aussi bien de faire autre chose ! Mon opposition est ancrée dans ces deux impératifs.

 

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B. : J’ai souvent l’impression qu’une fois au pouvoir, les gouvernements sont pressés dans le tordeur des médias d’opinion et du pouvoir économique (lobby d’entreprise, institution financière, etc.) Que pensezvous de ces deux facteurs de pression sur le choix des gouvernements ?

J.-F.L. : Ma position est claire, contrairement à celle de la CAQ. François Legault dit que, s’il a son prix, il dira « oui ». Si la compagnie paie assez cher en redevances et autrement, il mettrait des rivières à risque. Pour le réchauffement climatique, que voulez-vous, il a eu son chèque, alors c’est correct de réchauffer la planète. Je crois que la position que je prends est très claire et j’y crois profondément. Ces facteurs ne m’impressionnent pas. Il faut respecter toutes les forces de la société, que ce soit les syndicats, le Conseil du patronat, les institutions financières, les coopératives, l’économie sociale. Toutes ces forces font partie de la société québécoise et le gouvernement ne doit être au service d’aucun. Il est au service du bien commun. Il doit dialoguer avec tous. J’étais ministre du Commerce extérieur et j’avais de l’économie sociale dans mon portefeuille. Je parlais avec le Conseil du patronat et je vais continuer de le faire. Ce que j’ai beaucoup aimé chez monsieur Parizeau et chez monsieur Péladeau, c’est qu’ils n’étaient pas impressionnés par les grandes compagnies. Ils savaient négocier et ils savaient voir la tromperie. Il y a une façon de négocier correctement avec les grandes entreprises tout en inspirant le respect. Il n’y a rien de pire qu’un gouvernement qui ne sait pas négocier et qui est impressionné par les forces de l’argent. Je n’ai pas peur de la confrontation non plus. Monsieur Parizeau a été un grand professeur par rapport à cet aspect. Il faut respecter les forces, mais ne jamais être soumis à ces forces.

 

 

B. : Vous avez un blogue que vous entretenez bien, félicitations. Pour quelle raison avoir un blogue en tant que politicien ?

J.-F.L. : Je suis journaliste dans l’âme ; j’ai commencé à écrire à 14 ans. J’ai des choses à raconter, des choses à dire. Même quand j’étais ministre, je tenais mon blogue. Ce qui est drôle, c’est que j’étais ministre des Relations internationales et je voyageais à l’étranger. Dans le réseau, on me disait que c’était la première fois qu’on savait ce que le ministre pense. D’habitude, c’était le ministre qui parlait au sous-ministre qui parlait au sous-ministre adjoint, qui parlait au directeur, etc. En me lisant, on savait quelles étaient mes priorités. Cela donne une très forte transparence et permet d’intervenir dans les débats. Évidemment, je suis moins libre comme député que comme journaliste, par devoir, mais j’ai toujours un contact direct. Les gens interviennent. D’ailleurs, ils corrigent mes fautes très régulièrement. « Ce participe passé est mal accordé. » [rires] Merci aux internautes d’être vigilants !

 

B. : C’est tout, merci beaucoup !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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