Texte | Cyntia Dubé
Image | wal_172619 de pixabay.com
Je me regarde dans le miroir, mais qui suis-je, qui suis-je maintenant ? Maintenant que tout cela est derrière moi, maintenant qu’il n’est plus là. Qui est cette femme qui me fixe, qui deviendra-t-elle ?
Il était parfait, il me disait que je l’étais aussi. Je me rappelle encore la douceur de sa voix, ses yeux brillants dans lesquels je me perdais avec béatitude. Tout avait été si vite, si beau, comme dans un film. Quand j’en parlais à mes amies, elles ricanaient toutes et souriaient face à mon bonheur évident. Ce bonheur j’ai voulu le protéger, le couver, il me donnait des ailes, il me faisait sentir bien, belle et unique. Il me transformait heure après heure, jour après jour, dans cette symbiose presque irréelle que nous vivions lui et moi.
Lui, si calme, si bon, aimé de tous. Lui qui m’avait vu malgré tout, malgré ces filles plus belles, plus brillantes. Il était patient devant mes erreurs et mes doutes. Il me disait que j’allais éclore comme un joli papillon, qu’il croyait en moi. Et il m’aimait comme personne ne m’avait jamais aimé. Je n’avais jamais connu un tel enivrement, une telle passion.
Je suis sobre
Il est devenu la seule personne qui avait de l’importance, il est devenu celui qui détenait la vérité et les réponses. Il était la personne la plus importante, la seule qui est de la valeur. Il pouvait tout me faire comprendre, tout me faire croire. Au début, avec de petits mots doux comme du sucre. Mais il est venu un temps où il m’enfonçait dans la gorge ses vérités, ses réponses, les idées de comment je devais penser.
Il n’y avait que lui, que lui avec qui je pouvais parler et demander, je devais le croire. Les autres m’avaient tous laissé tomber, ils étaient lâches et inutiles à ma vie. Ils étaient mauvais pour moi. Puis au fond… qui aurait voulu de moi, qui aurait voulu m’aider et prendre soin de moi. J’étais chanceuse de l’avoir, j’étais privilégiée qu’un homme comme lui aime une femme comme moi. Il me le disait, il avait raison, j’en étais persuadée.
Je suis sobre
Il me promettait la lune, car j’étais sa reine, il voulait tout m’offrir et me donner. Puis je n’étais la reine que de ma prison, je devais tout faire et tout accepter, je devais plier la tête et être reconnaissante de le faire. Je ne devais plus penser, car j’étais idiote, je ne devais plus espérer, car j’étais déjà si chanceuse. Je ne devais plus être autre que le portrait qu’il avait fait de moi.
Tous les jours, je maquillais mon visage, au départ pour lui plaire, puis par peur de ne plus lui plaire. Un jour, j’ai dû maquiller mes erreurs et mes fautes qu’il martelait sur mon corps. J’ai commencé à mourir de l’intérieur. Je n’étais plus rien, pas même moi, et je ne pouvais rien faire, car je n’avais que lui. Comment aurais-je pu partir, il ne me serait rien resté. Je n’étais rien, j’étais laide et conne. J’étais folle et seule. J’étais mauvaise, impardonnable.
J’ai plié l’échine au point de ne plus voir que mes pieds et le sol. J’ai plié l’échine au point de tout accepter, l’inimaginable y compris. J’étais une poupée qu’on touche et bouge à sa guise, qu’on déguise et déshabille sans son accord. Je n’étais plus. Je devais être son joli papillon, mais même déguisé en papillon de nuit, invisible aux yeux des autres, il me trouvait, il me rabaissait, il m’enfermait dans ce monde dont il contrôlait tout.
Dans ce monde qui lui appartenait, je lui appartenais, tout lui appartenait même mes pensées. Il avait mis des étoiles dans mes yeux, mais les étoiles s’étaient entortillées autour de ma tête quand mes poumons perdaient l’accès à l’air, quand ma tête se frappait. Son regard dans lequel j’avais vu mille et un projets était maintenant un gouffre sans fond dans lequel je ne trouvais que terreur et désespoir. Ces mains qui m’avaient tant fait vibrer me blessaient, me martelaient et abusaient de tout ce qui restait de moi. Adieu les douces paroles qu’il fredonnait, il y avait maintenant les cris et les hurlements pour bercer mes jours et mes nuits.
Pire, il y avait les murmures de menaces qui me hantaient dans les silences de ces absences.
Je suis sobre
J’ai essayé de fuir, de partir, mais je n’étais plus rien, je ne savais plus rien. Dehors tout était trop vaste, trop lumineux, trop inconnu. J’ai essayé de fuir, mais il ne me laissait pas faire, il me faisait croire monts et merveilles pour m’offrir abysses et souffrances. Et pourtant je tombais, je cédais, je le croyais encore. C’est comme si tous les chemins loin de lui n’étaient que des culs-de-sac. Il était un labyrinthe dans lequel je me dissolvais et m’estompais.
À un pas de la mort j’aurais dû comprendre, à un pas de la mort j’aurais dû saisir ses mains tendues vers moi. Mais elles m’étaient invisibles. Elles m’étaient intangibles. J’étais droguée à lui, dépendante, alcoolique de ses douceurs comme de ses horreurs. Il n’y avait que cela que mon cœur semblait réclamé et désiré, tout en me haïssant de consommer encore et encore cet amour malsain. Cette passion destructrice, cet amour qui ravageait tout ce qu’il y avait eu d’humain en moi. Cet amour qui était tout ce qui me semblait encore réel et vrai, comme ma seule finalité. Il en finirait de moi, il se lasserait de jouer avec moi et je serais morte ou tellement abimer que plus rien de sain ou de fonctionnel ne persisterait. Il me le souhaitait souvent, de mourir, de prendre ma vie si je n’étais pas assez forte pour accepter la beauté de son affection, la grandeur de son désir. Que si je ne pouvais accepter la férocité et l’intensité d’un amour sincère, je ne méritais pas d’exister.
Il le ferait pour moi si j’étais trop lâche et faible pour le faire, il me le promettait si souvent. Ravageur ; il était ravageur comme cet amour qu’il me clamait à coup de hurlements, de gifles, d’injures. Manipulateur ; il aurait pu me faire croire que le monde était plat pour ensuite me reprocher d’avoir pensé une telle bêtise. Je me serais excusé, comme si souvent je l’ai fait pour ses propres fautes, ses propres coups, sa propre démesure. Monstrueux ; il m’a tout fait subir, il y avait un monde de possible dans ses désirs et ses goûts face à la douleur qu’il pouvait me faire subir. Il aimait comment il pouvait manipuler et sculptait telle une vieille pâte à modeler mon esprit et mon corps.
Il réclamait tout, pour pouvoir tout détruire. Il voulait être Dieu et le diable à la fois, il prétendait me donner et reprenait toujours tout, même un peu plus. Ce n’était pas un cercle de violence c’était une spirale infernale qui me menait vers un fond, un abîme, une fin sans appel, destructrice.
Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas quand, je me souviens simplement de ce miroir. C’est la seule chose que j’ai gardée. J’aurais dû maquiller, camouflé mes marques, ma peau était plus bleutée que sa couleur naturelle, mon teint pâle n’avait rien avoir avec mon hâle doré habituel.
Tout s’érodait chez moi, tout pliait en moi, tout fuyait à l’intérieur de moi. Les yeux étaient creusés, éteints et absents…
Presque
Il y avait ce petit quelque chose, je me suis rapproché pour mieux le voir, cette étincelle qu’il n’avait pas volée ni brisée.
Je suis sobre
Je suis sobre
Je suis sobre de son amour, sobre de mon amour malade, je suis sobre de ce nous qu’il y avait eu. Je suis partie. Je pensais avoir tout enduré et tout subit, mais la douleur du départ, l’intensité des émotions furent un raz de marée. J’étais maigre de l’intérieur, maigre, mais encore là. Je ne voulais plus être un papillon qui se brule les ailes sur la flamme, la flamme destructrice de son narcissisme, de son égoïste. Il était le tyran, mais je n’étais plus la soumise.
J’ai cessé de craindre mon dictateur, une petite seconde à la fois, une gorgée d’air à la fois, un battement de mon cœur tétanisé à la fois. Le reflet du miroir m’appartient maintenant, je le reconstruis, il n’y a aucune place pour rien de lui, rien de ce qu’il m’a fait. Il n’y a de l’espace que pour moi. Je l’ai affronté et je l’ai vaincue. Mais j’ai vaincu plus que lui, j’ai triomphé de mes peurs, j’ai dominé ma faiblesse, j’ai anéanti ma honte.
J’ai pleuré, j’ai été dévasté, mais je me suis sevré. Je respire mon air, mon cœur ne bat que pour moi. Je suis sobre, sobre et vivante, sobre et libre, sobre et abimée.
Mais je suis sobre
Je ne sais peut-être plus qui je suis, mais je vais me redéfinir. Je ne suis pas un papillon, je ne serai plus jamais innocente et vulnérable ainsi. Mais ça va, je l’accepte maintenant. Je me transforme, je reconstruis, j’ai mis à terre toutes mes idées préconçues et tordues de par son regard. J’utilise ma tête mes yeux et mon cœur, tous mes sens pour apprendre à être.
Je réapprends à être.
Et je suis… Je ne suis pas survivante, je ne suis plus sa victime. Je suis moi, je suis forte même si j’ai des cicatrices tout le tour du cœur. Je suis grande, même si j’ai plié plus d’une fois. Je veux plus, sans lui, pour moi, sans concession. Je veux vivre. Il n’aura plus jamais accès à qui je suis, il peut bien tenter de me croiser, je suis sortie de ma geôle, j’ai pris mon courage et j’ai avoué. Et ils m’ont écouté, ils m’ont cru, ils m’ont aidé à me sevrer de lui. Je n’ai pas accepté comme une fatalité ce qui s’est passé, j’ai refusé de croire que cela était de ma responsabilité. J’ai tout dit, et je l’ai soumis. Maintenant il se souviendra à jamais de moi, la société saura qui il est, il ne pourra faire mentir plus longtemps le miroir. Il sera obligé de vivre avec son image, son vrai visage dans la glace et dans le reflet des yeux des autres.
Mais pas dans le mien, je suis sobre, il n’existe plus en moi.
La femme que je reconstruis n’a rien à voir avec lui, ce n’est pas plus à cause de ce qu’il m’a fait. Je me définis parce que j’ai le droit et le pouvoir de le faire. Je me définis, car j’ai le devoir de croire en moi, de prendre soin de moi. Je le fais parce que je m’aime, simplement, sans enrobage, et ce même si je ne me connais pas encore totalement.
Je m’aime et je suis sobre.
J’ai encore peur, mais plus de lui, je doute encore, mais pas à cause de lui. J’apprends, je recule parfois aussi. Le plus dur est d’ouvrir, d’ouvrir aux autres, mais à la vie aussi simplement que cela puisse paraitre. J’ai des petits espoirs comme des miettes de pain. Je suis un casse-tête duquel je ne pense pas avoir tous les morceaux. Mais tout ça ne le concerne ne plus.
Je suis libre, je suis sobre, je suis vivante, j’expérimente une deuxième naissance, une vie à laquelle je vais assumer chaque parcelle, apprécié chaque émotion, même ceux qui font mal. Je ne suis plus princesse ni papillon. Je suis le vent qui souffle tout et pousse au loin les mauvais souvenirs, je suis l’eau source de vie qui reconstruit ce que mon corps avait cédé, je renais de mes cendres tel un phénix.
Je suis moi, et ce même si je ne sais pas toujours ce que ça veut dire. Je ne veux plus me mettre des limites dans mes espoirs et mes ambitions, mais j’ai érigé des barrières que je ne laisserais pas franchir. On ne me conquerra plus, on ne m’apprivoisera plus comme on séduit une jouvencelle vulnérable et innocente. Je ne suis plus un cœur à prendre. Je suis un cœur qui bat pour soi-même. C’est mon cœur qui décidera s’il veut ou peut aimer un jour. Je ne serai plus soumise, je serai ma première et plus importante amie.
Je suis sobre
Sobre de la haine que je vouais pour rester loin, sobre de toute notre histoire. Elle ne peut pas disparaitre notre histoire, mais elle ne me guidera plus. Je refuse de haïr encore, quand je le hais je me hais aussi d’avoir tant accepter et attendue. Je me suis faite bourreau avec lui parfois, et ça, je m’y refuse maintenant. Je classe le passé, je me pardonne, je panse mes plaies mêmes si j’ai peur de les voir s’évanouir, si ça me terrorise de ne plus ressentir ce qui m’a fait fonctionner si longtemps.
Trop longtemps.
Je suis sobre, je me pardonne, je suis libre, je suis partie.
Je ne suis plus celle d’hier, je ne suis pas celle de demain, mais je suis moi.
Si tu as besoin d’aide ;
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