Homme à tout faire, entrevue avec Stéphane Lafleur

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Réalisée par Louis-Philippe Busque

« Homme à tout faire » parce que Stéphane, en plus d’être réalisateur de quelques films comme Continental, un film sans fusil, et Tu dors Nicole, monteur du film Le Démantèlement, chanteur du groupe Avec pas d’casque, il sera le parrain de la troisième année du festival Vues dans la tête de… qui aura lieu les 6-7-8 février. La programmation est solide avec un choix d’activités variées pour tous les goûts. Le cinéma québécois est reconnu partout sur la planète, maintenant c’est votre tour d’en profiter au maximum!»

Busque : Comment as-tu reçu la demande d’être le parrain de l’édition 2015 du festival du film de
Rivière-du-Loup Vues dans la tête de…?

Stéphane Lafleur : Quand les gens pensent à nous, peu importe pour quoi, que ce soit pour une collaboration sur un projet ou, dans ce cas-ci, pour être la tête d’affiche d’un événement, c’est toujours très flatteur. Ça veut dire que notre travail intéresse les gens. C’est un bel honneur et c’est une belle occasion de partager le travail de gens que j’aime beaucoup. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt de venir à la rencontre du public. Évidemment, c’est d’échanger avec eux, mais c’est aussi de leur montrer des films, pour la plupart récents, de réalisateurs contemporains dont j’apprécie beaucoup le travail.

B : S’agit-il de ta première visite à Rivière-du-Loup?

S. L. : Non. J’ai déjà joué à Rivière-du-Loup avec mon groupe de musique. Nous avons joué à la Maison de la culture. Et, comme tout bon Québécois qui se respecte, j’ai fait mon petit tour, mon petit pèlerinage, Bas-du- Fleuve — Gaspésie, quelques fois. Je suis déjà passé par là!

B : Pourquoi Stéphane Lafleur fait-il des films?

S. L. : Il n’y a pas de bonne réponse à ça. Je crois qu’on fait de la création, peu importe le médium, parce qu’on ne peut pas faire autrement. Je pense que c’est un besoin. C’est inexplicable. Moi, j’ai besoin d’écrire. Ce n’est pas pour rien que je m’attaque à plusieurs médiums. J’ai besoin d’écrire constamment, que ce soit de la musique, que ce soit du cinéma. C’est quelque chose d’assez régulier chez moi. Je me rends compte que, si je n’écris pas pendant une journée, il y a une insatisfaction qui s’installe en moi. Je trouve que le cinéma est un médium riche : l’image, le son. Je suis un peu vieille école, j’aime aussi l’idée de se rassembler pour voir quelque chose, ce qu’on fait de moins en moins peutêtre. Je trouve que ce festival est l’occasion de le faire : d’être ensemble pour voir un film, de réagir ensemble. De voir une comédie tout seul, c’est quelque chose. De la voir à 200 personnes et que tout le monde rit, il y a quelque chose de communicatif, et je trouve que c’est un sentiment qu’on perd dans notre société moderne actuelle. Tout le monde est à la maison, tout le monde regarde des films sur les ordinateurs à un à deux ou à trois. Il y a quelque chose de beau à le faire en groupe et je trouve que les films ont été faits souvent pour ça.

B : Quelle est ta marque de commerce en tant que réalisateur? Qu’est-ce qui revient dans chacun de tes films, que ce soit technique ou bien dans la façon d’écrire ton histoire?

S. L. : Je crois que je ne suis pas nécessairement la meilleure personne pour répondre à cette question! Je pense qu’il y a des choses évidentes à dire sur mes trois premiers films, des trucs récurrents comme le fait qu’ils se déroulent en banlieue. Pour ce qui est de l’humour, il y a quelque chose qui m’appartient, une espèce d’humour pince-sans-rire qui repose beaucoup sur l’observation de comportements, de moeurs et de petits détails de la société. Peut-être un rythme particulier, une façon assez simple de filmer, je fais des mises en scène assez simples.

B : Que penses-tu de la situation au Québec pour un étudiant en cinéma qui voudrait devenir réalisateur?

S. L. : J’essaie d’être optimiste. Je pense que d’être réalisateur, c’est encore très possible. Si moi j’ai réussi à le faire, je ne vois pas pourquoi un étudiant ne le pourrait pas. Quand je vais rencontrer les étudiants dans les cégeps, généralement, c’est ce que je leur dis : « Si c’est vraiment ce que tu veux faire, il n’y a pas de raison que tu ne le fasses pas. » Par contre, ce qui m’inquiète peut-être plus, c’est l’achalandage des salles de cinéma. Je pense que le cinéma est en mouvance en ce moment et il va falloir que l’industrie s’adapte à cette mouvance. Je ne sais pas encore de quelle façon. On pensait que l’arrivée des DCP [Digital Cinema Package] aiderait. Comme tu le sais, il n’y a plus vraiment de bobines 35 mm, qui étaient extrêmement coûteuses et difficiles à déplacer. Elles ont été remplacées par des petits disques durs qui ne coûtent presque rien. On pensait que ça aiderait un petit peu la circulation de films d’auteurs plus difficiles, que ça permettrait à des salles de les avoir et de les présenter, sans que ce soit nécessairement tous les jours. En tout cas, moi, j’espérais ça. Ce qu’on constate, c’est que ce n’est pas nécessairement ce qui se passe. La distribution et l’accès aux films restent encore difficiles. Un film comme Tu dors Nicole a pris l’affiche dans une dizaine de salles à travers le Québec, ce qui n’est pas beaucoup. Même si tous les médias sont de ton côté, que tu as de belles grosses pages dans La Presse, peu importe quel journal, si les gens qui la lisent veulent aller voir le film le soir même et qu’il est à 500 km de chez eux, ça ne marche pas. Il y a un problème d’accès aux films, je trouve. Je ne sais pas quelle est la solution. Est-ce que c’est une sortie en ligne en même temps que les sorties en salle? Il va falloir que l’industrie bouge. L’industrie du cinéma est peut-être celle qui a été la moins touchée par toutes les belles coupures. Radio-Canada a eu sa claque. Le cinéma a eu des coupures de crédits d’impôt. Il y a encore des possibilités, mais on sent que ça peut basculer du jour au lendemain. C’est aussi l’intérêt du public qui m’inquiète parfois. Donc, encore une fois, un événement comme celui qu’on va vivre à Rivière-du-Loup est justement une bonne occasion de découvrir des films d’ici auxquels on n’a pas nécessairement accès ou qu’on a raté et d’être en présence des gens qui ont travaillé dessus, pour pouvoir échanger avec eux. On s’entend, ce sont des films qui demandent quand même une certaine participation et une certaine curiosité de la part du public, mais je pense qu’une fois qu’on se laisse prendre, qu’on se prête au jeu et qu’on se laisse porter par l’expérience, on en sort avec certains éléments. Ce n’est pas grave de ne pas aimer un film entièrement, mais je pense que c’est le temps qui nous dit si un film a fait son chemin et a laissé sa trace en nous. Je ne pense pas que ça se décide le jour même. Il y a des films qu’on revoit 20 ans plus tard et qui continuent d’évoluer avec nous.

B : Ton film Tu dors Nicole a été sélectionné pour la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2014. Quels sont les changements que t’amène cette nouvelle visibilité?

S. L. : C’est mon troisième film. Mes deux films précédents avaient commencé leur chemin dans des festivals importants, Venise pour le premier, Berlin pour le deuxième. Évidemment, même si ce sont de gros festivals sur le circuit et dans le petit monde du cinéma, ça reste que Cannes, c’est Cannes et tout le monde connaît Cannes, même si personne ne sait qui a gagné l’année passée! C’est un festival dont la réputation n’est plus à faire. Évidemment, tout a changé pour le film. À partir du moment où tu annonces que tu seras à ce festival, il y a une visibilité médiatique qui embarque, il y a de l’intérêt de la part d’acheteurs à l’étranger qui veulent voir le film avant même qu’il ait joué. Des promoteurs de nombreux festivals veulent visionner le film pour voir s’il serait intéressant pour eux. Donc, le film existe avant même d’avoir joué. Il y a le sceau de Cannes sur ton film. Peu importe si le film est bon ou pas, il reste que ce sceau fait son travail de visibilité. C’est plus ça qui a changé. Sinon, dans ma vie, ça n’a pas changé grand-chose. C’est plus la vie du film qui a changé, en fait.

B : Ça devrait sûrement t’aider pour tes prochains films, non?

S.L. : C’est sûr que ça ne nuit pas! J’ai l’air au-dessus de mes affaires, mais je suis extrêmement conscient que toutes ces occasions, juste à Cannes, c’est un honneur. On n’a pas besoin de gagner quoi que ce soit là-bas, juste d’être pris. Les juges de la section où j’étais ont vu 1500 films et ils en ont pris 20. Il y a quelque chose de flatteur. Je le prends et je l’apprécie!

B : En quoi Nicole te ressemble-t-elle?

S. L. : Son côté observateur… C’est sûr qu’il y a des trucs de Nicole qui sont inspirés de ma jeunesse. Le fait de mettre une fille, c’était aussi une façon de me protéger et de me cacher un peu derrière un personnage. Je pense qu’il y a peut-être plus de moi dans le film que dans le personnage lui-même. Cette idée de visiter la ville la nuit, le rapport au quartier, il y a quelque chose là-dedans qui vient certainement d’expériences vécues. Il y a un band dans le film, ce n’est pas étranger au fait que je fais de la musique. Même si ce n’est pas du tout autobi graphique, il reste que c’est quand même inspiré soit de gens que je connais ou de trucs que j’ai vécus. On part toujours de choses qu’on connaît un peu, qui nous touchent ou qui nous parlent. Ensuite, on les nourrit d’histoires qu’on nous raconte, de choses qu’on a entendues ou qu’on invente. C’est toujours un mélange de beaucoup de sphères en même temps.

B : Pourquoi dis-tu que tu te caches derrière un personnage féminin?

S. L. : C’est-à-dire que, si j’avais pris un gars à la place, Tu dors Simon ou je ne sais quoi, comme ça aurait été un gars dans le début de la vingtaine, peut-être que les gens auraient dit que c’est un film autobiographique. Le fait que ce soit une fille, personne ne m’a posé la question! Tout de suite, on dirait que ça brouille les pistes!

B : Quels sont tes prochains projets?

S. L. : C’est d’aller vous voir! Mais la vie de Nicole continue. Je me promène encore dans des festivals pour présenter le film. Je m’en vais à Toronto tout à l’heure pour le top 10 des films canadiens où Tu dors Nicole est présenté. Sinon, j’écris un film pour un réalisateur qui s’appelle Emanuel Hoss- Desmarais, qui a fait le film Whitewash l’année passée. C’est un film en anglais avec Marc Labrèche, un très bon film que j’aurais d’ailleurs pu mettre dans ma sélection, mais je n’y ai pas pensé! J’adapte un roman pour Emanuel en scénario, à sa demande. Il faut que je finisse pour la fin du mois. Après, on verra. Je recommence à mettre le band sur les rails, j’essaie de composer de nouvelles chansons et, éventuellement, je commencerais à écrire un nouveau projet de film pour moi.

La Rumeur du Loup, édition 72 Janvier – février 2015

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