par Frank Malenfant
Photomontages, effets spéciaux et écrans verts font marcher les auditoires depuis des décennies, mais l’ère des médias sociaux a fait des fausses nouvelles des traînées de poudre permettant à d’habiles manipulateurs de diriger nos esprits naïfs là où ils le veulent. Nombreux sont les journalistes qui se sont penchés sur la question des fake news : leur origine, leur forme, mais surtout sur les mécanismes psychologiques qui sont impliqués. Le plus puissant mécanisme est le biais de confirmation : si ça confirme ce que je pense, c’est sûrement que c’est vrai ! Pas besoin de vérifier l’information ! Cela est amplifié par les chambres d’écho que constituent les médias sociaux. Comme les algorithmes des médias sociaux, ainsi que nos choix d’amis et de sources d’information, nous isolent dans un espace relativement consensuel, nous sommes très à risque de voir passer des fausses nouvelles qui rejoignent nos biais et opinions et qu’elles soient partagées par d’autres personnes aussi victimes de leur biais de confirmation. Ces mécanismes-là sont déjà connus. Ne devrait-on pas alors se préparer à détecter la prochaine fausse nouvelle qui empoisonnera de mensonge la réalité perçue par notre entourage ? Pour paraphraser un slogan récent, l’avenir c’est maintenant, et la prochaine génération de fausses nouvelles est déjà prête à revêtir, grâce à l’intelligence artificielle, des habits qui la rendent extrêmement difficile à distinguer de la réalité. Imaginez voir circuler dans votre fil de nouvelle un extrait d’une entrevue où Donald Trump, sur une chaîne nationale, annonce qu’il a signé un décret retirant la nationalité américaine à toutes les personnes transgenres aux États-Unis. Vous avez l’image, l’audio, un cadre crédible, un sujet similaire à d’autres nouvelles que vous savez vraies. Après tout, vous savez bien que Trump est transphobe et qu’il a su par le passé utiliser son pouvoir pour faire du tort à la communauté LGBTQ2+. Or, c’est une fausse nouvelle. La créatrice de cette nouvelle a simplement utilisé une entrevue existante de Donald Trump et l’a trafiquée. Comment est-ce possible ? Bienvenue en 2018 ! L’entreprise montréalaise Lyrebird permet d’entraîner une intelligence artificielle à l’aide d’enregistrement vidéo, de soi ou d’une autre personne, afin qu’on puisse lui faire dire n’importe quoi. Selon Scientific American, Lyrebird peut, après avoir ingéré des heures de contenu, reproduire non seulement la voix, mais la prononciation et le phonème (élément sonore du langage parlé, considéré comme une unité distinctive) d’une personne et permettre de synthétiser du texte en y ajoutant même des intonations et des émotions. Ça ne s’arrête pas là ! Encore faut-il que les lèvres et les expressions faciales du président suivent parfaitement le texte qu’on lui met dans la bouche. C’est là qu’entre en jeu Face2Face, un projet des Allemands de TUM Visual Computing Group qui permet, à l’aide d’une simple caméra Web, de contrôler les mouvements du visage d’une personne sur une vidéo source à l’aide d’une captation vidéo de son propre visage. Ainsi, pour n’importe qui capable d’un jeu crédible, il est possible de mouvoir le visage du président afin de lui faire prononcer les mots qu’on compte lui mettre dans la bouche de manière à ce que tout concorde. D’ailleurs, la vidéo de démonstration sur la page d’accueil du groupe manipule ainsi le visage de l’ex-président George W. Bush et c’est très crédible.
« On ne peut même plus se fier à une vidéo de source sûre ! »
Et voilà ! On ne peut même plus se fier à une vidéo de source sûre ! Intégrez cette vidéo dans un faux article du format de ceux qui deviennent déjà viraux sur le Web et soyez assuré que même certains médias crédibles sont à risque de tomber dans le panneau. On découvrira assurément l’astuce, mais pas avant que la nouvelle se soit répandue partout sur les médias sociaux et ait suscité des centaines de milliers de réactions incendiaires. Dans un climat géopolitique tendu où des puissances étrangères et des entreprises privées utilisent les médias sociaux comme des armes de manipulation massive afin de servir des programmes politiques obscurs, et suivant la dernière déclaration de Mark Zuckerberg de Facebook qui admet qu’il faudra plusieurs années pour s’adapter (bien ?) aux plus récents scandales qui ont touché la plateforme, une utilisation habile de ces nouvelles technologies de contrefaçon pourrait carrément compromettre la stabilité politique mondiale ou l’unité d’une nation, d’où l’intérêt d’avertir le plus tôt possible nos concitoyens de ce qui s’annonce devant nous comme une génération redoutable d’armes de propagande médiatique. Alors que nous devenons de plus en plus désensibilisés aux nouvelles toujours plus choquantes et sensationnalistes et que les médias traditionnels mènent une bataille acharnée pour attirer l’attention du public à travers le flux de pièges à clics des médias sociaux, tout ce qui s’adresse à nous semble vouloir devenir de plus en plus agressif et alimente une tension qui nous rend très prompts à réagir à tous ces stimulus négatifs. Peut-être est-il temps, avant que notre fil d’actualité ne nous arrache totalement du monde réel, de revoir notre rapport à l’information rapide comme nous l’avons fait pour notre rapport à la restauration rapide et de recommencer à rechercher l’information entière et nutritive issue d’un journalisme bio fait avec passion et respect pour le produit. Peut-être sommes-nous dus pour rafraîchir les notions acquises dans Le petit cours d’autodéfense intellectuelle avant que nos assaillants ne nous séquestrent dans une chambre d’écho d’où nous ne pourrons plus sortir. D’ailleurs, j’ai bien pris soin de nommer les sources sur lesquelles je me suis basé pour rédiger ce billet, et je vous suggère fortement de vous y intéresser pour voir par vous-même. Ceci n’est pas une fake news, juré !