texte Marie-Amélie Dubé | photo JF Brière
Nellie Brière est travailleuse autonome depuis 5 ans à titre de stratège numérique et comme formatrice en réseaux sociaux. Si vous suivez sa page Facebook, vous comprendrez bien assez rapidement qu’elle en connaît un lot sur les coulisses algorithmiques de Facebook. Je la suis personnellement, car elle a un sens critique bien aiguisé envers les médias la politique et la société en général. Elle produit également, sporadiquement, des vidéos live super constructives et informatives sur l’univers numérique avec lequel nous devons développer une saine osmose. Alors voilà le résultat de notre discussion !
1-Dis-moi : quelle route as-tu empruntée pour être aujourd’hui stratège numérique ?
Mon parcours est pas mal atypique ! J’ai étudié en sciences humaines et histoire parce que je voulais être journaliste. Puis, je me suis retrouvée dans le milieu communautaire comme intervenante en mobilisation citoyenne auprès de familles touchées par des problématiques en déficience intellectuelle. En parallèle, j’animais, à CISM et à CIBL, des émissions sur la musique émergente et la littérature où j’ai mis sur pied un des premiers podcast francophones québécois : LadaetGeorges. Lada, sur fond de vie quotidienne, partageait ses coups de coeur culturels à Georges. C’est là que j’ai commencé à utiliser les réseaux sociaux pour faire la promotion de notre podcast et j’ai rapidement développé une aisance et un goût pour ce domaine, alors qu’il n’y avait pas encore vraiment d’engouement ou de professionnalisation autour de la gestion de réseaux sociaux.
Puis, un jour, je vois passer un poste de gestionnaire de communauté chez ARTV, je me rappelle que Patrick Lagacé avait commenté la publication en disant que c’était LA job de l’avenir ! J’ai envoyé ma candidature, comme une bouteille à la mer (rires) et j’ai eu la job ! J’étais comme un poisson dans l’eau. J’ai développé là-bas les premières stratégies avec des hashtag sur Twitter. J’ai ensuite eu un poste en communication numérique interactive pour Radio-Canada. Puis Jean-Martin Aussant m’a offert de devenir directrice des communications pour sa campagne et il me donnait carte blanche. Comme j’étais vraiment interpellée par l’éducation citoyenne, vu mon expérience dans le milieu communautaire, et comme je trouvais que Radio-Canada était un gros bateau à faire bouger, j’ai accepté !
« Tout le monde ensemble, on devrait être plus compréhensif.ve et développer notre empathie. »
2- Concrètement, aujourd’hui, qu’est-ce que tu fais et auprès de quelle clientèle tu travailles ?
Maintenant que je suis à mon compte, c’est quand même fou parce que mes mandats rejoignent tous mes intérêts. Je travaille auprès d’organismes et d’artistes en mobilisation citoyenne, en culture,en éducation et en politique. J’outille les artistes, j’éduque les milieux dans leur utilisation des réseaux, et je poursuis mon implication politique. J’ai réussi à créer ma job, mon écosystème socialiste. J’ai été au bon endroit au bon moment. Comme j’aime le changement, l’innovation et que le numérique, ça bouge tout le temps, je suis vraiment dans mon élément ! J’en mange, c’est pas compliqué !
3-Penses-tu que tout le monde devrait avoir un profil Facebook ?
Ne pas avoir de profil Facebook aujourd’hui, c’est une forme d’ermitage. Se couper de Facebook, par exemple, c’est se couper d’une grande partie de notre société ; c’est s’exclure soi-même de plusieurs débats et ne pas pouvoir participer à certaines discussions autour des différents enjeux inhérents à ce mode de communication. C’est un des moyens de communication les plus répandus qui devient nécessaire pour évoluer dans son filet social. Pour une entreprise, un.e artiste, un organisme qui veut se positionner et être vu, ce n’est malheureusement plus possible de le faire gratuitement. Donc, mettre de l’énergie sur une page sans y investir un budget, ça ne sert plus à rien. Il faut développer des compétences pour gérer sa communauté et bien cibler son audience pour que les investissements portent fruit. Il faut faire des choix éclairés ou orienter les ressources de l’entreprise sur les plate-formes en fonction de leur budget. Surtout les OBNL il ne faut pas leur vendre du rêve.
4-On pouvait lire dernièrement dans Le Devoir, en faisant référence au plus récent livre de Judith Lussier, Les « social justice warriors », victimes ou bourreaux ? Tu en penses quoi ?
Son livre fait un bon tour de la situation. D’un côté comme de l’autre, je pense que personne n’est vraiment super mal intentionné.e. On peut être bourreau sans s’en rendre compte. Facebook est super « algorithmé » et ce n’est pas tout le monde qui comprend bien cette facette. On voit apparaître à tous les jours de nouveaux usagers sur Facebook, certains qui n’ont pas de scolarité et qui, pour la première fois, ne sont pas étiquetés car leurs enjeux ou leurs difficultés ne sont pas visibles. Ils peuvent parfois passer pour des trolls, alors qu’ils n’ont pas les facultés de bien comprendre de quoi il s’agit. Tout le monde ensemble, on devrait être plus compréhensif.ve et développer notre empathie. Qui suis-je pour les juger ? Parfois, je me protège et je choisis de ne pas répondre, parce que je me rends compte qu’en trois commentaires, je ne peux pas nécessairement amener mon interlocuteur où je suis dans ma réflexion.
L’affaire, c’est qu’on est dans un concept de communication spectacle ; quand on répond, on parle à nos abonnés. Les trolls deviennent donc utiles pour faire passer notre message ou faire la démonstration de notre point de vue. Xavier Camus, qui documente la montée des groupes islamophobes, décrit les fait et n’est jamais dans un registre émotionnel. Je le trouve très rationnel, mais c’est quelque chose qui peut brusquer quand même, car les gens de gauche ont tendance à être perçus, par les gens de droite, comme des porteurs de savoirs qui jugent. La réaction commune chez les gens de droite, c’est le : « coudonc, tu me prends-tu pour un cave ? ! »

5-Comment arrives-tu à départager ta vie professionnelle de ta vie privée ? Arrives-tu à décrocher des réseaux sociaux ?
C’est comme une zone floue pour moi. Quand je fais de la veille, j’ai beaucoup de plaisir et j’en fais souvent ! Ce n’est pas lourd ou un poids, c’est quelque chose que j’aime ! Le départage est moins difficile ou douloureux dans ma situation (rires). Je passe aussi beaucoup de moments sans appareil. L’été, je fais du cyclotourisme, sinon je suis très gameuse de jeux sur table. Quand je suis avec quelqu’un, je range toujours mon téléphone. Le fait que je ne sois pas née à l’ère du numérique et que je ne sois pas une personne qui a tendance à développer des dépendances, ça aide ! Puis y’a aussi le fait que j’ai une vie sociale très active !
6-Dernièrement Facebook a eu des problèmes de mise à jour, ce qui a plongé un bon nombre d’usagers dans le néant. Pas de Facebook ! ! ! Qu’est-ce qui arriverait si, du jour au lendemain, Facebook plantait ?
Oui, moi aussi j’ai fait partie des gens touché.e.s. Je pense que Facebook va toujours être en amont, y’a des lobbys très forts de leur côté ! Pis si jamais Facebook mourrait demain, ce ne serait pas long qu’il y aurait une autre plate-forme qui arriverait. Le véritable problème avec Facebook, ce sont les enjeux de modération des contenus. Je pense qu’il faudrait vraiment réglementer, parce qu’on assiste à une standardisation par les Américains, qui ne colle vraiment pas à notre réalité et qui gomme les cultures locales. La diversité, c’est la richesse d’une société.
7-Y’a quand même des côtés positifs au numérique et aux médias sociaux, n’est-ce pas ?
On entend beaucoup parler des enjeux de la cyberdépendance et de l’exposition exagérée aux écrans. Trop même. On s’entend que si un.e jeune fait un skype avec sa grand-mère, ou crée sa chaîne YouTube ou fait de la vidéo avec ses chums, c’est quand même des activités épanouissantes. Le.la jeune est en action et mobilise un réseau et met en branle sa créativité. Je suis pour l’équilibre et l’accompagnement auprès des jeunes. Il y a tellement de possibilités de bien gérer notre temps et nos alertes grâce à des applications. Je trouve que c’est important de guider les jeunes dans le développement de leur identité dans ce monde. Il manque de modèles positifs, malheureusement.
8-As-tu des ouvrages à nous conseiller de lire pour la gestion de leurs réseaux sociaux ?
Oui, Le capitalisme de plateforme, de Nick Srnicek, essentiel pour comprendre comment les GAFA transforment l’économie mondiale. Le livre de Dominique Cardon, À quoi rêvent les algorithmes. Petite poucette, de Michel Serres, qui permet de voir positivement la mutation sociale qu’engendre les technologies. Parents dans un monde d’écrans, de Marie-Claude Ducas.