Entrevue avec Emmanuelle Dudon

Je rencontre toujours des personnes inspirantes dans le cadre de mon travail. Emmanuelle est l’une d’elles. Elle est la marraine du Macadam Ultra 160. Elle devra monter la côte St-Pierre 150 fois en 48 heures. Un défi impossible pour celui ou celle qui ne croit pas en lui-même ou elle-même. Voici ma rencontre avec une sportive aguerrie qui nous livre un message de courage et détermination !

Busque : Peux-tu te présenter, nous dire ton âge et ce que tu fais dans la vie ?

Emmanuelle Dudon : Je suis médecin, plus précisément chirurgienne orthopédiste, et j’ai 46 ans.

B. : Je vois que tu portes trois chapeaux importants. Tu es une mère, tu es une professionnelle et tu es aussi une sportive. Comment fais-tu pour jumeler ces trois aspects de ta vie ?

E. D. : En fait, les trois aspects sont importants, mais le plus important reste mon rôle de mère. Ensuite, le sport fait partie de moi depuis un certain temps. J’ai commencé tard, vers l’âge de 15 ou 16 ans, parce que je n’avais jamais été encouragée à faire du sport. Avant cela, j’étais convaincue d’être une mauvaise sportive. Je n’ai pas eu de parents qui m’ont encouragée, même si on bougeait beaucoup malgré tout. J’étais sûre d’être mauvaise, j’étais complexée. Je me pensais gauche, un peu comme plusieurs ados. Quand j’ai découvert le sport, je suis tombée dedans d’un coup. À partir de là, le sport a toujours été partie intégrante de ma vie. Il a aussi guidé certains de mes choix de vie. Je suis à moitié Française, à moitié Québécoise et je m’en allais en France faire une école d’ingénierie alors que j’avais 15 ou 16 ans. Puis, j’ai eu peur de ne plus être capable de faire du sport. C’est la vraie raison qui a fait que j’ai décidé de revenir au Canada et de prendre une année tranquille avant de décider d’aller en médecine à l’université. C’est vraiment le sport qui a changé ma vie. Je le réalise maintenant, mais, sur le coup, je ne l’aurais jamais dit. J’ai fait des choix dans ma vie pour être capable d’y intégrer le sport.
Je n’ai jamais été quelqu’un qui ne fait qu’une seule chose dans sa vie. Je ne suis pas heureuse si je ne fais qu’une chose. Je n’ai pas pu étudier seulement, je devais sortir, bouger, m’entraîner. Je me suis toujours organisée entre plusieurs activités. J’ai étudié en m’entraînant, j’ai passé mes examens en m’entraînant, je n’ai jamais eu à me forcer pour le faire. Quand j’ai eu mes enfants, j’ai adapté ma façon de bouger, de m’entraîner, mais je n’ai jamais arrêté. Je dirais même que je bouge encore plus depuis que j’ai des enfants ; je me suis organisée pour pouvoir le faire. Je ne gaspille pas mon temps, je ne perds pas de temps. C’est peut-être un peu prétentieux de le dire ainsi, mais je ne vais pas m’écraser devant la télé à ne rien faire. Quand j’ai du temps pour m’entraîner, je le prends. Quand je suis au travail, j’y suis à 100 %. Mes enfants et mon conjoint, ma famille, passent toujours avant, c’est sûr. Mon entraînement va passer après s’il a un impact sur ma vie familiale. En général, je suis capable de le faire.

B. : T’entraînes-tu beaucoup ?

E. D. : Je pense que oui. Tout est relatif, mais oui, au moins 10 heures par semaine. C’est quand même beaucoup, surtout avec des horaires remplis. Des fois, ça peut être plus et il faut me freiner. J’aime bouger, je suis passionnée, j’en ai besoin, mais, des fois, c’est plus de me ralentir qui est un problème. Je suis toujours un peu fatiguée. Ça n’arrête pas avec le travail, ça n’arrête pas avec les enfants, je n’ai pas de moment où je me pose, où je ne fais rien. C’est plus ça, mon problème. Je dois ralentir un peu quand je suis fatiguée. Je me suis assagie un peu, mais j’aime bouger !

B. : Tu fais aussi du sport à l’international, c’est exact ?

E. D. : Oui, je fais beaucoup de compétitions en Europe, aux États-Unis, surtout en Ultra. Je fais aussi des marathons à l’extérieur.

B. : Qu’est-ce que c’est, l’Ultra ?

E. D. : L’Ultra, c’est tout ce qui dépasse le marathon, soit 42 km. C’est très, très large. À la limite, un Ultra pourrait être un 45 km. L’Ultra inclut des courses horaires, par exemple des 6 heures, des 24 heures où on peut tourner en rond sur des circuits et mettre le plus de kilométrage possible, en général sur route, mais parfois aussi en sentier. Ça peut être un non-stop, comme un 50 km, 50 miles, 100 miles et plus. Il y a des 300 km, c’est à l’infini ! Puis, il y a les courses d’étapes. Moi, c’est mon dada. C’est ce que j’aime le plus, les courses en étapes où on est en autosuffisance, où on transporte avec soi pendant une semaine son minimum vital : sa nourriture, son sac de couchage, ce qu’il faut pour vivre pendant une semaine. Puis, on court des étapes d’un point A à un point B. C’est vraiment génial, c’est l’aventure !

B. : Quelles sont les raisons pour lesquelles l’organisation du défi t’a approchée comme marraine ?

E. D. : Je crois beaucoup en l’aspect participatif. Je suis compétitive, j’aime faire un sport à un bon niveau, mais je trouve que le plus important, c’est de participer, peu importe. C’est ce que je valorise le plus. J’ai fait des podiums, mais je n’en parle pas vraiment, ce n’est pas le plus important. Ce dont je suis fière, c’est d’être capable de combiner ma vie sportive à mes autres activités. L’aspect que je valorise, c’est la participation. Aussi, c’est que monsieur et madame tout le monde aient envie de bouger. Dans mon travail, je suis encore plus fière des patients que je suis arrivée à faire bouger que de ceux que j’ai bien opérés. Je le dis souvent, mais c’est vrai.

B. : Y a-t-il un dilemme parfois, si on doit opérer ou non un patient ?

photo web

« L’aspect que je valorise, c’est la participation. Aussi, c’est que monsieur et madame tout le monde aient envie de bouger.

 

E. D. : Non, je n’ai pas de dilemme. De toute façon, je ne veux pas avoir à choisir entre faire bouger quelqu’un ou l’opérer. Je veux d’abord lui dire de bouger, de prendre sa santé en main et, si jamais ce n’est pas suffisant et qu’il a besoin d’une chirurgie, on la fera. C’est comme ça, il n’y a pas de dilemme. D’ailleurs, la plupart du temps, on n’a pas à choisir entre opérer et activer quelqu’un. Reste que la meilleure chose qu’on puisse faire pour quelqu’un, c’est de le faire bouger.

B. : Aurais-tu des trucs pour aider les gens à se motiver à faire de l’exercice ?

E. D. : Je crois que la première chose est de le faire pour soi. Il ne faut pas attendre d’avoir l’encouragement ou les félicitations des autres, il ne faut pas attendre que les gens nous disent « bravo ». C’est de le faire pour soi, pour les bonnes raisons. Je vais m’adresser aux femmes et aux filles, qui sont parfois un peu plus gênées ou qui pensent qu’elles ne seront pas bonnes ou fortes. Je pense que c’est d’abord pour sa santé et pour se faire plaisir qu’on le fait. Si on part de ce principe, je pense que ce n’est pas difficile ensuite de se motiver. Ce n’est pas de le faire pour les autres, c’est de le faire pour être bien, d’abord bien dans sa tête, puis bien dans son corps, évidemment, et en santé. Tout ça vient ensemble. Je ne pense pas que ce soit dissociable.

B. : As-tu des trucs en ce qui concerne l’accessibilité du sport pour les débutants ?

E. D. : Je vais parler de la course. S’il y a un sport qui est accessible et qui est démocratique, c’est bien la course. D’abord, on n’a pas besoin d’équipement compliqué, on peut même courir nu-pied si on veut. Peu importe où on est, même si on voyage ou qu’on a à se déplacer, on amène ses chaussures de courses et on peut courir un peu n’importe où. Ce n’est que de l’intégrer à sa vie, comme manger ou dormir. Ça vient à faire partie de notre vie. À partir du moment où c’est intégré à sa vie, c’est facile de le faire, on ne se force pas. On le fait parce qu’on en a besoin et que ça fait du bien.

B. : J’aimerais bien que ce soit ainsi dans ma vie !

E. D. : Il faut se lancer. Moi, il y a des jours où je n’ai pas envie d’y aller. Si je n’ai vraiment pas envie, je ne le ferai pas, il faut s’entendre. Des fois, il ne faut qu’un petit kick et, une fois qu’on est dedans, on est tellement bien. Le bénéfice, on le ressent. Quand on commence à y goûter, ça devient plus facile.

B. : Crois-tu que ce sera difficile pour toi ?

E. D. : C’est sûr que ce sera difficile ! Je dois dire que, à mes yeux, c’est plus difficile que d’aller faire un 100 miles en montagne, où le paysage varie et où je n’aurai jamais la tentation d’arrêter. Les courses où on tourne en rond, ce sont les plus difficiles pour moi. Il y a des gens qui sont bien avec ce genre de course, mais moi, j’aime mieux être dans le bois, si j’ai à choisir. C’est ce qui va être difficile. La distance comme telle est toujours difficile. Un 100 miles n’est jamais facile.

B. : Je suis capitaine d’une équipe et j’essaie de recruter des gens. La première chose que les gens me disent, c’est qu’ils ont l’impression de ne pas être assez en forme pour pouvoir relever le défi. Qu’aurais-tu à dire à ces gens ?

« Ce n’est pas de le faire pour les autres, c’est de le faire pour être bien dans sa tête, puis bien dans son corps, évidemment, et en santé »

 

E. D. : Je pense que ce n’est pas une excuse valable. La défaite n’est jamais une excuse valable. Je crois qu’il faut l’essayer. J’ai des exemples tous les jours de personnes qui sont parties de rien, qui n’avaient pas du tout des physiques athlétiques, que ce soit des jeunes ou des moins jeunes. Une de mes patientes a 70 ans et souffre d’arthrose du genou. Du jour au lendemain, elle a décidé qu’elle se mettait en forme et elle s’est mise à s’entraîner. Elle n’a plus aucune douleur et elle est capable de faire de 5 à 8 km de marche par jour. C’est facile d’avoir des excuses et de baisser les bras, mais je pense que ce n’est pas suffisant. Je crois que tout le monde est capable. À chacun son défi. Il n’y a pas de petit défi, il n’y a pas de grand défi. Ce n’est pas nécessairement de faire 160 km qui est un super défi. Si pour toi, c’est de monter la côte quatre fois qui est un défi, tu te le donnes et tu y vas. Je crois que tout le monde est capable.

B. : As-tu un dernier mot pour les gens qui seraient encore hésitants à joindre le défi ?

E. D. : Encore une fois, ce sur quoi je veux vraiment insister, c’est l’aspect participatif. La beauté du sport, et je reviens encore à la course, c’est le côté participatif, on n’a pas besoin d’être une élite, il n’y a personne qui est meilleur ou qui est moins bon que l’autre, je crois que tout le monde y a sa place. Personnellement, j’admire autant la personne qui va faire un 5 km en une heure, mais qui va partir de zéro, qui va décider de se prendre en main, que la personne qui va le faire en 15 minutes… À la limite même, j’admire encore plus la personne qui part de plus loin, qui n’a pas nécessairement des aptitudes naturelles et qui va faire un effort. Ce qui se perd beaucoup, c’est justement la beauté de l’effort. J’essaie de l’apprendre à mes enfants. On est dans une société qui ne valorise plus l’effort et je le constate avec mes patients. Les gens voudraient toujours avoir la pilule magique et la baguette magique, « guérissez-moi, docteur », mais ça n’existe pas. C’est tellement beau de faire un effort, quel qu’il soit, et d’être récompensé après. Il n’y a pas beaucoup de satisfaction dans la vie qui est aussi grande que ça.

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